Il y a beaucoup à dire sur « Les Titans du Ciel », et hélas pas que du bien. D’abord, il va falloir être très très bon public, niveau hollywoodien, pour absorber l’univers présenté ici, dont l’auteur ne nous dit pas grand-chose, nous plaçant devant les faits.
Îles volantes, serpents géants volants aussi, blindés d’acier et destructeurs malgré des tailles somme toute assez réduites (de 100 à 400 pieds de long, soit 30 à 120 mètres...), les fameux gorgantauns. À la rigueur, passons...
Les habitants sont organisés en castes, Supras, Mids et Subs. L’auteur ne se casse pas trop la tête pour les noms et a fait simple (comme les serpents : "classe-un" pour les 100 pieds, etc.) Les combats à la canne sont au centre de la société, et on peut défier l’héritier d’une maison et prendre sa place en cas de victoire. C’est ainsi que les Atwood, la famille de Masse, se voit déchue de son rang. L’oncle de Conrad est un redoutable combattant, on en aura la preuve plus tard, c’est ce qui lui assure sa place d’archiduc. On appréciera l’analyse de notre héros : les Subs, trop pauvres et sous-alimentés, n’ont pas la moindre chance dans un tel combat, et l’ascension sociale leur est interdite.
Mais les combats à la canne sont évacués à l’entrée dans la Sélection, les chasseurs interdisant toute violence. Là aussi, on soupire devant le procédé de sélection assez abscons et contre-productif, chaque Guilde ne recrutant pas les éléments les plus prometteurs dans sa branche, et certains jeunes adultes mal orientés fondent en larmes en se découvrant futurs chasseurs de gorgantauns plutôt qu’artistes ou comptables. Je ne sais pas si l’auteur critique le système américain, la cooptation, mais tout son système sociétal, baptisé la Méritocratie, est catastrophique, et s’il nous en montre la corruption, on s’étonne qu’il ne se soit pas effondré plus tôt...
Bref, ne vous posez pas trop de questions...
Le scénario, malgré des béances, est assez classique : épris de vengeance, Conrad veut se donner les moyens d’affronter son oncle et doit pour cela devenir Capitaine. Problème, il est solitaire, et ses profs finissent quand même par lui dire que le but de la formation est de créer un esprit d’équipe. Alors on pourra discuter la méthode de mettre tout le monde en compétition et d’exciter volontairement les antagonismes... Ou de reproduire sur les navires de chasse les trois castes, avec un larbin brimé par les autres. Tout cela fait très internat de campus et bizutages...Passons là aussi.
Conrad se retrouve donc sur le Gladian avec son pire ennemi, Bryce une solide et mystérieuse rivale (et potentielle amoureuse), Roderick son pote de chambre et quelques autres non affiliés, dont Sebastian, qu’on appellera le traitre. Le truc étant que les rôles à bord peuvent changer et qu’on peut renverser le capitaine, s’il est mauvais, ou si on est ambitieux et qu’on a l’appui des autres. Le tout pendant une compétition d’apprentissage, la Joute, en situation réelle de chasse...
Et on se demande comment ils n’ont que 20% de pertes... Les actes et les paroles sont fréquemment contradictoires, comme un fait exprès à prendre le contrepied des décisions logiques ou rationnelles. On a vu plus efficace comme pédagogie...
Enfin bref, Conrad bénéficie de la nullité de Masse, d’un exploit en abattant seul un classe-5 et de profondes valeurs enseignées par sa mère qu’on pourrait qualifier "d’égalitaristes" totalement à contre-courant de la Méritocratie. C’est assez manichéen, mais Conrad passe pour le gentil en avance sur son temps quand les autres, rongés par l’esprit de compétition malgré l’obligation de travailler en équipe, sont un peu à la traîne. Il y aura les rebondissements attendus, basculements, trahisons, la compétition entre bateaux rajoute une pression naturelle simplement entretenue par un tableau de score...
Là où le roman est bon, c’est sur la gestion des relations entre les personnages. Conrad est entier et tête de mule, Bryce fait plus tendre mais déterminée. Masse tombe le masque de la brute sans cervelle pour montrer ses propres failles et devient l’ami sincère et fidèle à la mort (quelle surprise !). Roderick est le liant nécessaire, et Sebastian, on l’a dit, le sale traître, le Grimat Langue-de-Serpent dont les paroles empoisonnées minent un groupe où chacun a ses petits secrets. Rien de bien nouveau depuis « Hunger Games ».
Sans grande surprise, l’équipe devenue à peu près stable remporte la victoire sur le fil, avant qu’un énorme cataclysme viennent ébranler tout l’univers, obligeant Conrad à pactiser avec son oncle au nom du front rép... de la survie de leur peuple. L’auteur en profite pour répondre à quelques questions sur ce qu’il y a sous les nuages, d’où viennent les monstres... là aussi, abaissez votre seuil d’incrédulité au plus bas, rien ne va si on y réfléchit 2 secondes, et c’est encore très dommage que Marc J Gregson se tire lui-même des balles dans le pied sur à peu près tout ce qui fait son univers. Preuve, peut-être, que tout cela n’est que cosmétique, effets spéciaux, et rien n’a été réellement réfléchi.
Et pourtant, malgré tout, cela se lit bien. Parce que c’est mené tambour battant, que c’est hollywoodien, les scènes d’action aériennes enchainant avec les huis-clos tendus à 9 sur le navire. Parce que les personnages principaux sonnent (à peu près) justes au fur et à mesure qu’on les découvrent, on passe l’éponge sur tout le reste qui n’est pas crédible une seconde.
J’aime bien la littérature Young Adult, qui peut être bourrée de qualités, dénoncer, comme toute fiction, les travers de notre société, donner à voir aux lecteurs des modèles imparfaits, faisant des erreurs pour mieux avancer. Mais, c’est mon côté “vieux” sans doute, au-delà des bons sentiments j’attends un minimum de cohérence du décor, des choix qui guident l’intrigue, bref de logique du récit. J’ai donné sa chance à la Méritocratie pourtant pleine de trous, mais la Joute m’a fait passé par-dessus bord. [1]
« Les Titans du Ciel » coche plein de cases qui raviront les jeunes adultes, de grosses ficelles efficaces, mais l’auteur persiste à se mettre d’inutiles et inexplicables bâtons dans les roues, multipliant les incohérences entre univers, intrigue et personnages.
Je suis curieux de la suite, gardant l’espoir naïf d’être surpris et contredit.
Titre : Les Titans du Ciel (sky’s end, 2024)
Série : Outrenoir (above the black), tome 1
Auteur : Marc J Gregson
Traduction de l’américain (USA) : Ombeline Marchon et Jonathan Oriol
Couverture : Artem Chebokha
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 580
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 4,5
Dépôt légal : juin 2024
ISBN : 9782371024540
Prix : 18 €