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Tattoo Girl
Brooke Stevens
LGF, Le Livre de Poche, thriller, n°31227, roman (USA), traduit de l’anglais (Etats-Unis), thriller, 444 pages, Janvier 2009, 6,95€

Une ado découverte dans un centre commercial. Amnésique. Muette. Le corps couvert d’écailles tatouées. Une femme, Lucy Thurman, se présente à l’agence d’adoption. Ancienne Grosse Dame dans un cirque, elle est persuadée qu’elle est la mieux placée pour prendre soin de cette enfant traumatisée, baptisée Emma, car elle aussi a connu des moments difficiles.
Après quelques semaines de tranquillité, Lucy décide de mener son enquête et découvrir quel monstre est capable de tatouer une jeune fille presque intégralement, et la choquer au point qu’elle ne puisse plus parler. Mais pour cela, elle va devoir affronter son propre passé, et retourner au cirque, voir les seules personnes capables de la renseigner sur les monstruosités apparentes et secrètes…

Et c’est là que commenceront les ennuis.



Et que commencera également le nôtre. Si les 3 premiers chapitres font la part belle à l’action et l’évolution rapide des faits (la découverte de la fille, son adoption, le meurtre du directeur du centre par de mystérieux hommes en noir…), la suite relève de l’étude appliquée du malheur humain et d’un partage on ne peut plus manichéen de l’espèce humaine, les bons d’un côté, les méchants de l’autre. Si vous ne voulez pas être témoin de l’autopsie que je fais subir à ce roman, sautez à la conclusion.

Les chapitres suivants vont en effet nous détailler par le menu les traumatismes subis par Lucy dans son enfance, au fur et à mesure qu’elle revoit les personnes qui à l’époque l’ont soutenue ou enfoncée. Mais les souvenirs prennent tellement le pas sur le récit que la brève scène d’action qui voit Emma se faire re-kidnapper (et s’échapper) se perd dans le flot du rabâchage des malheurs subis. S’ajoute à cela l’incapacité totale d’Emma à vaincre son amnésie, et les indices distillés avec avarice et au compte-gouttes (il faut atteindre la 150e page pour comprendre vaguement où va le roman, la 250e pour qu’Emma prenne sur soi et sente sa mémoire lui revenir, la 310e pour qu’elle se mette en route, suite à l’intime conviction que Lucy est tombée entre les griffes du méchant). L’errance dure un peu, si bien que tout se dénoue dans les 60 dernières pages (mais en comptant les feuillets blancs entre les chapitres très courts, cela en fait même moins).

Donc la conclusion est précipitée, tous les éléments de compréhension qui faisaient défaut nous sont livrés en vrac, avec d’incroyables coïncidences assénées pour combler les brèches (incroyable, mais le pasteur qui a violé Lucy dans son enfance est le même télé-évangéliste qui a tatoué Emma… et l’auteur enfonce le clou en faisant révéler cet état de fait à la 410e page par un protagoniste mystérieusement laissé de côté précédemment…).

Conclusion très mitigée

Car quand on fait le bilan, c’est à pleurer.
Une histoire pas très intéressante sinon pour qui apprécie le pathos, et qui peine à captiver, une faute cruciale aggravée par une langue morne et une écriture sans grande recherche. J’hésite à accuser uniquement la traduction, certaines phrases ou expressions (du genre : “il la tenait ferme” plutôt que “fermement”) sonnent vraiment mal, affaiblissant encore le texte déjà pas fabuleux.

Les protagonistes se comptent sur une main et se connaissent tous plus ou moins, malgré leur dispersion géographique. La chronologie entretient un flou artistique que le découpage du roman ne clarifie pas. Et les incohérences sont comblées par d’heureux hasards…

Tous les seconds rôles sont d’une platitude à pleurer. Ainsi que je l’ai évoqué plus haut, ou ils sont gentils (très gentils, solidaires, accueillants, compréhensifs) ou méchants (mais alors très méchants). Pas de demi-mesure dans le peuple américain. Est-ce pour mieux souligner qu’il y a des gens biens, à qui on peut faire confiance, dans ce monde de brutes égoïstes et prêtes à tout pour quelques dollars ou juste le plaisir de faire mal ? Argument trop facile auquel je ne crois pas moi-même tellement le résultat est grotesque de mièvrerie et dépourvu de la moindre nuance.

Le seul intérêt de ce roman est de s’attacher à décrire le mal-être de ses personnages principaux, Lucy (je récapitule : rejetée par sa mère, orpheline de son révérend protecteur, violée par le pasteur Joe, martyrisée, abusée et gavée par Maître Howard…) et Emma, la Tattoo Girl (tatouée, traumatisée, mais toujours vierge et pure, physiquement et psychiquement). L’auteur s’attache à son principe que nous sommes tous monstrueux, à différents niveaux, en apparence (comme Lucy, Emma ou les monstres de cirque) ou en profondeur (comme le méchant pasteur), mais qu’en répandant l’amour et la gentillesse plutôt que la violence et le racisme on peut changer, et changer le monde qui nous entoure.

Bref, un ensemble assez moyen, manichéen à l’excès, auquel s’ajoute le sujet-prétexte de la religion (si vous n’aviez pas bien saisi l’allusion page 148, le laïus final vous l’expliquera en détail 250 pages plus tard) comme seule justification de l’histoire de ce fanatique, monstrueux à différents points de vue, qui pensait se racheter aux yeux de Dieu en créant une fille à Sa Première Image, c’est-à-dire un poisson (avant la croix, c’est le symbole du Christ), et en se jetant au fond des eaux purificatrices avec elle dans une pitoyable parodie de Déluge.

Bonus

Sur le poche, il y a un sticker « Prix des lecteurs, sélection 2009 ». Ou bien ils ne sont pas exigeants (mais alors pas du tout), ou on n’a pas les mêmes lectures…

Dernière anecdote : Les (deux ou trois) scènes de tatouage m’ont laissé l’impression que l’auteur n’avait jamais vu travailler un tatoueur, ni étudié le fonctionnement des appareils… Inconcevable…

Peu de coquilles : un point d’interrogation en trop à la 4e ligne de la 250e page, “des parasols de couleurs” page 284 (je n’aurais pas mis couleurs au pluriel), “de la purée de pomme de terre” page 357 (j’aurais préféré pomme au pluriel, ce n’est pas une matière non-quantifiable).


Titre : Tattoo Girl (Tattoo Girl, 2001)
Auteur : Brooke Stevens
Traduction : Anne Mornet
Couverture : © Leptosome
Éditeur : LGF
Collection : Le Livre de Poche - Thriller
Numéro : 31227
Pages : 444
Format (en cm) : 17,8 x 10,8 (poche)
Dépôt légal : Janvier 2009
ISBN : 978-2-253-12523-5
Prix : 6,95€



Nicolas Soffray
18 mars 2009


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