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Fabien Nury... à propos d’Electric Miles
“Electric Miles” est une création de Fabien Nury et Brüno
Glénat - Parution le 2 avril 2025

Ils ont déjà réalisé “Atar Gull”, la série “Tyler Cross” (2013 à 2018) et“ L’Homme qui tua Chris Kyle” (2020). Cinq ans plus tard, ils marquent leur retour d’un récit sur l’Âge d’or américain des pulps, mais plus encore ils s’intéressent à celui qui crée, l’auteur, ici un homme déchu qui a des rêves plus grand que de juste publier un livre. Il veut marquer son époque, influencer ses lecteurs et devenir leur gourou !
Fabien Nury raconte comment le projet « Electric Miles » a vu le jour et ce qu’il compte en faire avec Brüno.



Vous revenez chez Glénat après avoir marqué les esprits avec la saga historique “Il était une fois en France”. Cette fois, on suit le parcours d’un écrivain déchu qui tente de revenir sur le devant de la scène pour changer la face du monde. Comment vous est venue l’idée de vous emparer d’un tel sujet et depuis quand réfléchissez-vous à ce projet ?

Depuis environ quinze ans, Brüno et moi réfléchissons à un projet pulp : notre envie était au départ assez vague, avant tout une volonté de revisiter l’imaginaire hollywoodien classique. Rétro-SF, fantastique, aventure exotique, espionnage… tout ce mélange de genres à l’origine très bis, très cheap, qui en cent ans est devenu l’essentiel de la production hollywoodienne de blockbusters. En gros, il s’agit de revenir à King Kong, Zaroff, aux classiques Universal et aussi aux magazines de cet âge d’or. À une certaine époque, pour 10 cents, vous pouviez lire du Hammet, du Chandler, du Asimov ou du Van Vogt… Nous avons exploré cet univers pendant un bon moment, et mis sur le papier un grand nombre de projets inaboutis. C’était un peu notre danseuse, ou notre arlésienne. Nous n’arrivions pas à trouver un point de vue, un personnage original, et nous n’avions pas envie de passer des années à refaire un Doc Savage ou un Bob Morane. Et puis nous avons « craqué » le projet en découvrant que plutôt qu’un héros de pulp, nous allions décrire la vie d’un auteur de pulp.

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Au bout du compte, nous avons compris que si le héros était l’auteur lui-même, il y aurait deux avantages essentiels : d’abord, on pouvait réellement s’identifier à ce type, qui allait avoir des préoccupations pas si éloignées des nôtres. On se sentait plus proches de lui que de Tarzan. Ensuite, le fait de suivre son imaginaire nous autorisait à mélanger les genres et les univers tant qu’on voulait.

Qui est Wilbur H. Arbogast ? Un auteur malfaisant, un prophète moderne, un pauvre type mégalomane, un hypnotiseur, un gourou ?

C’est un peu tout ça. C’est un écrivain déchu qui a du métier, mais qui est à court d’idées. Il a aussi de l’ambition : il rêve de sortir des bouquins que le monde entier ait besoin de lire. Son côté positif, c’est d’être un créateur. Son côté toxique, c’est qu’au lieu de se cantonner à des personnages de papier, il va essayer de manipuler, presque d’écrire, la vie de gens réels. Il veut devenir un gourou, un dieu vivant. Sa quête de succès se double d’une volonté de puissance effrénée. Transformer les gens en junkies, faire d’eux les esclaves de sa narration… à notre avis, c’est le versant sombre, le rêve inavoué de bien des créateurs. Stan Lee ou George Lucas ne sont pas des gourous, mais ils ont créé des mythologies : entre une mythologie et une religion,
l’écart est mince. Pour résumer, on pourrait dire que c’est un type qui se prend pour Dieu et qui invente, logiquement… le renforcement de soi. Question « développement personnel, » il n’y va pas de main morte !

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Où s’arrêtent les similitudes avec un certain L. Ron Hubbard, fondateur de la scientologie, et où commence la fiction dans ce tome 1 ?

Hubbard fait partie des gourous dont on a étudié la carrière. C’est notre premier « modèle » dans la réalité, car il était effectivement un auteur de SF avant de devenir un gourou. C’était un écrivain prolifique mais médiocre. En revanche, c’était une bête de scène et un manipulateurhors pair. Et il a réellement créé une religion – ou une secte, ça dépend du point de vue. Mais ce projet n’est absolument pas un biopic d’Hubbard, ou de qui que ce soit d’autre. D’une certaine façon, c’est une autofiction : on parle de nous-mêmes, de gens qui essaient de pondre un bouquin et de le vendre… C’est un livre dont l’auteur est aussi le héros : cette mise en abyme nous passionne. La documentation est conséquente, mais nous n’avons aucune obligation de respecter une quelconque « vérité objective ». Au contraire ! S’agit-il d’une histoire réaliste, ou fantastique ? Nous ne sommes pas pressés de répondre.

