Quelques repères chronologiques permettent de resituer les événements entre la découverte de la cavorite ou cavorium en 1895, son exploitation avec la conquête de Mars, Vénus... et le fameux Vendredi Noir, le 11 mai 1923, suite au rapport Curie établissant que la Cavorite possède une demi-vie assez brève, juste une vingtaine d’années.
En fil rouge, l’auteur présente des extraits de journaux sous l’intitulé “Cavorite”, seuls cinq sont inédits, les autres étant parus dans « Bifrost 105 ». Il y a de tout, de l’enfant sauvage survivant dans les cales d’un navire interplanétaire, du suicide à la cavorite, de la fin des rats parisiens, du premier vol rendu possible par la cavorite... Vingt-six articles, parfois plus sensationnels les uns que les autres, dressent le pouls de l’époque chamboulée par ce métal révolutionnaire. Il est toutefois dommage qu’il n’y a aucun ordre chronologique, ce qui aurait permis d’observer l’évolution de la société.
“Le facteur Pégase” n’est autre qu’une habile variation de l’histoire du facteur Cheval et de sa fantastique construction qu’il a bâtie le long de sa vie. Là, le fameux cavorium lui permet de pousser encore plus loin le curseur de son imagination.
“La croisière bleue” s’étale sur 90 pages et de Rome aux chaînes de l’Himalaya à bord de l’Agénor, un paquebot volant. Le meurtre d’un dignitaire britannique pousse les agents français Gaspard et Fanny à mener l’enquête. Toutes les grandes nations s’espionnent, ce qui n’explique en rien cet assassinat. De fil en aiguille, ils comprennent que quelque chose de grave se trame, ils pensent même savoir où, mais ignorent quelle forme prendra la menace. Récit d’espionnage, enquête policière, attaque qui n’est pas sans faire penser au western, car le paquebot est tracté par une locomotive, fuite face à l’ennemi... Cette longue nouvelle digne d’un roman-feuilleton passe par bien des péripéties, ce qui la rend vivante, et illustre aussi l’enjeu de la cavorite et le pouvoir des nations la détenant.
Gaspard a quitté la Terre pour prendre possession de “Cinquante hectares sur Mars”. Par lettres, il donne des nouvelles à sa famille. La vie sur Mars n’a rien d’idyllique, il s’agit d’un combat contre un milieu plutôt inhospitalier. Quand Gaspard découvre sa concession en grande partie immergée, il déchante, mais ne baisse pas les bras pour autant. Il veut comprendre d’où vient toute cette eau et remonte son cours avec une autre personne. C’est l’occasion de croiser la faune martienne dont, au premier chef, les Erloors, considérés comme des esclaves par les colons. La conclusion de ce périple, digne de la Croisière jaune, fait écho à la demi-vie de la cavorite avec cette baisse de son pouvoir anti-gravitationnel. Après un voyage sur Terre, place au voyage martien et à ses mystères.
Suit une expédition sur Mercure. Au vu des conditions qui y règnent la mission est relativement courte, mais doit révéler qu’il existe du cavorium à l’état liquide dans les profondeurs de la planète. L’ingénieur Daniel Perlot ne se pose pas de questions sur le commanditaire de l’expédition, uniquement concentré sur le défi que cela représente. En ces temps où chacun protège jalousement ses réserves de cavorite, cela lui aurait peut-être évité de devenir “Le sisyphe cosmique”, lancé dans une course à la survie sur Mercure.
Autant dire que la dernière nouvelle est un choc, à tous les sens du terme. “À la poursuite de l’anticavorium” n’est rien d’autre qu’une course contre-la-montre : un bolide massif d’anticavorium, donc à l’inverse ultra dense, se dirige droit sur terre. Une mission scientifique part l’étudier et trouver le moyen de changer sa trajectoire. L’histoire est racontée en partie par Marthe Antin, une journaliste scientifique apparaissant dans « Les temps ultramodernes ». Des solutions sont apportées, dont une en rapport avec la nouvelle précédente. En même temps, un jeune homme raconte l’évolution du quotidien sur la Terre suite à la découverte de cette menace. L’heure est grave, l’humanité parviendra-t-elle à relever ce défi ? Un texte très fort qui laisse sonné.
Un « Abrégé de cavorologie » termine ce recueil. Y figure tout ce qu’il y a besoin de savoir sur cet élément aux propriétés extraordinaires, qui a révolutionné la société sur Terre, voyant là le matériau miracle capable d’exaucer toutes ses lubies et de s’affranchir des lois naturelles. Cet exercice brillant a donné lieu à un tiré à part hors commerce lors la parution des « Temps ultramodernes ».
« La croisière bleue et autres histoires ultramodernes » explore plus avant cette uchronie née de la cavorite, un élément imaginaire issu de « Les premiers hommes sur la Lune » d’H. G. Wells. À travers un ouvrage de vulgarisation scientifique, Laurent Genefort lui donne toute sa légitimité et, coup de génie, il la rend éphémère. Tant de merveilles rendues possibles par cette source d’anti-gravitation s’écoulent entre les doigts tel du sable fin. Cet élément a changé le fil des événements sur Terre, mais aussi dans l’espace proche avec les planètes voisines soudain accessibles. L’auteur compose très bien avec l’époque, le début du XXè siècle, car il use des connaissances d’alors, ce qui donne un côté désuet charmant. Chacun trouvera en ces pages des références plus ou moins explicites par rapport à notre trame historique.
Même si cet ouvrage s’avère moins puissant que « Les temps ultramodernes », car il n’a plus l’attrait de la nouveauté, donc de la surprise, sa lecture n’en représente pas moins une source de plaisir. De plus, il y a un côté nostalgie qui fonctionne très bien et qui rappelle les grands auteurs d’avant la SF. La magnifique couverture de Didier Graffet met d’emblée dans l’ambiance.
Embarquez dans « La croisière bleue » pour y vivre de grandes choses, connaître le souffle de l’aventure, le tout grâce à la cavorite toute puissante.
Titre : La croisière bleue
Sous-titre : Et autres histoires ultramodernes
Série : Les temps ultramodernes, tome 2
Auteur : Laurent Genefort
Illustration de couverture : Didier Graffet
Éditeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Directeur de collection : Gilles Dumay
Sites Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 348
Format (en cm) : 14 x 20,6
Dépôt légal : avril 2024
ISBN : 9782226489739
Prix : 21,90 €
Laurent Genefort sur la Yozone :
« Les temps ultramodernes »
« Abrégé de cavorologie » de Hyppolite Corégone
« Opexx »
Spire 1 : « Ce qui relie »
Spire 2 : « Ce qui divise »
« Colonies »
« Lum’en »
Laurent Genefort et la déferlante alien : un entretien
« Points chauds »
« Aliens mode d’emploi »
« L’Ascension du serpent »
« Bifrost » spécial Laurent Genefort
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