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Attention chef-d’œuvre !
La Voix du feu de Alan Moore
Délices & Daubes n° 96


Et voilà, pan la claque ! Bien fait pour moi ! J’ai prétendu ne pas aimer les exercices de style, les recueils de nouvelles, les réécritures de l’Histoire, les textes sombres et glauques. Et bien ce bouquin est tout ça à la fois et bien plus encore, et c’est un chef-d’œuvre.

Alan Moore est surtout connu pour ses romans graphiques comme V pour Vendetta, From Hell ou Watchmen (prix Hugo). Cette « Voix du feu » est son premier roman. Il a mis 5 ans à l’écrire. Publié en 1996 Outre-Manche il n’est paru en France qu’en ce début d’année, 12 ans après, chez Calman-Lévy, collection “Interstices”, traduit par Patrick Marcel, superbe couv de Néjib Belhadj Kacem, bravo et merci à eux.

N’écoutez pas Neil Gaiman dans sa préface qui dit qu’on peut commencer n’importe où, y compris par la fin. Non, il faut commencer au début et lire ces histoires dans l’ordre. Parce que malgré les millénaires ou les siècles qui les séparent, elles forment un ensemble qui se construit progressivement. Il y a douze de ces voix du feu. Le titre anglais (Voices of Fire) est au pluriel.
Le début est difficile, voire rebutant : la première nouvelle se passe au néolithique et c’est un gamin simple d’esprit qui raconte, dans une langue qui ressemble au petit-nègre, et c’est longuet (60 pages). Après ça va mieux.
Chacune des histoires est racontée à la première personne, par le personnage qui va mourir ou qui est déjà mort, avec le style de son époque et de son caractère. Alors non c’est pas gai du tout, dramatique tout du long, parfois horrible, souvent atroce. Mais les rares respirations où l’humour ou le plaisir de vivre transparaissent suffisent pour ne pas désespérer.

Dans le dernier chapitre, c’est l’auteur qui prend la parole, mais ce n’est pas du tout une de ces habituelles et pénibles mises en abîme de l’écrivain examinant son nombril. Il s’inscrit directement dans la descendance de tous ces habitants de Northamton, élevés à la dure, de misère et de violence, de magie et de croyances, de visions et de traditions, dans le froid et la pluie, avec des paysages et une architecture prégnantes.
Voilà ce qu’il en dit : « Ça parle du message vital que les lèvres raidies des décapités articulent encore ; du testament de chiens noirs et spectraux écrits à la pisse à travers de nos mauvais rêves. Ça parle d’invoquer les morts pour qu’ils nous disent ce qu’ils savent. C’est un pont, un carrefour, un point d’usure dans le rideau qui sépare notre monde du monde souterrain, entre le mortier et le mythe, les faits et la fiction, une gaze élimée, épaisse à peine comme une page. Il parle de la puissante glossolalie des sorcières et de leur révision magique des textes dans lesquels nous vivons. »

Ce bouquin est profondément original, extraordinairement construit et écrit. Il est parcouru par une volonté puissante de comprendre le sens des choses.

À mon tour (comme mes confrères devant “La Route”, voir le D&D 94) de rester ébahi et sonné en refermant ce livre hors normes.


Henri Bademoude
21 mars 2008


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