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De l’ombre il surgira
Alaina Urquhart
Fleuve éditions, Fleuve Noir, traduit de l’anglais (États-Unis), thriller, 264 pages, janvier 2024, 19,90 €


« De temps en temps, Mlle Knox, l’une des bibliothécaires, cherchait à discuter avec lui. Un jour, elle a même osé lui demander sans détour si tout se passait bien à la maison. L’inquiétude faisait trembler sa voix. Il n’a pas répondu, il s’est contenté de lui demander où il pouvait trouver un livre sur la lobotomie. »

Sale temps du côté de la Louisiane. On retrouve ici et là des cadavres diversement mutilés dans le bayou, parfois même très près des habitations. L’investigatrice Wren Muller, avec quelques-uns de ses collègues, mène l’enquête, mais piétine. Fort heureusement le tueur, qui a dû lire trop de polars ou regarder trop de séries télévisées, s’obstine à semer volontairement des indices en pensant que la police n’y comprendra rien, ou qu’elle n’élucidera les devinettes que trop tard pour venir au secours des victimes. À chaque fois qu’il gagne une manche, il s’enhardit. D’un côté, donc, un tueur glaçant (il va même jusqu’à congeler ses victimes) avec une bonne dose de cruauté gratuite, de l’autre une investigatrice dont il est dit qu’elle n’a jamais échoué dans ses enquêtes.

« La méthode avec laquelle il ôte la vie à ses victimes n’a rien de cohérent. C’est comme s’il expérimentait. Il est doté d’un esprit curieux et d’un sens de la méticulosité digne d’un chercheur. Une combinaison dangereuse. »

Depuis Patricia Cornwell (à laquelle Alaina Urquhart rend hommage dans sa postface), le genre du thriller a généré une telle déferlante d’auteurs, d’autrices, et de personnages légistes, anthropologues judiciaires ou experts en sciences dites forensiques, que les lecteurs, dès les premières lignes décrivant tel ou tel institut médico-légal, finissent par avoir l’impression d’être un peu chez eux. Avec Alaina Urquhart, technicienne d’autopsie et animatrice d’un podcast du doux nom de Morbid consacré au true crime, aux serial-killers, aux hantises et autres joyeusetés, et avec son personnage Wren Muller, également experte en autopsies, on est donc dans la droite ligne d’un phénomène qui, à la différence de la plupart des personnages mis en scène, ne semble pas près de s’éteindre. Pourtant, à la lecture de « De l’ombre il surgira », rien de très nouveau, rien que du basique. La chronologie des lividités et de la rigidité cadavérique, les effets de la température, les insectes nécrophages, rien de plus que ce que l’on a déjà lu dans les polars de genre, rien de plus, même, que ce que l’on apprend dans le polar standard. Pour le reste, les dialogues et la psychologie des personnages sont également basiques, et l’on n’a pas le sens des ambiances ni les descriptions évocatrices du bayou que l’on peut trouver, par exemple, chez un auteur comme James Lee Burke. Quelques apartés sur des serial-killer authentiques viennent ici et là nourrir une intrigue rythmée et riche en péripéties, mais on ne saura rien sur les enquêtes précédemment résolues de Wren Muller, certaines scènes pourront sembler superficiellement décrites, et on n’aura pas l’impression de se diriger vers un véritable crescendo.

« Les médecins légistes brandissent leur scie à os, mais ils n’ont jamais serré un cou à mains nues. La mort et la douleur ne peuvent pas être racontées dans un rapport d’autopsie, pas vraiment. Ce sont des notions primitives qu’on n’enseigne pas dans une salle de classe ou un laboratoire. »

On pourrait donc penser, après avoir lu la première moitié du roman, que « De l’ombre il surgira » s’apparente à l’un de ces mille et un thrillers-avec-serial-killer-et-enquêteur-légiste, genre en soi pour les uns, usines à photocopies pour les autres, les copies étant le plus souvent bien moins bonnes que les originaux. Si « De l’ombre il surgira » finit par sortir du lot, si on peut lui reconnaitre une originalité certaine, c’est avant tout en raison d’un procédé narratif unusuel qui va réserver quelques surprises. Subtilité ou entourloupe, manipulation ou tricherie, artifice honnête ou non, puisque le lecteur, même attentif, n’avait pas vraiment d’élément pour discerner le piège dans lequel il a pu tomber ? Ce sera à lui de décider si la chausse-trappe était légitime, mais la surprise est bel et bien là, et l’astuce narrative bien plus subtile que les révélations énormes et incohérentes de nombre d’auteurs de polars à succès. Le lecteur aurait donc tort de se plaindre : il n’a tenu qu’à lui de tenir pour acquis ce qui ne l’était pas, et c’est à son insu et de son propre gré qu’il s’est fait mener en bateau et rouler dans la farine. Et tous seront d’accord pour en convenir : mieux vaut être la victime littéraire d’Alaina Urquhart que l’objet de ses soins à l’institut médico-légal. Il sera intéressant de voir ce qu’elle sera capable de nous proposer pour la suite. On le saura sans doute sans trop attendre, car une seconde aventure de Wren Muller devrait être publiée prochainement chez le même éditeur.


Titre : De l’ombre il surgira (The Butcher and the Wren, 2022)
Auteur : Alaina Urquhart
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Séverine Quelet
Couverture : D-Keine/ Getty Images / Mark Owen / Plainpicture / Mauritius Images GMBH / Alamy Stock Photo
Éditeur : Fleuve éditions
Collection : Fleuve Noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 264
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : janvier 2024
ISBN : 9782265153951
Prix : 19,90 €



Hilaire Alrune
11 février 2024


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