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Dimension Espagne
Sylvie Miller (Anthologie dirigée par)
Black Coat Press, Rivière Blanche (Fusée), Nouvelles, traduction de l’espagnol (Espagne), SF, 320 pages, 2006, 20€

La SF espagnole, voilà une expression qui pourrait étonner ou faire sourire. Erreur. La SF en Europe, et en Espagne en particulier, a connu un développement accéléré et d’une grande qualité juste au tournant du second millénaire…

Il est une règle d’or chez les chroniqueurs et autres journalistes : ne jamais s’exprimer à la première personne afin de donner un tour « objectif » à des articles forcément subjectifs.

Commençons donc par une entorse à ce principe : La SF en langue espagnole fut l’objet d’une longue quête sans grand succès de votre serviteur, en Espagne au milieu des années 90 puis en Amérique latine passé les années 2000…



Don Quichotte de la SF


La première chose que l’on me conseilla fut J.J. Benítez et son Caballo de Troya (« Le Cheval de Troie »), que je n’eus aucun mal à trouver au rayon best seller.

Et pour cause. L’auteur s’avéra être un équivalent local de notre Jimmy Guieu (version catholique). Son histoire de voyage dans le temps à l’époque du Christ, totalement dépourvue d’humour, eut raison de ma ténacité au bout d’une cinquantaine de pages.

D’autres romans, difficilement débusqués chez les bouquinistes du coin, se sont avérés plus intéressants, mais la moisson restait maigre.

Or la situation a, depuis, rapidement et énormément changé. Des romans uchroniques comme « Le Mythe d’Er » de Javier Negrete, paru en France en 2003 ou le space-opera de Juan Miguel Aguilera avec « Les Enfants de l’Éternité », paru en 2005 chez nous, ont ainsi rencontré un succès dans l’Hexagone (une première !) , ouvrant une ère radicalement nouvelle dans la SF espagnole qui déborde désormais du cadre national.

Cette anthologie de Sylvie Miller aux éditions Black Coat Press (Collection Rivière Blanche) arrive donc à point nommé pour faire connaître ce courant qui mérite amplement de l’être - comme le lecteur le découvrira très rapidement…

Dimension Espagne

Rassurons d’emblée le novice, l’inquiet, le pressé : pas besoin d’être un maniaque de la SF ou un adepte des films d’Almodovar. Les novelas courtes qui composent ce recueil se dévorent avec voracité, comme les meilleures histoires du temps de l’Âge d’Or de la SF made in USA.

La première d’entre elles, La Forêt de Glace (El Bosque de Hielo) de Juan Miguel Aguilera nous convainct dès le commencement.
Cette plongée au cœur d’une colonie basée sur la ceinture d’astéroïdes est rendue crédible en quelques mots : sur cette frontière glacée et lointaine les manipulations génétiques créent des “arbres” géants (mais aussi des humains modifiés) rendant l’environnement hostile habitable.
La protagoniste va devoir enquêter sur la réapparition d’un vaisseau parti il y a plus d’une dizaine d’années et qui s’est écrasé non loin de là. Tous les occupants sont morts ou portés disparus...
C’est alors qu’un étrange organisme biologique extra-terrestre figé dans la glace est découvert…
Un récit magistral ou la Hard Science se marie à la perfection avec le sens du merveilleux des grands classiques.

Après cette plongée dans le Nouveau Space Opera, c’est au tour du Voyage dans le Temps d’être illustré avec Dernière Visite avant le Christ, sans se départir d’un humour grinçant, en une sorte de clin d’œil (involontaire ?) au soporifique Caballo de Troyas. Des voyageurs temporels fortunés sont amenés à visiter l’époque du Christ et en bons touristes se montrent déçus de ne pas trouver sur place les images de cartes postales auxquelles ils s’attendaient… avec ici de lourdes conséquences sur l’Histoire.

Juan Miguel Aguilera, également présent à travers une fable onirique qui fait se rencontrer Victor Hugo et Pierre Theillard de Chardin (tout en leur rendant un vibrant hommage), est incontestablement l’une des “stars” de la SF espagnole. À ce titre, il figure bien justement en introduction et comme poids lourd de ce recueil.

Mais d’autres excellentes surprises attendent le lecteur. On retrouve la critique sociale, comme dans la meilleure SF américaine des 60-70’s, distillée sans lourdeur et avec humour dans nombre de textes qui suivent.

C’est le cas notamment avec Champs d’automne de Daniel Mares, dans lequel nos meilleures intentions (élever l’espérance de vie et permettre aux personnes âgées de continuer à se sentir utiles) ont conduit à la création de villes entièrement réservées au quatrième âge.
En charge d’une enquête pour meurtre, l’inspecteur plus que centenaire, accompagné de son encombrante assistante venue de l’extérieur, nous raconte avec gouaille sa mission sur fond d’arthrite…

Elia Barceló manie elle aussi la satire sociale et la SF en décrivant de manière désabusée dans Les Réapparus comment la résurrection des défunts via le clonage finie par devenir banale à force de médiatisation… Sauf pour le protagoniste, victime d’une morbide histoire d’amour.

Ces deux derniers textes présentent une autre caractéristique récurrente de la SF ibérique dans ce recueil : le croisement avec d’autres genres, comme le polar et le roman noir, hybridations réussies pour notre plus grande délectation et qui approfondissent des pistes peu fréquentées par la SF.

Quelques nouvelles sont à connotations plus poétiques ou surréalistes, comme La Route de Rodolfo Martínez : sur une planète-aberration, ceinturée d’une route sans fin parsemée d’évènements non euclidiens, des pilotes s’efforcent d’en percer les secrets.
Enfin, un récit de Eduardo Vaquerizo, plus “classique” avec son histoire de robots solitaires abandonnés sur Terre, clôt le recueil sur une note de mélancolie.

De quoi donner envie de passer rapidement au plat de résistance en découvrant ces auteurs dans leurs romans… ce qui est en substance aussi le but de cette compilation de nouvelles, véritable “Guide du Routard de la SF Espagnole” avec sa postface fournie sur le sujet.

Bref, on ne saurait trop vous recommander cet ouvrage de référence pour vous guider dans la découverte de cette branche vigoureuse de la SF européenne, dont on espère qu’elle donnera beaucoup de fruits, à l’image du jeune cinéma fantastique espagnol.

Note : Ceux qui voudraient explorer l’univers de Juan Miguel Aguilera peuvent consulter sur la Yozone les critiques de « Mondes et Démons » et du « Sommeil de la Raison ».


Titre : Dimension Espagne (nouvelles, 2006)
Nouvelles : Juan Miguel Aguilera (La Forêt de Glace, Dernière Visite avant le Christ, Voyage au Centre de l’Univers), Elia Barceló (Les Réapparus), Victor Conde (Le Fil de l’Épée de Bois), Daniel Mares (Champs d’Automne), Rafael Marín (Mein Führer), Rodolfo Martínez (Il Traverse le Désert, La Route), Eduardo Vaquerizo (Les Chemins du Rêve, Une Terre Pleine de Questions)
Traductions  : Sylvie Miller
Couverture : Juan Miguel Aguilera (illustration)
Éditeur : Black Coat Press
Collection : Riviere Blanche
Site Internet : page recueil (site éditeur)
Pages : 320
EAN : 1-932983-85-6
ISBN : 978-1-932983-85-2
Prix : 20€ (+3€ auprès de l’éditeur)



Maître Sinh
29 janvier 2009


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