L’avantage du jeu de société réside dans le fait que sa pratique se déroule le plus souvent tranquillement sur la table de son salon. Cela permet de vivre de nombreuses péripéties sans en subir véritablement les désagréments possibles, surtout lorsqu’il s’accompagne de chocolat chaud et de madeleines. Deux éléments absolument indispensables lorsqu’il s’agit de se dépayser en franchissant les sommets enneigés. Une aubaine avec « Premier de cordée » qui vous invite à escalader une montagne et à vous prendre pour Roger Frison-Roche dans son roman homonyme. Une situation réelle qui peut en faire frissonner plus d’un et pas seulement de froid.
Heureusement pour les deux joueurs et joueuses, c’est un aspect chaleureux que nous offre ce « Premier de cordée » puisqu’il rappelle les jeux en bois de l’enfance dans sa boîte triangulaire originale (aussi difficile soit-elle à ranger dans une étagère). Un flot de souvenirs de la délicatesse des jeux d’antan fabriqués dans le Jura dont l’ouverture de boîte et la beauté des éléments étaient déjà une aventure. Sans doute un clin d’œil d’auteurs et d’éditeurs pour Frison-Roche et Taniguchi (auteur du manga « Le sommet des dieux ».)
Les joueurs sont mis face à un très beau jeu. La qualité du matériel a été soignée pour en faire un objet attractif qui peut se jouer à l’envie mais aussi se poser en décoration sur une table ou une bibliothèque, ce qui permet d’éviter le rangement compliqué cité plus haut.
L’esthétisme impeccable suscite l’envie d’apprivoiser la montagne, posée sur deux pieds de bois, et ses vertiges sans la moindre nausée. Les alpinistes, représentés par cinq pitons rouges (verts pour l’adversaire), sont liés entre eux par une corde. Les équipes sont installées horizontalement au bas de la montagne. La partie peut commencer.
Le but du jeu est très simple : il va falloir gravir la montagne jusqu’à planter un de ses pitons au sommet avant l’autre équipe.
Comment ? En déplaçant ses alpinistes d’une anfractuosité à une autre dans la limite imposée par la longueur de la cordée.
Simple nous direz-vous ? Et bien non !
Car il va falloir se partager les espaces accessibles concomitamment aux deux joueurs. Et là où le pic se corse c’est que chaque alpiniste peut lâchement pousser dans le vide un adversaire, l’approchant du dévissage fatal.
Heureusement, il existe des espaces protégés d’où vous ne pourrez être délogé jusqu’à choisir de volontairement vous en éclipser.
Deuxième contrainte, et non des moindres à cet abrupt et subtil jeu, le passage obligé à flanc de montagne par un camp de base intermédiaire pour se ravitailler. Il en existe un de chaque côté du versant, un jaune et un violet. Et si votre adversaire emprunte le premier avant vous, vous serez dans l’obligation de passer par l’autre… parfois complètement à l’opposé de votre position actuelle !
Après un démarrage facilité par les nombreuses possibilités de placements au bas de la montagne, le tampon neigeux arrive bien vite. On est rapidement tenté de pousser cyniquement l’alpiniste de l’adversaire pour le mettre en difficulté, celui-ci ne pouvant vous rendre la pareille au même endroit immédiatement. Cependant, comme on ne voit pas comment les liens sont faits pour la cordée adverse, il se peut qu’en poussant un piton, on accommode l’adversaire en lui offrant du « mou ».
Arrive très vite aussi la course au camp de base intermédiaire. Attention à ne pas se focaliser sur l’un des deux et même carrément prévoir de partir à l’opposé de l’adversaire pour éviter la déception de voir le petit bout de bois apparaître dans le camp que vous convoitiez. Car vous voilà à devoir traverser la montagne sur sa largeur sans perdre vos arpents durement gagnés. Un mouvement qui peut être fatal…
Mais tout est possible en montagne. Car pour parvenir au sommet, vous serez obligé de prendre un risque afin d’allonger la cordée. En effet, l’espace au sommet est restreint et la longueur entre 2 alpinistes successifs a été calculée pour qu’il soit impossible d’arriver au sommet autrement qu’en ayant un de ses alpinistes dans le vide. Et la règle précisant que si vous avez 2 alpinistes dans le vide en même temps vous perdez la partie ! Autant vous dire que la bataille au sommet donne des sueurs glaciales.
Ce suspense est causé par le jeu en semi-aveugle que vous menez tout au long de la partie. Vous voyez les positions des pitons de l’adversaire, mais vous ne savez pas si ceux qui se côtoient devant vous se suivent vraiment dans la cordée. Vous mourrez d’envie de l’éjecter, mais cela ne donnera-t-il pas le fameux « mou » pour s’ériger au sommet ?
Les règles étant apprises en 2 minutes et une partie en durant une dizaine, l’envie d’enchaîner est inévitable. Le jeu est vraiment accessible pour tous les âges, même s’il vaut mieux faire jouer des joueurs de niveaux équivalents, pour éviter, comme dans nombre de jeux abstraits, l’ennui de l’un et l’opprobre de l’autre.
Nous l’avons fait jouer par des enfants à partir de 7/8 ans et la prise en main et l’attirance pour le jeu sont immédiates. La beauté du matériel n’est pas négligeable. Il est tellement beau que l’envie de s’en emparer est instantanée.
Au final, « Premier de cordée » est une aventure palpitante qui ne laisse personne sur le chemin. C’est une expérience individuelle qui nécessite pourtant de penser collectif.ve avec ses 5 grimpeur.euse.s.
C’est un jeu abstrait, malin comme tout et dont la prise en main immédiate est un atout majeur pour atteindre le sommet. Là où l’air se raréfie.
Une très belle découverte ludique, aussi bon que beau.
Premier de cordée
Mécanique(s) : déplacement ascensionnel & affrontement direct
Âge : 7 ans et +
Nombre de joueurs : 2
Durée d’une partie : 10 min environ
Auteur(s) : Romain Eyheramendy & Semir Kryidi
Illustrateur(s) : Tom Haugomat
Éditeur : Auzou Jeux
Date de sortie : 16 février 2024
Illustrations © Tom Haugomat & Auzou Jeux