Faut-il se voir un jour ressuscité pour connaître l’avenir de sa profession ? Dans “Muséum rose”, le monde a suivi sa course vers le capitalisme à outrance et le superficiel, on est dans l’univers sinistre des marques, du branding avec la privatisation des espaces et des services publics, comme l’avait décrit Alain Damasio dans « Les Furtifs ». Dénaturé, gadgétisé, le monde a perdu son essence. Dans cette dystopie qui pourrait bien être notre futur (très) proche, plus de Muséum mais un épouvantable Lukratik Park de Disnew Science où les chercheurs eux-mêmes, morts ou vivants, pourraient bien être eux aussi la propriété de quelque firme biotech ou de quelque conglomérat façon zaibatsu à la William Gibson.
Tonalité plus légère avec “Sauvés de justesse” qui pourra rappeler quelques récits de l’âge d’or de la science-fiction, en particulier les nouvelles brèves de Fredric Brown. Ou comment l’humanité, de manière inattendue, pourrait se trouver confrontée à des extra-terrestres pour qui elle ne serait pas grand-chose – des extra-terrestres qui ne manqueraient en tout cas pas d’ironie.
C’est un fait : dans les années 2060 les humains auront conquis la planète Zorb (que connaissent les amateurs de Star Wars). Charge au Muséum d’Histoire Naturelle d’étudier “La zorbie”, créature vivante apparaissant comme un bioréacteur aux propriétés stupéfiantes. La créature est ici l’équivalent de l’artefact souvent machinique de la science-fiction classique, dont l’on cherche à comprendre et à utiliser les propriétés. Un récit inventif, servi par une chute joliment trouvée et pleine d’humour.
Vient ensuite, en écho, conséquences et développement de la nouvelle précédente, une série de textes qui ne forment pas chacun un récit à part entière, mais composent une série de trois chapitres consacrés à un impensable analogue de George Cuvier, figure tutélaire du Muséum d’Histoire Naturelle dont il fut le directeur, et fameux paléontologue dont la statue trône dans la galerie de minéralogie. Avec “Gégé”, “La Revanche de Gégé“, “La Chute de Gégé”, l’odyssée tragi-comique d’un ersatz de Cuvier.
S’il est question en début de récit de neuromatrice, terme cher à Maurice G. Dantec, on retrouvera surtout dans “L’espion” (tout comme dans la nouvelle “Plénitude de 8aJ34” du recueil « Contes des cinq sens » d’Emmanuel Brière Le Moan), un petit goût des théories et des travaux toujours controversés de Suzanne Simard. Un récit ici encore très classique mais bienvenu d’invasion extra-terrestre – on pense aussi à ces colonisations animales ou végétales dont l’histoire des sciences est profuse – qui par son caractère invisible et tout en douceur ne manque pas de susciter le frisson.
Un soupçon moins en lien avec le Muséum, mais très parisien et très français dans ses ambiances, “Blanc-cass” ne s’intéresse pas à l’évolution au sens biologique mais plutôt au sens de l’environnement immédiat et de la concurrence que viennent se faire modernité et tradition. Une dénonciation plaisante du gaspillage de cette technologie qui vient, avec une inutilité flagrante, s’insinuer dans les actes les plus courants et les plus simples de la vie quotidienne. Avec sa chute particulièrement réussie, et avec une ironie féroce, “Blanc-cass” met en scène le destin de l’authentique dont ne subsiste plus que l’apparence.
En imaginant une des évolutions possibles du Muséum d’Histoire Naturelle, “Prospérité” est à classer au côté de “Muséum rose”. Captant lui aussi l’air du temps, qui de plus en plus multiplie et charrie des relents d’obscurantisme, ce texte vient s’inscrire dans la mouvance globale de régression de l’intellect au profit des croyances, avec comme conséquence l’abandon des acquis – la théorie de l’évolution – et le grand retour en arrière vers la théorie de la création. Une nouvelle que d’aucuns, au vu de ce qui se passe outre-Atlantique, seraient tentés de considérer comme prophétique, mais ce serait oublier que la tendance était déjà limpide bien avant son écriture.
“Bonne pêche” apparaît comme une variante sur un thème très classique : la méprise d’archéologues du futur sur ce qui nous apparaît particulièrement évident. Un petit texte amusant qui devrait, comme ses prédécesseurs sur le thème, inciter les archéologues contemporains à la modestie et à la modération quant à leurs conclusions très savantes, mais presque toujours invérifiables. On en rapprochera “Oops ! Wrong planet !” qui elle aussi marche sur les brisées de ses prédécesseurs sur un thème très voisin : la découverte et la mésinterprétation des traces de l’humanité par des extra-terrestres. Un brin de malice envers les concepteurs de cette nouvelle galerie de l’évolution qui n’a en effet jamais convaincu grand-monde.
“Cœur voyageur” brode autour d’un fait authentique, celui de la conservation du cerveau de Buffon. À partir de cet élément, Guillaume Lecointre imagine un amusant chassé-croisé d’organes et de reliques anatomiques et les interprétations possibles de leurs découvertes. Peut-être ne s’y attendait-on pas vu le profil du personnage, mais on voit s’entrecroiser ici et là du libertin et du révolutionnaire.
Complété par une brève série de notes et par une postface explicative destinée à ceux qui ne connaissent ni le Muséum ni ses grandes figures, ce « Muséum 2080 », composé de nouvelles brèves et pleines d’humour, aborde un large éventail de thèmes et de tonalités. Entre tendances sociologiques du moment, futur proche qui déjà se dessine et histoire des sciences revue à travers le prisme de la science-fiction, « Muséum 2080 » fait un plaisant petit volume, un fix-up original autour du Muséum National d’Histoire Naturelle.

Titre : Muséum 2080
Auteur : Guillaume Lecointre
Couverture : Enki Bilal
Éditeur : Antidata
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 154
Format (en cm) :10 x 17
Dépôt légal : mars 2025
ISBN : 9782919285365
Prix : 10 €