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Scholomance, tome 1 : Education Meurtrière
Naomi Novik
J’ai Lu, Imaginaire, roman (USA), fantasy, 380 pages, avril 2023, 8,60€

Galadriel Higgins est une jeune magicienne en 1ere année à la Scholomance, une école de magie d’élite hors du monde au fonctionnement un peu... particulier : l’école dispense automatiquement les cours, les monstres y abondent, et le seul moyen d’en sortir consiste à survivre à la remise des diplômes en traversant une salle pleine de créatures avides de mana et de chair humaine.
La survie est une question constante, et le meilleur moyen de terminer en vie sa scolarité est d’appartenir à une Enclave, d’avoir des alliés (ou des boucliers humains)... Toutes choses qu’El, élevée dans les landes irlandaises, et à la langue particulièrement acérée, n’a pas.
Aussi, quand Orion, fils de la directrice de l’Enclave de New York et héros auto-proclamé, s’accroche à ses basques et lui sauve la vie plusieurs fois, elle se demande ce qu’elle a fait pour mériter cela. Car si c’est un début de solution, c’est aussi celui de beaucoup d’ennuis.



La nouvelle trilogie de Naomi Novik démarre très très fort. La narration à la première personne, dans la tête d’une ado rebelle, déterminée mais aussi terrifiée, nous plonge sans ménagement dans son nouvel univers.

Galadriel, dite El, nous explique un peu la Scholomance, un batiment magique conçu pour former les jeunes mages. Problème, il est dans le Néant, et il attire une foule de monstres dévoreurs de mana. Au fil du temps, faute de maintenance efficace, la lutte finale contre ces monstres a été intégrée au cursus. Puis la lutte quotidienne contre ceux qui arrivaient à s’infiltrer dans les étages... écrémant au passage les effectifs, puisque les plus faibles, moins vigilants, décèdent dans d’affreuses souffrances. On appelle ça « l’école de la vie ».
De fait, dépouillée de ses atours de fantasy, la Scholomance est ni plus ni moins une Grande École, dont seuls les meilleurs éléments sortent viv.. diplômés, les autres ayant abandonné. Et comme dans la vraie vie, bénéficier d’artefacts, du réseau des anciens élèves... augmente sensiblement tes chances. Les Enclavés, assurés d’une place à leur sortie, se serrent les coudes, entre l’élite bourgeoise et les parvenus prêts à bien des sacrifices pour y accéder. Il y a les très bons élèves, qui comptent briller au classement pour se faire recruter. Et il y a les indépendants, comme El, qui espèrent juste s’en sortir au milieu du chaos ambiant.

(Galadri)El est pleine de colère. Son père, hindou, est mort à la remise des diplômes pour que sa mère, enceinte, puisse se sauver. Sa grand-mère paternelle a prononcé à sa vue une telle prophétie qu’elle est bannie d’Inde. Elle a grandi dans une yourte avec sa mère, profondément anti-système, et c’est aussi en rébellion contre elle qu’elle a rejoint la Scholomance. Elle est donc seule, sans amis, incapable de s’en faire, incapable de faire confiance et de penser qu’on puisse lui faire confiance en retour. Et pleine de rage contre ces mages qui ont conçu une école qui accroit in fine les inégalités sociales. Comble du malheur, elle est très douée pour les sorts mortels, et doit repousser les fréquents appels du Côté Obscur sous peine de commettre un massacre dans l’école et faciliter le job des Maléficarias. Quitte à devenir une maléficienne plus dangereuse encore.

Ce premier tome commence alors qu’Orion Lake, fils-à-maman qui s’est auto-attribué la mission de sauver tout le monde, vient encore de lui sauver la vie mais de ruiner sa chambre avec des bouts de monstre grillé. El a beau le rabrouer, il s’attache. El finit par comprendre qu’elle est la seule à ne pas se pâmer à ses pieds ou le manipuler. Culpabilisant un peu, elle se garde de contredire les jaloux qui les prétendent en couple. Mais peu à peu, dans le court intervalle qui les séparent de la remise des diplôme (elle n’est qu’en première), tandis que les attaques de monstres se multiplient, l’armure de Galadriel se fissure peu à peu, à la faveur de la découverte d’un grimoire ancien mais surtout de sa victoire contre un monstre terrifiant, qu’elle se refuse à utiliser pour attirer l’attention, sans quoi elle deviendra ce qu’elle conspue en permanence.
Bref, Galabriel est une fille compliquée, à un âge compliqué, avec des valeurs anti-système capitaliste et faussement méritocratique, dans un environnement qui ne fait pas de cadeaux. Le lycée, quoi.

Narrativement, c’est ultra-dense. Je ne sais pas comment l’autrice s’y prend pour nous bombarder d’informations disparates mais toutes essentielles sans jamais nous lasser ni nous perdre. Sans doute repasse-t-elle sur les blancs que nous avons déjà comblés, confirmant nos hypothèses, les enrichissant de détails...
Son héroïne est émouvante, quand bien même on lui mettrait des claques à refuser les mains tendues. Mais dans un univers où la moindre faiblesse peut vous tuer, où toutes les relations sociales sont longuement soupesées car jamais innocentes (« le lycée, quoi » bis), on finit par la comprendre.
L’école étant mondiale, pas de racisme mais beaucoup de multiculturalisme (le nombre de langues étudiées et leur diversité sont éloquents). On se concentre sur la compétition scolaire et les intrigues pour rallier une Enclave et ainsi espérer survivre à sa scolarité. El en rêve, puis crache dessus lorsque les portes s’ouvrent, pour les mauvaises raisons : l’accepter elle, c’est récupérer Orion en bonus, pensent-ils tous.

Orion nous est présenté en creux, et s’il apparaît comme un chevalier blanc trop serviable et empressé de bien faire, on finit par découvrir le revers de cette médaille, qui sous-tend tout ce premier volume. Je n’en dis pas plus, mais cela illustre bien l’expression « le mieux est l’ennemi du bien ».

C’est excellemment bien écrit, excellemment bien traduit par Benjamin Kuntzer, ça prend aux tripes tant par les rebondissements digne d’une dark fantasy horrifique que tout ce qui sous-tend les rapports entre les personnages, un mal universel de confiance mal placée, d’intérêt et de crainte du rejet.

Je frémis d’avance de me délecter de deux autres volumes après celui-ci. « Promotion Funeste » (the last graduate en VO) a été traduit chez Pygmalion en janvier 2023 et sort en poche ces jours-ci, et The Golden Enclaves est paru aux USA fin 2022. M’est d’avis que Galadriel n’a pas fini de se retenir de tous les étriper, mais continuera à mettre des coups de pied dans la fourmilière.


Titre : Education meurtrière (a deadley education, 2020)
Série : Scholomance, tome 1 (lesson one of the scholomance)
Auteur : Naomi Novik
Traduction de l’américain (USA) : Benjamin Kuntzer
Couverture : studio J’ai Lu
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Pygmalion, 2022)
Collection : Imaginaire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 13766
Pages : 380
Format (en cm) : 18 x 11 x 2,2
Dépôt légal : avril 2023
ISBN : 9782290380550
Prix : 8,60 €



Nicolas Soffray
21 février 2024


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