Alors que son premier roman, « Felis Silvestris », est sur le point de sortir, Anouck Lejczyk entame un stage intitulé « Travaux forestiers spécialité bûcheronnage ». Un stage qui l’entraînant plus loin qu’elle ne le pensait, l’incitera à rester dans ce milieu une année entière, et lui fournira à la fois le matériau et l’inspiration pour le présent ouvrage.
Entre notes jetées à la volée et prose poétique, Anouck Lejczyck rapporte les difficultés et les joies des métiers de la forêt. Pas de paragraphes, parfois pas vraiment de phrases, on passe souvent et rapidement à la ligne, avec un aspect personnel, un brin expérimental. On s’y fait, parfois cela fonctionne, parfois cela sonne un peu haché. On pourra penser à cet autre documentaire professionnel écrit de la même manière qu’est « Mécano » de Mattia Filice (P.O.L. 2023, réédition Folio 2024), dont l’auteur se trouvait lui aussi en immersion professionnelle, mais comme conducteur de trains. Monde forestier, monde ferroviaire, on les découvre dans ces deux ouvrages de façon similaire, par petites touches, par volées de phrases courtes, de blocs de mots, en séquences, en saccades, parfois à la serpe, parfois au merlin, sans majuscules ni ponctuation.
La vie à l’extérieur, au concret, au grand air, la forme physique améliorée (« la forêt est à la fois ma salle de sport et mon institut de beauté »), les anecdotes (le collègue qui a séduit sa femme en attirant un renard en pleine nuit sur une route de forêt), les rencontres animales (chamois, chevreuils, lynx, renards, sangliers), mais aussi la rencontre d’autres métiers, d’autres passions. C’est ainsi qu’Anouck Lejczyk découvre également la forêt au prisme de la chasse, en tant que rabatteuse, jusqu’à ce que, d’une certaine manière, l’horreur finisse par la submerger. Elle arrête les chasses, elle arrive par ailleurs au bout de son stage d’une saison. Mais elle se décide : pour les travaux forestiers, elle va continuer.
La voilà donc qui, après un automne de découverte et d’apprentissage des écosystèmes forestiers, de la nomenclature des essences, de la pratique de la tronçonneuse et du fendage de bois à coups de merlin, repart pour trois nouvelles saisons, hiver, printemps, été, à la découverte de biotopes différents et d’activités variées. Le travail de piégeur (petite astuce : les renards aiment bien la sauce nuoc nam), le marquage des troncs à la peinture pour baliser les pistes équestres, les finesses de l’herbier, le travail dans les terrains de golf et les parcs des châteaux, la lutte contre les espèces invasives, dont la renouée du Japon, les élagages et les coupes, le dégagement des fougères-aigles, les plantations, l’éclaircissement des sentiers de randonnée, la mise en place de panonceaux. Le travail, oui, et les risques du métier, mais souvent, entre le bien-être mêlé de fatigue, les pique-niques et les siestes, de minuscules épiphanies viennent compenser les blessures et les doutes.
Mais l’activité de stagiaire en milieux naturels n’est pas exclusive, car c’est durant cette année que sort le premier livre d’Anouck Lejczyk : premières devantures, premiers interviews, et même un passage rapide avec d’autres auteurs à l’Elysée. Des moments de bonheur qui, comme ceux liés à la nature, n’empêchent pas Lejczyk de noter également l’âpreté du réel : derrière la beauté, le trivial, les restructurations et les suicides, la manie qui paraît désormais universelle des renommages et des acronymes (on n’a plus le droit de parler des nuisibles mais d’ESOD : Espèces Susceptibles d’Occasionner des Destructions), les préjugés et les sympathies, les parcours et particularités des un(e)s et des autres.
Le lecteur peu familier de ces professions fera donc avec Anouck Lejczyk un beau tour d’horizon des milieux naturels et de leurs métiers, des façons d’y vivre et de les préserver. Il y gagnera, disséminées ici et là, maintes informations, maintes connaissances. Entre procédés mnémotechniques (on reconnaît le hêtre à ses feuilles velues, parce qu’on dit « hêtre à poil”) et réfutations d’idées reçues (le lierre engainant les troncs des arbres n’en est pas le parasite), on glanera un vocabulaire peu courant, on apprendra ce qu’est une feuille décurrente, la différence entre pubescent et pubérulent, ce que signifie merrandier, foyard, horizon d’accumulation et l’horizon d’altération ; on y découvrira aussi des maladies végétales aux noms poétiques, comme l’encre ou la chalarose.
Des titres brefs, parfois eux aussi poétiques (“Trois tiques et une prière”, “Mathématiques de l’ombre”, “Faire entrer la lumière”, “Physique des stères”) ou joliment trouvés (“Classe de cépée”” “Routine and out”, “Lunchbox de Proust”) annoncent chaque chapitre bref, une ou deux pages en moyenne. Des pages qui se tournent rapidement : même si le pari n’était pas forcément gagné d’avance, ces « Copeaux de bois » se lisent aisément et souvent avec fluidité. En un peu plus de trois cents pages, et sous une élégante couverture à rabats (et illustration sous rabats), une belle et plaisante découverte.

Titre : Copeaux de bois
Auteur : Anouk Lejczyk
Couverture : Studio J’Ai Lu
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Les Êditions du Panseur, 2023)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 14468
Pages : 317
Format (en cm) : 11 x 17,7
Dépôt légal : septembre 2025
ISBN : 9782290404263
Prix : 8,20 €