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Evana 4
Philip Le Roy
Au Diable Vauvert, roman (France), policier - SF, 403 pages, Février 2009, 19€

Le jour des noces de Zender Arbacan avec un top-model allemand, une furie à moto fait feu sur les mariés. Une balle dans l’épaule qui conduit le producteur de cinéma à l’hôpital en guise de nuit de noces, et le pousse à faire le point sur sa vie.
Produit eugénique de ses parents, enfant gâté devenu grand, avant de se ranger dans la normalité, il a été porté par un rêve : produire au cinéma la femme idéale, celle qui rendra tous les hommes éperdument amoureux. Quitte pour cela à modeler l’actrice élue à sa guise et, bonheur ultime, à confondre la fin tragique de l’héroïne, un suicide final, et celle de son interprète.

Deux raisons à cela : la faire entrer dans la légende telle une icône désormais inaltérable, et assurer le succès du film par un battage médiatique sans précédent.



Ce film, c’est « Evana 4 ». La quatrième version fut la bonne, car seule la quatrième actrice accepta de se livrer totalement à lui. De ne pas être seulement sa maîtresse et son pantin, mais aussi d’accepter de mourir une fois le film terminé. Après que Zender l’eut abandonnée et poussée à mettre fin à ses jours.
Et sur son lit d’hôpital, Zender revoie ses anciennes amantes, Elizabeth, sa première inspiration, Helen, son mentor dans le monde du cinéma, Frédérique, Malika et Esther, ses 3 premières Evana “ratées”, Camilla, qui à un suicide près devenait la 5e à reprendre le rôle… Toutes, il les a aimées, toutes, ils les a jetées, détruites…
Lorsqu’on lui tire dessus une seconde fois, Zender est persuadé que son agresseur est l’une de ses anciennes conquêtes. Un plan machiavélique, le seul qui pouvait germer dans son cerveau de cinéaste, le conduit à convoquer dans sa villa niçoise les femmes de son passé, en espérant découvrir laquelle en veut à sa vie…

« Whaou !! » Je sais, c’est un peu court, mais c’est ainsi qu’on peut résumer un Philip Le Roy. Son roman (ses romans devrais-je dire, c’est mon second, et le précédent était de la même veine) sont un curieux mélange de maîtrise captivante et d’un style à la limite du tape-à-l’œil. S’il remercie en fin d’ouvrage, comme principales sources d’inspiration cinématographique et littéraire Joseph Mankiewicz et Agatha Christie, force est de constater que l’hommage ne s’arrête pas à eux seuls.
Lorsqu’il écrit, et ici en plus sur le monde du cinéma, Philip Le Roy convoque tous les monstres sacrés. Ceux d’hier gravés dans le marbre comme ceux d’aujourd’hui qui viennent postuler au titre de légende.
Difficile pour l’auteur de renier Tarentino, tant leur démarche est similaire en apparence : produire du divertissement, des sensations à base d’adrénaline, le tout dans un cliché de leur temps. Là où Le Roy se distingue de QT, c’est que contrairement au cinéaste américain, il ne cherche pas à produire une somme, une œuvre qui se voudrait la quintessence du genre, un objet culturel qui, à défaut de vous suggérer de découvrir ses origines, vous donnerait en bloc toutes les clés du genre tel un concentré du meilleur (malgré tout mon respect pour Tarentino, de toute façon lui-même ne se cache pas de ce double objectif paradoxal qui est le sien). Philip Le Roy va plus loin, sous ses cascades et ses effets spéciaux de papier, en produisant une œuvre originale qui se nourrit de toute cette culture, qui va d’Hitchcock à Andrew Niccol (« Bienvenue à Gattaca », « Simone », « The Truman Show ») en passant par Woody Allen.
Une culture qui est la nôtre, cinéphile ou pas, ce sont des mots, des images, des noms qui nous parlent. Comme ces chansons qui saupoudrent le récit en nous écorchant parfois les oreilles, play-list improbable digne d’un zapping des fréquences radio d’aujourd’hui, en fait état des lieux de la production musicale de cette époque charnière entre les deux siècles. Parce que la culture est partout, dans ce qu’on aime comme dans son contraire, et chacun y trouve son compte.

