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Prodiges de l’Empire (Les), tome 1 : Darien
C. F. Iggulden
Le Livre de Poche, Imaginaire, roman (Grande-Bretagne), fantasy, 440 pages, juin 2023, 9,40€

Un chasseur capable de voir quelques secondes dans l’avenir est remarqué par un pistolero, qui le ramène à son supérieur, un général de la Légion décidé à renverser l’Empereur.
Dans les faubourgs de la capitale, un ancien soldat d’une grande nation enseigne son art martial aux gamins des rues. Lorsqu’un garçonnet, en fait un golem très sophistiqué, maitrise son art en quelques heures, le vieil homme en profite pour humilier un rival. Mais la démonstration attire les regards, et lui qui pensait faire profil bas se retrouve coincé par la tante de l’Empereur, la véritable maîtresse du pouvoir.
Enfin un petit mage se retrouve dépouillé de son pouvoir par une femme, conquête d’un soir, capable de dissiper la magie. Il lui propose d’utiliser son talent pour explorer un tombeau maudit et faire main basse sur ses richesses. La jeune femme a des désirs de revanche sur l’administration locale, et va mettre sa part à profit pour se venger. Les choses vont -un peu- déraper.



Conn Iggulden est un auteur anglais de romans historiques absolument pas traduits en Français. Sa trilogie des Prodiges de l’Empire (L’empire du sel en VO) est sa première incursion en fantasy, et quelle première fois ! C’est dense, riche et épique, bourré d’humanité, à la façon de Guy Gavriel Kay.

On suit donc trois fils narratifs, trois duos de personnages dont la rencontre va bouleverser le destin de chacun, mais aussi celui de l’empire, puisque leurs actes vont conduire, plus ou moins directement, à la mort de l’Empereur lors de la Fête des moissons.

Elias Post est un chasseur, père de famille veuf. Quand une épidémie s’abat sur son village, il va au tripot du coin jouer ses maigres économies. Cela surprend tout le monde, tant on le sait intègre. Car lui-même répugne à utiliser son don de prescience, qui fai de lui un excellent chasseur, pour deviner les coups à jouer. Comme si son karma l’entendait, la partie dégénère, et Deeds, porte-flingue impérial imbu de lui-même mais fin limier, décèle la particularité de l’homme. Lui faisant miroiter des soins pour ses enfants contre une rencontre avec le général, il attire Elias au camp. L’officier est moins subtil, et il prend ses filles en otage pour qu’Elias lui obéisse et assassine l’Empereur. Lui suivra avec sa troupe et apparaîtra comme le garant de l’ordre. Classique mais efficace. Pour peu qu’Elias joue le jeu et ne revienne pas lui trancher la gorge une fois ses filles en sûreté. Donc Deeds le beau parleur va lui coller aux basques. D’autant qu’Elias n’est pas familier de la capitale. Il devrait lui ouvrir la voie jusqu’au palais, profitant des festivités, et Elias n’aura « qu’à » passer outre le dernier rang de gardes d’élite...

Dans les quartiers pauvres de Darien, Tellius veille sur les orphelins, leur enseignant les Pas de Mazer, mi art martial, mi façon de se mouvoir avec fluidité. Un entrainement quotidien durant des années est nécessaire pour maîtriser les 10 Pas. Et voilà qu’un gamin taiseux, en regardant faire son meilleur élève, reproduit sa chorégraphie à la perfection. Tellius, ancien soldat en suite de l’empire du sel, obligé de faire profil bas depuis des années, y voit l’occasion de rabaisser le caquet du maître d’armes qui a les faveurs des 12 familles de Darien. Le petit Arthur défie le maître en public, dans sa propre arène. L’humiliation de l’homme est totale, mais les choses dérapent, et Arthur révèle qu’il est un golem, un artefact de l’empire du sel. Mais il est bien plus sophistiqué que les soldats mécaniques animés par magie dont Tellius à le souvenir. Las, Dame Sallet met la main sur eux deux. Arthur serait le garde du corps idéal de l’empereur, son neveu et marionnette...

