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Révolte sur la Lune
Robert Heinlein
Gallimard, Folio SF, n°320, roman traduit de l’anglais (USA), SF, octobre 2008, 617 pages, 8,40€

Dans un futur proche, la Lune est devenue la colonie pénitentiaire d’une Terre qui rejette fermement les opposants politiques à son mode de vie.
Tout irait pour le mieux dans le pire des mondes si ce lumpen prolétariat carcéral composé des prisonniers et de leurs descendants n’avait décidé de se révolter et de reprendre les rênes de sa destinée.

Robert Heinlein surprend et étonne, une fois de plus, sur un terrain où on ne l’attendait pas ! Il est vrai que bâtir un roman de SF très inspiré des thèses issues d’une époque précédant la Première Internationale Ouvrière était un choix aventureux.




Robert Heinlein (1907-1988) figure tutélaire de l’âge d’or de la SF à l’égal d’Isaac Asimov ou de Ray Bradbury, a livré quelques chefs d’œuvres de la SF en explorant souvent des territoires de l’imaginaire qui n’auraient jamais dû l’accueillir.
On le sait, ses opinions politiques étaient plutôt tranchées et la postérité, ô combien réductrice et simplificatrice, retient surtout ses engagements pro guerre du Vietnam et franchement de droite.
Cependant, rien n’était blanc ou noir chez cet homme, et, exemple parfait de l’art du contre-pied du grand maître, « En Terre Étrangère » fut quasiment le livre de chevet de la flower generation.
Quant à ce « Révolte sur la Lune », c’est quasiment -et schématiquement- l’histoire d’une révolution libertarienne sise sur la Lune dans les années 2075. Ouvrons une parenthèse : optique steampunk en moins, tout cela devrait aussi vous rappeler le roman hommage de Joahn Heliot intitulé « La Lune Seule le Sait » critiqué ici et par les confrères Hervé et Henri. Fermons la parenthèse.

Dans ce « Révolte sur la Lune », tout commence par la rencontre d’un certain Manuel Garcia O’Kelly avec un ordinateur -qu’il surnommera Mike- et qui vient d’accéder à la conscience. Nous sommes sur la Lune, dans une de ces cités de type termitières souterraines, qui héberge les forçats que la Terre exploite à distance.
Surprise, la machine, qui n’en est plus vraiment une, prédit que les ressources lunaires sont en voie d’épuisement à très court terme.
Conclusion logique, si rien ne change, la colonie sera tout à la fois détruite de l’intérieur par la pénurie, mais aussi de l’extérieur dès qu’elle ne sera plus utile à la Terre. Ce constat provoque évidemment le début des opérations révolutionnaires qui vont aboutir à la constitution d’une entité politique assez inédite.
Ceci fait, la seconde partie du roman se concentre sur les rapports conflictuels que la Lune va entretenir avec ses anciens maîtres terriens et sur la guerre interplanétaire qui gronde.
Le tout est rythmé par de nombreux dialogues où l’écrivain fait vivre sa narration à grande vitesse, parsemant son récit de quelques marottes comme la polygamie ou la polyandrie qui pimentent d’une saveur provocatrice sa nouvelle société.

Alors imaginez la surprise de ses lecteurs lors qu’ils eurent dans leur main cet ouvrage, tout entier dédié à des idéaux presque anarchistes mâtinés d’ambiances plus que permissives.
Cependant dans « Révolte sur la Lune », Heinlein ne devient pas membre du Kominterm ou de la Deuxième Internationale ni d’une nouvelle secte prônant la révolution sexuelle.
Les idées développées s’inspirent beaucoup plus d’une philosophie tout à la fois très progressiste et d’un ultra-conformisme basé sur la notion de contrat individuel. L’affaire se compliquant quand on comprend que le tout n’est pas très loin d’être poussé à un stade paroxystique renvoyant les néo-libéraux actuels au rang de dangereux gauchistes.
Paradoxe de la période d’écriture et de publication du roman (seconde partie des années soixante), la société américaine est en pleine effervescence, s’embourbe au Vietnam et le champ de bataille idéologique rejaillit même sur les rêves de cette grande puissance dans une course effrénée à la nouvelle frontière lunaire qu’elle va livrer à l’URSS.
Conclusion évidente, l’écrivain part des préoccupations centrales de ses compatriotes et de son temps. Il utilise son pouvoir d’empathie pour créer une histoire qui éveillera forcément l’intérêt de ses lecteurs par l’évocation de soucis et d’espoirs très contemporains. Le fait d’utiliser le registre de la SF devient quasiment accessoire à sa thèse et le décorum futuro technologique utilisé a plutôt mal vieilli dans son ensemble.
En dernière analyse, le roman est somme toute l’histoire d’une “utopie” qui fonctionne malgré ses rapports conflictuels avec une société plus conventionnelle (et coloniale).