Et parce depuis Agatha Christie, rien ne se crée dans le polar, seul le décor change, « Evana 4 », malgré son apparence de film de Quentin Tarentino ou de David Fincher (des références qui émaillent la première partie), irrésistiblement la seconde partie, huis-clos entre Zender et ses femmes, évoque Hitchcock bien évidemment, mais me sont revenus des bijoux scénaristiques tels que « L’assassin habite au 21 », de Stanislas-André Steeman (le film de Henri-Georges Clouzot, avec Pierre Fresnay, Suzy Delair et Noël Roquevert est un délice, sorti en 1942), le célèbre « ABC contre Poirot » ou encore le très provocateur « Sex Crimes » (Wild Things, film de John McNaughton avec Neve Campbell, Denise Richards, Matt Dillon et Kevin Bacon, 1998). Confrontation de femmes oblige, j’oserais même évoquer le musical et truculent « 8 Femmes » de François Ozon (2002). Des images certes très variées mais qui, je crois, livrent ensemble un aperçu de ce qui vous attend avec « Evana 4 », tant dans le fond que la forme.
Ce polar est une ode au cinéma. Pour Zender, tout est prétexte à film, dans un esprit très actuel de “télé-réalité” et de réalisme du direct. L’auteur en use dès son sous-titre, “d’après une histoire vraie”, étiquette dont il vanterait la qualité marchande via la bouche de son héros.
Une histoire sur le cinéma qui ferait sans doute un très bon film, nerveux, rythmé, avec la patte d’un amoureux du grand écran. Mais sous la plume de Philip Le Roy, elle fait un bien meilleur roman, truffé de détails et d’allusions, cultivé sans être savant, témoignage écrit plutôt que photographique d’une époque, la nôtre, de son héritage, de son actualité et de ses désirs.

Si vous n’avez pas le temps d’attendre le prochain film de Quentin Tarentino ou de Guy Ritchie, si vous avez envie de lire un livre comme vous regardez un film de Michel Audiard mâtiné de la décontraction de l’« Ocean Eleven » de Soderberg pour jubiler entre les répliques, si vous ne rechignez pas à une petite course-poursuite à la « Taxi », si vous supportez l’idée qu’un producteur couche avec les plus belles femmes qui soient avant de leur proposer de jouer ce que Monica Bellucci a souffert dans « Irréversible » sous l’œil de Gaspar Noé, si vous m’avez lu jusque là et que vous avez tout compris et tout approuvé, je ne pense pas que vous mettrez bien longtemps pour dévorer les 400 pages d’« Evana 4 ».

Et n’oubliez pas, c’est un roman policier, un vrai. On peut donc essayer de deviner qui est l’assassin !

Un dernier mot sur l’édition : Au Diable Vauvert fait des livres magnifiques. Un design adapté à chaque roman (hésitant ici entre la photo de star et la scène de crime), une mascotte un peu vulgaire mais toujours déclinée sur le thème du roman (ici, le diable se la joue James Bond, époque Sean Connery), un portrait de l’auteur en 2e de couverture (parce que c’est sympa de voir la tête qu’ont les gens qui écrivent ce qui nous plaît), un papier des plus agréables sous les doigts, un dos souple qui ne casse pas, une pagination latérale qui rompt avec le classicisme du bête numéro dans le coin en bas…
Bref, ce que j’appelle un beau livre.

PS : un petit relevé des coquilles néanmoins :
(je fais ça pour la perfection du prochain tirage)
- Page 36 : acquiert > mauvaise conjugaison à l’impératif = acquiers
- Page 164 : côte d’Azur > manque la majuscule à Côte
- Page 187 : Qu’il soit vu par un maximum de gens > manque le point final
- Page 263 : que tu nous sa raconté > as, pas sa
- Page 275 : la moitié de l’assistance à déjà décroché > a, pas à

Et pour pinailler :
- Pages 332 et 339 : conard, ça m’a choqué avec un seul N, mais mon
Larousse 2002 accepte les deux... question de goût ? de Scrabble :-D


Titre : Evana 4
Auteur : Philip Le Roy
Couverture : Olivier Fontvielle (design) & Getty (photographies)
Editeur : Au Diable Vauvert
Collection : Littérature Générale
Site Internet : page roman
Pages : 403
Format (en cm) : 20 x 13 (broché, moyen format)
Dépôt légal : février 2009
ISBN : 978-2-84626-182-1
Prix : 19€



Nicolas Soffray
25 février 2009


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