À ce stade, vous pressentez déjà le choc de titans entre Elias et Arthur. Petits joueurs que vous êtes, car l’auteur met un troisième élément dans la balance : Nancy, que Daw pense être capable de dissiper la magie autour d’elle. La visite au caveau maudit révèlera la vérité : Nancy ne dissipe rien, elle emmagasine. Gorgée du pouvoir ancien enterré sous le désert, elle va pouvoir assouvir sa vengeance sur un haut fonctionnaire qui a déchu sa famille et son père. Et elle ne va pas faire dans la dentelle, ne maîtrisant pas cette manne.

Et donc tous ces gens, avec leurs ambitions personnelles, leurs désirs, vont se retrouver au même endroit, à Darien, la capitale impériale, au même moment. Quasiment dans les mêmes lieux. Feu d’artifice assuré. D’autres personnages plus secondaires (Dame Sallet notamment) apporteront d’autres angles de vue et des éclairages sur la situation politique, mais l’auteur nous attache surtout aux pas des ces six-là, à leurs pensées, à leurs émotions. Elias répugne à tuer mais veut sauver ses filles à tout prix. Tellius est un homme intègre mais malchanceux qui se mord les doigts d’avoir tenté de se hisser trop haut, et qui déploie tout son talent oratoire pour sauver sa peau en dépit des événements qui se bousculent. Nancy est dévorée par un envie de revanche des Petits sur un Grand, du peuple opprimé sur un aristocrate, elle incarne l’esprit de la Révolution, du renversement de l’ordre. Arthur, malgré sa condition de golem, est très émouvant, et sa relation avec Tellius, un peu bancale, évoque un grand-père avec son petit-fils.
Même Vic Deeds, pourtant un sacré salopard, finit par nous paraître sympathique. Daw, minable magouilleur et un brin macho, est aussi attachant.

Le monde nous apparaît par petites touches, dans le voyage d’Elias et Deeds ou l’expédition de Daw et Nancy, et ses origines avec l’Empire du Sel nous sont évoquées dans les souvenirs de Tellius. On ressent la grande influence de l’Histoire de l’Asie et de l’Europe centrale, et Iggulden nous laisse mettre les pièces du puzzle une à une en nous en donnant juste assez pour nous laisser voir un tableau général. C’est plus que suffisant pour le moment, car déjà très dense. Il en va de même pour la magie, jamais expliquée : rare de toute façon, elle nous est révélée petit à petit, tandis que les personnages y sont confrontés, ce qui est souvent une mauvaise nouvelle pour eux.

Le derniers tiers est cataclysmique, rien ne pouvant plus enrayer le cours des événements... même s’il n’est pas tel que prévu par le général. Tout déraille, obligeant les grandes familles à réagir, chacun sortant le grand jeu et l’artefact familial jalousement gardé, sur lequel elle assoit son pouvoir et sa hiérarchie, qui sera sans doute rebattue à l’aube, en fonction des succès des uns et des échecs des autres. La bataille enflamme les rues, mêlant troupes régulières contre garde impériale et milices familiales, mais aussi intérêts privés, notamment de nos protagonistes principaux : Elias va chercher ses filles, Nancy en veut à toute forme d’autorité aristocratique... Et là encore, rien ne se passe aussi simplement qu’on aurait pu se l’imaginer, nous laissant à bout de souffle d’une page à l’autre. L’auteur dose bien actes individuels et mouvements collectifs, et le résultat est grandiose.

Ce premier tome est presque conclusif. Bien entendu, on a hâte de connaître l’avenir des personnages qui ont survécu, mais l’auteur ne nous laisse pas sur un suspense haletant, et c’est toujours une qualité supplémentaire pour un roman.

Le Livre de Poche a eu la bonne idée de conserver la magnifique couverture de Julien Delval, qui saura attirer les amateurs d’Histoire autant que de fantasy.
Mes derniers mots pour vanter les talents de traduction de Benjamin Kuntzer, qui nous propose ici encore une prose fluide, riche et immersive.


Titre : Darien (darien, 2017)
Série : Les Prodiges de l’Empire (empire of salt), tome 1
Auteur : Conn Iggulden
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Benjamin Kuntzer
Couverture : Julien Delval
Éditeur : Le Livre de poche (édition originale : Bragelonne, 2019)
Collection : Imaginaire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 36942
Pages : 440
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : juin 2023
ISBN : 9782253012597
Prix : 9,40 €



Nicolas Soffray
3 mai 2024


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