“Electric Miles” questionne notre rapport aux croyances. Vous partagez ce point de vue ?

Oui, bien sûr. Mythologie ou religion ? Fiction ou réalité ? L’essentiel du pouvoir du narrateur – son “fonds de commerce” – est ce désir universel de l’être humain, ce besoin de croire. Fuir une réalité qui nous terrifie ou nous consterne, pour se réfugier dans une narration rassurante, donner un sens à l’absurdité du monde, prétendre à l’éternité… C’est trop douloureux d’accepter qu’on n’a pas plus d’importance qu’un cafard, ou, comme l’a merveilleusement résumé Mizuki, « que la vie n’est qu’un pet ». Alors, on s’invente des fictions, des paradis imaginaires, et on essaie d’imposer nos croyances à autrui, pour surmonter nos propres doutes. Que sont les pyramides, si ce n’est la preuve ultime du désarroi de tout être humain, si puissant soit-il, face à sa propre mort ? Et qu’est-ce qu’on espère en pondant des bouquins, si ce n’est se survivre à soi-même ?

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Quelles ont été vos inspirations pour cette série ?

Après avoir arpenté le pulp pendant une dizaine d’années, on est inconsciemment retournés vers les deux géants qui avaient marqué notre adolescence, donc notre vie entière : Philip K. Dick et Stephen King. Le premier nous apprendque la vie n’est qu’un rêve, une suite de perceptions dont on ne peut pas prouver qu’elles sont réelles. Le second, dont la moitié des romans ont pour protagoniste l’auteur lui-même, nous rappelle que peu importe la réalité, seule compte la narration. Autour de ces deux-là, il y en a des dizaines d’autres, sur plusieurs médias différents : Fritz Lang, Philip José Farmer, Alan Moore… Et puis nos propres vies : par exemple, le rendez-vous absurde avec les deux producteurs est tiré de vieilles expériences personnelles dans le milieu de l’audiovisuel.

Pourquoi ce leitmotiv, “There is no world” ?

Ce pourrait être le slogan de tout Philip K. Dick. Dans une page-clé de l’album, Wilbur lui-même échappe à la case pour entrer dans ce qu’on appelle le « blanc
tournant », l’espace entre les cases. Il devient Dieu, c’est-à-dire l’Auteur. Si le monde existe, on n’est qu’un clampin parmi d’autres. Mais s’il n’y a QUE le livre et qu’on est celui qui l’écrit… etc.

Dans sa folie créatrice, cet écrivain crée la psychogénie. Pouvez-vous nous en expliquer le concept ?

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La psychogénie est une pseudoscience qui mélange allègrement des rudiments de psychanalyse, de confession catholique et un peu d’hypnose. En gros, l’idée est que pour résoudre vos problèmes personnels, il vous suffit de me raconter vos souvenirs et vos petits secrets, notamment sexuels. Double intérêt : d’abord, tous ces aveux vont sans doute vous faire un peu de bien et vous en redemanderez. Dépendance. Et surtout, une fois que je connaîtrai vos petits secrets, rien ne m’empêchera de m’en servir…

Rien n’aurait été possible sans l’agent littéraire Morris Millman, qui va adhérer aux idées d’Arbogast et les propager… Est-ce un grand naïf ou est-il conscient de ce qu’il fait ?

Morris est le véritable héros, le protagoniste auquel on s’identifie. Il n’a sans doute pas conscience du pacte faustien qu’il vient de signer. Il va être confronté au même problème que tous les dirigeants de secte qui ne sont pas eux-mêmes LE gourou. Étant à la fois complice et victime, il va beaucoup souffrir. Accompagnera-t-il Wilbur
au sommet de l’Olympe ou finira-t-il clochard ? On ne sait pas. Il va falloir qu’on demande à Wilbur !

Ce premier volume s’achève en laissant le lecteur sur le carreau. Que va-t-il se passer ensuite ?

Ben… ça dépend du succès du livre, non ? Si le bouquin marche, Wilbur Arbogast va créer une religion, devenir un merveilleux prophète et régner sur son monde. Si on se plante, il retournera sans doute dans sa caravane !


Ces entretien avec Fabien Nury est à compléter avec le point de vue de Brüno, le dessinateur d’Electric Miles : Brüno à propos d’Electric Miles.
Cet entretien a été reproduit avec l’autorisation des Éditions Glénat.

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Entretien © Éditions Glénat
Illustrations ©Fabien Nury, Brüno et Éditions Glénat



Fabrice Leduc
16 juin 2025




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Fabien Nury



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Electric Miles (T1) Wilbur - Glénat



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Electric Miles (T1) Wilbur - Collector N&N - Glénat



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Coverture de la revue Pulps Oustanding



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Brüno... nous en dévoilera bientôt encore un peu plus...



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