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Œcumène d’Or (L’) : Une Geste de l’Avenir Lointain
John C. Wright
LGF, Le Livre de Poche, roman (USA), traduction de l’américain, science fiction, 524 pages, octobre 2007, 6.6€

Les ascenseurs spatiaux, c’est merveilleux : en un clin d’œil vous voici en orbite. Devoir redescendre à pied par l’escalier de service, c’est tout de suite moins amusant…surtout lorsque ça représente l’équivalent de 50 tours Eiffel…

C’est pourtant l’une des péripéties finales ( qui n’a rien de comique) que connaîtra Phaéton, le héros de « L’Œcumène d’or », premier tome de cette « geste de l’avenir lointain » de John C. Wright.



Tout commence comme une pièce de théâtre, à l’époque dite “de la mascarade” avec, d’ailleurs, un dramatis personae en forme d’introduction. Sauf que dans cet avenir très lointain (bien plus lointain que la plupart des “empires galactiques” habituels de la SF) les protagonistes n’ont rien de traditionnel.

Des « neuroformes basiques » (des humains presque comme vous et moi, et comme le protagoniste principal), voisinent avec des « sophotecs » (des intelligences artificielles quasi-divines) et tout un éventail de formes intermédiaires plus ou moins biologiques, plus ou moins individuelles.

Car dans ce futur très (très) lointain, “l’Internet” et l’informatique ont évolué de manière à modifier totalement la notion de vie. Lorsque la conscience devient une simple information, la mort est contournée par une simple sauvegarde (en réalité, c’est plus subtil que cela, on parle d’enregistrement « nouménal », technologie relativement récente à l’échelle de cet avenir et garantissant une réelle immortalité, les technologies de “sauvegarde mémorielle” étant plus « anciennes »).

Et moi et moi, et moi…

De ce fait, le mode de fonctionnement de l’esprit humain peut être contrôlé, modifié, altéré de mille manières. Le plus déroutant reste peut être la possibilité de se démultiplier en créant des répliques de soi, devenant ainsi « ubique ». Mais attention à ce que vos autres vous-mêmes ne s’émancipent pas trop vite pour accéder à une vie propre (on parle alors de “partiels émancipés”)…

Quand à certains individus, ils préfèrent fusionner leurs consciences avec celles des autres au sein de « compositions élémosinaires » ou de « compositions de masse », entités multiformes héritières de lointains cultes religieux historiques.

Quelles que soient leurs formes, les habitants de la Terre vivent dans leur immense majorité et en quasi permanence à travers la mentalité (comprenez : en simulation virtuelle dans l’Internet). Lorsqu’un besoin d’agir sur le monde matériel se fait sentir, ils utilisent le plus souvent pour ce faire la « téléprésence », en s’incarnant dans des mannequins robotisés.

Tout serait donc parfait dans cet âge d’or de l’humanité si Phaeton n’était pas troublé d’apprendre à ses dépens qu’une partie de son passé a été effacée. De questionnements en enquêtes, ce fils prodigue de l’un des hommes les plus influents de l’Œcumène d’or finira par comprendre qu’il en est aussi le fils terrible…à moins qu’un péril plus grave ne se tapisse au cœur de ce meilleur des mondes.

Sous une construction somme toute assez classique (le héros à la recherche de sa mémoire), John C. Wright nous promène dans un univers étrange qui repousse les limites du genre. Toute l’alchimie de son écriture consiste justement à combiner un monde déroutant avec une structure narrative classique , tout en s’appuyant sur un protagoniste appartenant à une mouvance (« l’école manoriale gris argent ») dont les mœurs victoriennes nous sont (heureusement) relativement familières et servent de point de référence.

Et cela fonctionne. Si bien que le lecteur, immergé dans ce monde baroque, parvient à y croire et à faire la découverte de cet avenir lointain avec la fascination d’un quasi-visiteur “virtuel”.

Le premier roman « Post cyberpunk » ?

En extrapolant sur le très long terme, l’auteur pousse ainsi le style cyberpunk à son extrémité en tirant la conclusion de postulats du genre, ce que l’on pourrait qualifier de roman “post-cyberpunk” ( l’expression a été utilisée au sujet du « Feu Sacré » de Sterling, dans un autre registre).

Il prend aussi à rebrousse poil le concept traditionnel de science-fiction (du space-opera) selon lequel l’avenir conduit automatiquement l’humanité à se répandre dans l’espace. Ici, point de sauts en hyper-espace ou de trous de vers pour atteindre les étoiles, toujours hors de portée. Si l’humanité a atteint un statut quasi divin, elle reste toujours soumise aux contraintes des constantes universelles, en particulier celle de la vitesse de la lumière.

L’auteur pose donc le problème d’une manière originale : l’exploration de l’univers est rendu doublement caduc, d’une part à cause de la longévité humaine, qui permet par exemple d’envisager tranquillement la mort du soleil et sa solution (Jupiter a déjà été transformée en soleil de rechange) .

Mais l’exploration de l’espace est aussi devenu contradictoire : le développement des technologies virtuelle du confort transforme les humains en “coraux”, arrimé à leur systèmes de simulation toujours plus gourmands en ressources, et a la Terre elle-même.

