Cette idée étonnante sert de moteur à ce récit plein d’enseignements. Damira Khismatullina est justement cette perle rare dont la mémoire a été sauvegardée comme celle d’autres grands cerveaux de la Russie. Damira a voué son existence à la sauvegarde des éléphants, elle se battait sur le terrain en Afrique pour les protéger, mais le combat face aux contrebandiers s’avérait par trop inégal, le nombre des victimes sacrifiées sur l’autel de la cupidité humaine ne cessait d’augmenter et, même Damira, a fini assassinée.
Aujourd’hui les animaux tels que les éléphants, les rhinocéros et autres n’existent plus à l’état sauvage, les hommes les ont tous tués au nom du profit généré par le marché noir de l’ivoire ou autre. Ses connaissances dans les besoins des éléphants et son énergie mise à leur service apparaissent aux chercheurs du futur comme leur dernier espoir d’empêcher les mammouths de péricliter. Aussi, proposition est-elle faite à sa sauvegarde mémorielle d’être implantée dans le cerveau d’un grand mammouth, et voici Damira renaissant dans un de ces géants de la Taïga ramené à la vie par la science.
Autant dire que Damira est revancharde, portant encore le deuil de tous les éléphants tués, ainsi que de ceux qui les protégeaient à ses côtés. Dans ce corps puissant et aidé des autres matriarches, elle a les moyens de se défendre. Un élément déclencheur va lui rappeler cet état.
Dans le drame qui se joue dans ces pages, il y a trois parties : Damira et les mammouths l’accompagnant, des contrebandiers qui auront vaincu tous les obstacles pour se procurer des défenses de mammouth et un riche homme d’affaires capable de payer pour un nouveau trophée.
Qu’un mammouth soit abattu pour sortir de la misère ou à l’inverse parce que l’on a assez d’argent pour se le permettre, Damira ne peut l’accepter.
Ray Nayler joue sur plusieurs tableaux, interrogeant les motivations des divers intervenants. Aller contre la loi sans se soucier de la vie animale comme seul moyen de s’élever au-dessus de sa condition ou avoir l’autorisation moyennant une somme extravagante de tuer un animal protégé pour subvenir au besoin de cette gigantesque réserve, quelle est la différence ? Le résultat est le même, mais seul l’argent permet de s’acheter une respectabilité. L’auteur développe très bien cette ambigüité qui pose question. Dans le viseur de la lunette du fusil, les mammouths, dont Damira qui ne peut rester sans réagir. Les massacres n’ont pas le droit de recommencer dans ce futur. Pour autant, faut-il réagir à la violence par la violence ? N’y a-t-il plus que ce moyen pour être entendu ? Et puis l’originalité réside aussi dans le fait que Damira est à présent un mammouth, plus une humaine, mais cela la dédouane-t-elle de toutes responsabilités ? Que d’interrogations soulevées dans cette novella très bien menée ! Les rapports entre humains ne sont pas négligés et cette chasse révèle le fond de la personnalité de chacun.
« Défense d’extinction », titre bien trouvé, emporte le lecteur entre la Taïga et l’Afrique quand Damira se souvient de sa vie humaine. La problématique y est la même, mais Damira n’est plus une fragile femme. En tant que mammouth, elle n’incarne plus la faible victime, elle apprend aux autres à subsister, aussi bien en trouvant de la nourriture en toute saison qu’en se défendant face aux prédateurs, hommes compris.
Ray Nayler développe sans faillir son idée de départ et ses conséquences. Les avis étaient partagés, alors était-ce une bonne ou mauvaise idée que de ramener Damira ? À chacun de répondre à la question.
Ce court roman s’avère brillant et intelligent, il mérite amplement la lecture par les questions qu’il soulève.
Titre : Défense d’extinction (The Tusks of Extinction, 2024)
Auteur : Ray Nayler
Traduction de l’anglais (États-Unis) : L’Épaule d’Orion
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 58
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 156
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : mai 2025
ISBN : 9782381631776
Prix : 12,90 €
Ray Nayler sur la Yozone :
« La montagne dans la mer »
Derniers titres de la collection chroniqués :
48. « Barbares » de Rich Larson
49. « Sweet Harmony » de Claire North
50. « De l’espace et du temps » d’Alastair Reynolds
51. « La marche funèbre des marionnettes » d’Adam-Troy Castro
52. « Kid Wolf et Kraken Boy » de Sam J. Miller
53. « L’automate de Nuremberg » de Thomas Day
54. « Les fils enchevêtrés des marionnettes » d’Adam-Troy Castro
55. « Les armées de ceux que j’aime » de Ken Liu
56. « As-tu mérité tes yeux ? » de Eric LaRocca
57. « L’inversion de Polyphème » de Serge Lehman
59. « À lire à ton réveil » de Robert Jackson Bennett
Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr