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Noces de la Renarde (Les)
Floriane Soulas
Scrineo, roman (France), fantastique, 587 pages, mai 2019, 18,90€

Japon. Au XVe siècle, une kitsune, déesse-renarde, un peu trop curieuse des hommes va rompre avec les règles et traditions de son clan pour vivre aux côtés d’un bûcheron.
2016, à Tokyo, Mina, une lycéenne qui voit les fantômes va aider Natsume, sa déléguée de classe et apprentie prêtresse shinto, à résoudre des meurtres de yokaïs et en profiter pour traquer l’esprit qui hante ses cauchemars.



Et c’est à peu près tout.
Il y a un adage chez les auteurs : « on a toute sa vie pour écrire son premier livre, et 6 mois pour le second ». Toute auréolée du succès de « Rouille », Floriane Soulas enchainait chez Scrineo avec ces « Noces de la Renarde », pavé largement plus épais que je laissai reposer, entendant le pire et le meilleur à son sujet.
L’autrice ayant confirmé depuis avec deux autres romans (deux pavés, « Les Oubliés de l’Amas » , primé aux Utopiales, toujours chez Scrineo et « Tonnerre après les ruines » chez Argyll), je me décidai à le reprendre, plein d’espoirs... vite douchés.

Tout d’abord, « Les Noces de la Renarde » n’est pas un pavé, la preuve avec sa réédition en poche chez Pocket à peine plus épaisse de 50 pages que « Rouille », quand les grands formats en font 200 de différence. Simplement, la mise en page est bien plus aérée (25 lignes au lieu de 31 habituellement), dénotant un choix délibéré de l’éditeur de « fabriquer » un plus gros livre [1]. Un choix marketing bien discutable, au vu du poids de l’objet. On aurait préféré qu’ils consacrent plus de temps au travail éditorial, la relecture laissant passer par exemple un paragraphe doublonné p.88. Et quitte à mettre des notes sur chaque terme du folklore japonais, c’est mieux de ne pas oublier les plus utilisés dans le roman (miko et kitsune)...

La plume de l’autrice est quant à lui toujours aussi légère, dirait-on poliment. Il n’y a en pas d’écriture littéraire : des phrases souvent courtes, assez plates, descriptives. Beaucoup de répétitions de mots ou de structures grammaticales qui donne davantage une sensation de pauvreté rédactionnelle que d’effets de style. On a l’impression d’avoir payé pour la quantité mais pas la qualité.

Ses personnages n’ont peu ou pas de psychologie, ils se contentent d’être et d’obéir à leur schémas imposés. Hikari la kitsune, créature divine et centenaire, ne perçoit pas la déception de Morio lorsqu’elle la rejette, ne voit pas le danger de la jalousie d’Ino la cheffe de meute. Elle est curieuse des humains, mais on est bien en peine de dire pourquoi, et encore moins pourquoi elle est prête à briser toutes les règles de son peuple pour les épargner, puis à se sacrifier elle aussi. Sociologiquement, culturellement, c’est le grand vide, le moteur du récit sort du chapeau, ex nihilo.

Côté récit contemporain, on a un peu de pathos avec Mina, pauvre orpheline introvertie. L’autrice « gâche » le mystère de la nature fantôme de son amie après deux scènes transparentes, et cette dernière prend plutôt bien la nouvelle, pour se transformer en auxiliaire efficace de Mina. Cette même Mina qui découvre sa camarade Natsume en vilain petit canard d’une famille de chasseurs de démons, car dépourvue de pouvoirs. Mina doit lui servir d’yeux magiques, et en un rien de temps, la voilà qui découvre le Tokyo secret des yokaïs, façon « Voyage de Chihiro », et malgré toutes les péripéties, passe en huit jours de lycéenne effacée et craintive à exorciste sans peur. Elle est même de plus en plus « surprise de l’assurance dans sa voix » : c’est-à-dire que l’autrice elle-même a conscience que son personnage n’agit pas en accord avec ce qu’elle est censée être, dans un processus qui tient plus du déraillement forcé que de l’évolution. Quand il faut choisir entre être cohérent avec l’intrigue ou avec ses personnages, c’est qu’il y a un souci.

Les deux trames, on s’y attend, se raccordent, mais de si mauvaise façon que bien malin qui aura deviné la solution avant de tomber dessus. L’autrice tente de boucher les trous pour expliquer comment quatre siècles d’inaction se soldent par une semaine de meurtres, laissant au passage des trous béants (Mina et Natsume sont cousines éloignées, et jamais Mina n’a été « détectée » comme sensible...).

Le constat est cruel : si la trame médiévale est « jolie », elle est assez creuse mais aurait pu faire un agréable conte, avec des personnages secondaires aux pulsions fortes mais une héroïne simplette. La trame contemporaine, mêlant crimes surnaturels, quête personnelle de Mina, possession et trop de personnages secondaires juste destinés à réagir avec l’héroïne, est trop confuse, inutilement alambiquée.

On sent pleinement l’influence, l’imagerie des films de Miyazaki, et le souhait de se l’approprier, d’en faire quelque chose à soi. Mais il ne suffit pas de plaquer des personnages pour les rendre crédibles, ni de multiplier les rebondissements pour faire une histoire intéressante. J’ai fréquemment repensé à cette leçon d’écriture des créateurs de « South Park », partagée par Lionel Davoust sur son blog : beaucoup de juxtaposition, quelques réactions (tout de même) mais peu de relations causes-conséquences hormis les grandes lignes de la trame médiévale.

Donc c’est joli, cela passerait sans doute bien à l’écran, sans nous laisser trop le temps de réfléchir, en multipliant les scènes à couper le souffle. Mais d’un point de vue narratif, c’est faible, et littéraire, c’est bien bas, même (surtout) pour un public grands ados-jeunes adultes.

Un produit moyen et survendu, un roman sans doute sorti des tiroirs en urgence pour répondre à la demande post-« Rouille », et auquel il manque un solide travail éditorial.


Titre : Les Noces de la Renarde
Autrice : Floriane Soulas
Couverture : Aurélien Police
- Grand format
Éditeur : Scrineo
Collection : Imaginaire Jeune Adulte
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 587
Format (en cm) :
Dépôt légal : mai 2019
ISBN : 9782367407043
Prix : 18,90 €
- Réédition Poche
Éditeur : Pocket
Collection : Science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 464
Format (en cm) : 18 x 11 x 3
Dépôt légal : mars 2021
ISBN : 9782266315302
Prix : 9,20 €



Nicolas Soffray
20 décembre 2023


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