Le nomadisme spatial, de superflu, risque ainsi de devenir définitivement impossible à concilier avec un certain type de société.

L’humanité étant ce qu’elle est, il existe cependant dans ce futur, aussi lointain soit-il, des non-conformistes et autres marginaux qui continuent à rêver d’un ailleurs. Certains de ceux-ci se sont installés sur la lointaine Neptune, quitte à renoncer au confort et au respect de leur pairs terriens.

Chacun fait, fait fait ce qui lui plait…

Sous des apparences parfois un peu “techno-pompeuses”, la magie de cette « Geste de l’Avenir Lointain » est de soulever des questions en cascades, questions que l’auteur n’a peut être pas lui-même toutes envisagées. À la manière des simulations de personnalité de l’Œcumène qui finissent par acquérir un statut de conscience propre, le roman de John C Wright devient lui aussi un objet vivant qui échappe à son seul auteur.

Chacun y verra ce qu’il voudra y voir, mais il sera difficile de ne pas se laisser entraîner.

Le plus évident est dans doute le malaise diffus que fini par produire cette immersion, qui nous plonge, frôlant les thèmes chers à Philip K.Dick, dans un vertige de doutes sur le sens de la réalité et la notion de conscience. Réflexions d’autant plus actuelles qu’au contraire de l’auteur de « Blade Runner », John C. Wright extrapole à partir d’une réalité qui nous est déjà familière, celle de l’Internet, et qui a déjà transformé en profondeur, pour le meilleur et le pire, notre relation au monde.

Outre l’attirail technologique, le roman sous-tend aussi des questionnements sur le contexte culturel qui le précède : celui de l’individu, de la place réservée à l’innovation et au risque face au confort procuré par la technologie, ce dernier point étant un des axes explicites du roman : “une vie infinie fini par produire une crainte infinie”.

Car cette vision du futur, toute complexe et réaliste qu’elle puisse paraître n’en laisse pas moins transparaître, comme n’importe qu’elle construction du genre, les valeurs de son auteur, celle de son époque et de sa culture d’origine.

Finalement, tout autant qu’une projection des technologies de l’information, « L’Œcumène d’Or » est surtout la conséquence de l’épanouissement des valeurs libertariennes qui sont au cœur du rêve américain.

L’individu, le libre-arbitre et l’argent sont plus que jamais rois dans ce monde à la politique et à l’état atrophié… et dont le véritable pouvoir réside d’ailleurs (outre les intelligences artificielles), dans le “conseil des hortateurs”, club des plus grandes fortunes de l’Œcumène.

Sous des dehors extraordinairement exotiques, l’empreinte culturelle laissée par John C. Wright sur son futur est en réalité plus que prégnante, comme nous le rappellent les valeurs et les références historiques de Phateon et de la plupart des personnages principaux.

Si l’on prend « L’Œcumène d’Or » comme un exercice de futurologie, cet américano-centrisme est donc sa force mais aussi son principal talon d’Achille.

Car, après le bref intermède de la « fin de l’Histoire » durant les années 90, prétendant consacrer de manière définitive le triomphe du libéralisme économique et politique à l’américaine, l’Histoire vient, comme nous le savons, de se rappeler bruyamment à nos oreilles en montrant les limites de ce modèle ou du moins celles de ses prétentions à l’universalité.

Ironiquement, malgré les apparences, l’aspect prédictif de cette « Geste de l’Avenir Lointain » est peut être déjà rendu caduc par l’année 2008.

Nul doute en tout cas que l’avenir lointain, le vrai, soit encore bien au-delà, sinon de notre compréhension, du moins de notre imagination et de celle de John C. Wright, aussi fertile, séduisante et cohérente soit elle…

Le meilleur moyen de se faire un idée reste de se plonger dans la geste, ce qui ne serait pas une si mauvaise idée que cela pour l’amateur de SF, surtout celui qui, blasé des horizons habituels de moins en moins insolites et grandioses, serait à la recherche d’un vrai dépaysement… et n’aurait pas peur de se poser quelques questions au passage.



Titre : L’Œcumène d’Or : Une Geste de l’Avenir Lointain
Auteur : John-C Wright
Traduction : Jean-Daniel Brèque
Éditeur : LGF
Collection : Le Livre de Poche SF
Pages : 542
Première édition : 31 octobre 2007
ISBN : 2253121991/978-2253121992
Prix : 6,60€


À LIRE


Retrouvez également « Une Geste de l’Avenir Lointain » avec ces deux romans :

Titre : Le Phénix Exultant : Dépossédé en Utopie
Auteur : John-C Wright
Traduction : Jean-Daniel Brèque
Éditeur : LGF
Collection : Le Livre de Poche SF
Pages : 444
Première édition : 14 mars 2008
ISBN : 225312477X /978-2253124771
Prix : 6,60€

Titre : La Haute Transcendance
Auteur : John-C Wright
Traduction : Jean-Daniel Brèque
Éditeur : LGF
Collection : Le Livre de Poche SF
Pages : 508
Première édition : 19 novembre 2008
ISBN : 2253124796/978-2253124795
Prix : 6,60€


Maître Sinh
15 mars 2009


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