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Nouveaux Venus (Les)
Adèle Gascuel
Hors d’atteinte, roman (France), anticipation/fantastique, 215 pages, aout 2023, 19€

Après qu’une tempête s’est abattue sur Paris, on découvre de Nouveaux Venus. Comment sont-ils arrivés ? qui sont-ils ? Et surtout, que va-t-on en faire ?



Pour son premier roman, Adèle Gascuel nous raconte le monde, un futur proche, par les yeux d’Adeline, Française lambda, employée à France Travail, archétype, on le découvrira, de la personne pleine de bonnes intentions mais toujours passive, rebelle de canapé. Elle s’indigne, mais n’agira jamais. Sa collègue Inès est beaucoup plus active, incarnant de son côté ces gens qui s’enthousiasment pour une nouvelle mode, s’y investissent à corps perdu jusqu’au premier obstacle qui les fait radicalement changer de discours. Enfin, leur directeur incarnera la voix de la raison, une certaine humanité, auxquelles beaucoup resteront sourds.

L’autrice entretient le flou sur cette masse qui déferle sur la capitale. Elle va jusqu’à les genrer au féminin lorsqu’elle doit employer des pronoms. Non qu’il s’agisse de femmes. Ou de créatures femelles. Au fil des pages, on leur déniera parfois le statut d’être humain, c’est dire...

Qui sont ces nouveaux venus, d’où viennent-elles, on ne le saura pas. Elles sont arrivées par la tempête, elles coloniseront les interstices de la capitale, elles disparaitront aussi mystérieusement. Tout cela est très métaphorique. Le roman ne s’intéresse pas tant à elles, simple outil fictionnel, qu’à la façon dont leur terre d’accueil les traite. Il ne faut pas être grand clerc pour voir en elles toute population étrangère, migrante, fuyant le malheur pour arriver au Pays des Droits de l’Homme. Et déchanter, peut-être, mais on le ne saura pas, car elles ne parlent pas, ne communiquent pas. Tout le roman consiste en la description des tentatives des Parisiens, de la Ville, des pouvoirs publics, de l’État et bien entendu quelques politiques d’interagir avec ces Nouveaux Venus. D’en faire quelque chose.

Si ce sont d’abord la bienveillance, l’accueil qui priment, viendront ensuite l’incompréhension, le doute, la suspicion, et la colère, le rejet. Au travers des tentatives d’Inès, on voit la solidarité chrétienne vite s’effriter au profit d’un racisme tranquille, d’un rejet de l’Autre, du Différent. De réfugié(e)s, les Nouveaux Venus deviennent doucement mais sûrement des parasites de la société, quand bien même elles n’y vivent pas. Leur seul refus de faire société, ce côté bande à part que les sociologues comme les éditorialistes ne peuvent expliquer suffit à les faire basculer dans l’autre camp : si elles ne sont pas avec nous, elles sont contre. Car l’Homme, le Parisien, le personnage politico-médiatique n’admet que cette vision binaire des choses.

Adèle Gascuel tire à boulets rouges sur notre société, et le fantastique est ici un écran de fumée pour parler frontalement racisme et frivolité de l’opinion publique. On dit que la Nature a horreur du vide, mais la politique aussi, et on cherche à faire quelque chose de ces gens qui ne demandent rien. Puis on les suspecte de tout, des pires intentions cachées. Elles qui s’emparent des espaces délaissés, des déchets, doivent y trouver leur intérêt, et donc, c’est que ces choses délaissées ont de l’intérêt, voire de la valeur, finalement. Et la brutale machine capitalisme se remet en marche.

L’autrice joue avec la mise en page, des chapitres courts comme une scène capturée par son héroïne, une séance de zapping des infos télévisées, une digestion d’une tentative ratée de communiquer. La focale prend souvent de la distance, Adèle Gascuel aime employer ce « on » qui nous désigne tous et personne à la fois. Pas de décideur, pas de coupable. Cette description de loin des échecs à communiquer s’accompagne d’expériences plus personnelles de son héroïne, mais rarement de contacts directs : Adeline est surtout témoin des interactions des autres, ses collègues de travail, sa mère, confirmant que ceux qui en savent le moins ont bien souvent un avis bien arrêté sur tout. Et elle ne fait rien. Personne ne fait rien. Rien de bien, en tout cas.

Tout le texte est infusé de notre mode de vie actuel, des bobos moqués aux séries Netflix, notre addiction aux écrans, le culte de la réponse tout-technologique... L’autrice puise dans des personnages médiatiques réels, des marques, des faits réels, tout un paysage culturel connu pour affaiblir les murs entre réalité et fiction. Cela se lit vite et bien, trop réaliste pour être de l’Imaginaire, mais pourtant tout ce qui entoure ces Nouveaux Venus, tout ce langage et ces précautions, renvoie à un autre monde. Il appartiendra au lecteur de se dessiller (ou pas) (ou de le lire deux fois).

« Les Nouveaux Venus » s’avère une belle, cruelle et noire fable sociétale, et la leçon finale nous rappelle à une véritable humanité que, je le crains, notre société en tant que masse égoïste ne pourra probablement jamais atteindre. Et pourtant, c’est le genre de texte dont nous avons cruellement besoin.


Titre : Les Nouveaux Venus
Autrice : Adèle Gascuel
Couverture : Aline Zalco
Éditeur : Hors d’atteinte
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 215
Format (en cm) : 20 x 11,5 x 2
Dépôt légal : aout 2023
ISBN : 9782382571088
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
25 février 2024


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