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Champs de la Lune (Les)
Catherine Dufour
Robert Laffont, Ailleurs & Demain, roman (France), Science-Fiction, 288 pages, septembre 2024, 20,50€

El-Jarline est une humanoïde qui s’occupe de la ferme Lalande à la surface de la Lune. L’alimentation des habitants de la cité soulunaire de Mut dépend de son travail et elle leur rend des comptes à travers de fréquents rapports. Il lui est d’ailleurs demandé plus de contextualisation pour les rendre compréhensibles. Elle en profite, se perd dans ses pensées, s’éloignant du sujet de son activité de fermière, partage ses jours aux côtés du chat augmenté Trym et s’ouvre sur cette petite fille à la main verte qui vient chambouler son existence sans grandes surprises.



Les rayons durs du soleil ont poussé les humains à se réfugier sous la surface de la Lune. El-Jarline n’est bien sûr pas soumis à la même contingence de protection, aussi est-elle en charge de la ferme Lalande abritée sous un dôme. Une fissure ne cesse de la tracasser, elle s’en ouvre dans ses rapports, alerte sur sa progression, les mesures mises en place pour la contenir, les risques encourus et bien sûr, demande à ce que ce panneau abîmé soit remplacé, tout en cherchant la cause de cette fragilité structurelle. En cas de rupture, elle ne risque rien, mais Trym n’y résisterait pas. Son compagnon peut parler, il pose son regard sans concessions sur leur existence au service des citadins de Mut à l’abri. La routine suit son cours dans la ferme jusqu’à ce que Sileqi, une jeune fille, débarque dans son quotidien. Cette dernière possède un don pour l’horticulture, les deux apprennent à se connaître, s’apprivoisent. El-Jarline sort de sa réserve et s’intéresse à cette humaine qui doit devenir un temps son apprentie. Hélas, elle meurt de la fièvre aspic qui fait nombre de victimes.
Cette rencontre, puis cette perte, changent à jamais l’humanoïde qui se pose des questions gênantes.

Cette forme de compte-rendu pourrait paraître à première vue austère, mais il n’en est rien. Le lecteur apprend à connaître El-Jarline qui, suite à cette demande de contextualisation, se présente, décrit son environnement, ses jours. Elle s’étend même plus que nécessaire, des riens deviennent importants, elle s’émerveille de peu et son innocence la pousse à ne rien cacher. Grande question : ses rapports sont-ils lus ? Elle ne cesse de se le demander, tant la fissure n’entraîne aucune réaction des autorités. Pourquoi ce silence ? De même, elle s’inquiète pour Sileqi, signale une possible maltraitance, sans que cela n’aboutisse au moindre changement. Tout le monde semble se satisfaire du statu quo, des hommes et des femmes meurent de la fièvre aspic que rien ne semble pouvoir contrer. C’est ainsi, El-Jarline l’accepte, jusqu’au jour où cette maladie la prive de la présence de Sileqi. Elle continue sa mission, mais quelque chose lui manque, elle ne peut effacer cette jeune fille et cette absence la modifie encore plus. Les lecteurs assistent à l’évolution de l’humanoïde, il est facile d’oublier sa condition, tant elle se révèle bien plus humaine que la plupart des habitants. Elle se suffit à elle-même, ce qui ne l’empêche pas de s’inquiéter pour autrui. Elle pose des questions, cherche même des autres chats de la race de Trym. À cette occasion, Catherine Dufour nous offre un road-trip à la surface lunaire, tout sauf tranquille ni anodin. Il constitue une bascule dans le récit, El-Jarline sort de son rôle de simple fermière, elle dépasse ses prérogatives d’exécutante au service des hommes. Elle s’humanise tout simplement...

« Les champs de la Lune » est porté par une humanoïde qui s’ouvre aux autres, se révèle honnête, trop honnête, loin de la duplicité humaine. La rencontre d’une jeune fille lui offre un nouvel horizon, quelqu’un avec qui partager son amour des plantes. Toutefois, a-t-elle droit au bonheur ou doit-elle se contenter de filer droit sans faire de vagues ? Qu’une humanoïde interroge, s’interroge, développe finalement des sentiments, dérange. Elle sort de son rôle. Catherine Dufour nous conduit sur notre satellite grisâtre. Le récit nous fait oublier sa couleur terne et uniforme, la Terre se lève à l’horizon. Les couleurs se révèlent, tout comme les sentiments d’El-Jarline, une narratrice artificielle qui emporte l’adhésion, la sympathie, au contraire de la plupart des humains apparaissant froids et calculateurs. Dans l’espace inhospitalier, l’homme a-t-il seulement sa place, tant son corps fragile le limite ? L’avenir ne repose-t-il pas sur les épaules d’êtres tels que El-Jarline ?
Ce roman interroge bien sûr sur ce qui nous définit comme humain : est-ce le fait d’éprouver des sentiments ? Ou notre corps de chair suffit-il à nous qualifier dans cette catégorie ? Le débat n’a pas fini de faire couler l’encre...
« Les champs de la Lune » rappelle avec brio que Catherine Dufour figure au rang des auteurs qui comptent, qui ont des choses à dire, tout en divertissant sans faillir les lecteurs.
Ici, la Lune ne se contente pas d’être le soleil des statues, pour notre plus grand bonheur.


Titre : Les champs de la Lune
Auteur : Catherine Dufour
Illustration de couverture : Aurélien Police
Éditeur : Robert Laffont
Collection : Ailleurs & Demain
Sites Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 288
Format (en cm) : 13,4 x 21,5
Dépôt légal : septembre 2024
ISBN : 9782221274552
Prix : 20,50 €


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francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
7 octobre 2024


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