Quasiment cinquante ans plus tard, le bouquin tient toujours le coup. Certes, il est trop long d’une bonne centaine de pages au minimum, tout comme « En Terre Étrangère » d’ailleurs. Qui plus est, il contient dans sa structure même, une impossibilité théorique à être totalement convaincant tant il va loin dans le calcul des probables « incroyables » de la situation. En outre, l’intérêt pour les thèses révolutionnaires développées est un peu passé de mode et Heinlein ayant travaillé son sujet, un référentiel politico-philosophique commun avec l’auteur est à prévoir pour pleinement savourer (et comprendre) la chose.
Certes, le temps passant, on rigole aussi pas mal devant les raccourcis qu’empruntent souvent la pensée d’Heinlein (et ses personnages avec). De fait, ce « Révolte sur la Lune » a sans doute perdu de son prestige et porte en lui une certaine artificialité qui le tire vers l’exercice de style brillant, mais un peu déconnecté de la réalité (même la réalité SF et même dans un lointain futur).
Certes, certes, rien n’est parfait en ce bas monde et l’on est même en droit de trouver qu’Heinlein n’est jamais aussi bon que quand il restreint son débit et vise la concision comme dans son « Histoire du Futur ».

Cela dit et posé, il y a un réel plaisir à relire ce roman. Le suspense y est bien présent, les enchaînements très fluides, l’action emballante quoique pas exagérément centrale et Robert Heinlein sait écrire. Sa gestion des dialogues est un modèle stylistique du genre, sa causticité naturelle (son humour souvent misanthropique) confèrent à l’ensemble un parfum des plus agréables et si quelques digressions font incontestablement partie du trop plein à zapper, le tout est encore de bonne tenue.

Témoignage de la complexité des grandes lignes inspiratrices d’un écrivain inclassable, échos du contexte politique d’une époque où le débat faisait encore rage, « Révolte sur la Lune » paraissait sans doute beaucoup plus crédible dans les mid sixties qu’en 2008. Partant, ce qui faisait débat et attirait l’œil lors de sa parution devient un centre d’intérêt quasi archéo-littéraire aujourd’hui.
O tempora, o mores d’accord, mais au-delà de ces réserves, un écrivain talentueux est là et bien là.
Bilan ? Lecture toujours conseillée en 2008.

PS : attention, cette édition de poche Folio SF reprend la version publiée par les éditions Terre de Brume en 2005 et non la version du Club du Livre d’Anticipation (Opta) reprise ensuite en poche (Pocket par exemple).

À Lire également sur Robert Heinlein

- « Solutions non Satisfaisantes, une Anatomie de Robert A. Heinlein » par Ugo Bellagamba et Eric Picholle (édition Les Moutons Électriques, Février 2008).

- Délices & Daubes n°55 : « Le papa des hippies était-il un anar nietzschéen ou un populiste ? »
- Délices & Daubes n°56 : « Il y a classique et classique, au cas où cela vous aurait échappé »

- Critique de : « Double Étoile », Prix Hugo 1956

Titre : Révolte sur la Lune (The Moon is a Harsh Mistress, 1966)
Auteur : Robert Heinlein
Couverture (illustration) : Yann Tisseron
Traduction : Jacques de Tersac, révisée par Nadia Fisher
Précédente édition : Terre de Brume, 2005
Editeur : Gallimard
Collection : FolioSF
Numéro : 320
Catégorie : F11
Site Internet : fiche roman (site éditeur)
Pages : 617
Format (en cm) : 17 x 3 x 10 (poche, broché)
Dépôt légal : 2 octobre 2008
Code Hachette : A 34362
ISBN : 978-2-07-034362-1
Prix : 8,40€


Stéphane Pons
17 octobre 2008


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