N’en jetez plus ! Boyd Morrison, auteur chevronné de thrillers techno-ésotériques (rayon Dan Brown, Preston & Child, etc. et traduits chez Bragelonne) maîtrise la technique du page-turner et nous ménage une nouvelle révélation fracassante pour clore chaque court chapitre ! Le pauvre Gerard a tous les malheurs du monde, dont nous découvrirons le détail au fur et à mesure, dans des flash-backs précis : déchu de son titre, de ses terres, de son rang de chevalier, excommunié, son père mort de honte, sa mère enlevée et violée, son demi-frère comme âme damnée de sa némésis... Je ne vous ai fait que les 80 premières pages, il y en aura d’autres ! Autant vous dire que le rythme est haletant, entre action et révélations.
Pour ce roman très historique, baignant dans les relations franco-anglaises suite à la meurtrière boucherie d’Azincourt, il a fait appel à sa soeur, médiéviste avertie. On évite donc les clichés tels que la suprématie des archers anglais comme facteur déterminant de la victoire, pour coller aux découvertes scientifiques les plus récentes. À eux deux, Boyd et Beth Morrison nous racontent une aventure trépidante et pleine de rebondissements, comme un film des années 80 (« Indiana Jones », « Allan Quaterman » ou « À la poursuite du Diamant Vert »...) mais avec un matériau historique riche, respecté et crédible. S’il y a quelques petites choses qui font boum, c’est l’alcool fortement distillé de Youssef, alchimiste maure hébergé par les moines contre de la gnôle maison, et si quelques cascades sont très hollywoodiennes et cinématographiques, encore une fois le réalisme et la crédibilité l’emportent très souvent.
Le pouvoir de l’Église est au cœur de ces « Terres sans lois ». Les mariages entre familles anglaises et françaises ont scellé des alliances de ce côté de la Manche, après des périodes de guerre, la paix est encore fragile. Molyneux, clerc sans scrupules, entreprend de gravir les échelons ecclésiastiques en corrompant à qui mieux mieux, cela grâce à sa fortune amassée en excommuniant à tour de bras quiconque lui manque de respect - pour ensuite s’arroger les domaines au nom de l’Eglise. Là encore le trait est un peu forcé mais les abus et la corruption de l’Eglise sont bien documentés. Rappelez-vous la fortune des Templiers, à qui tous les croisés léguaient leurs biens, et les envieux que cela faisait.
Bref, dans ces domaines aux allégeances parfois incertaines, le pouvoir religieux transcende. La Loi de Dieu domine. Mais entre les mains de pareils lascars... D’où le titre. L’autre acolyte de Gerard est un clerc défroqué, écœuré par les magouilles au nom de la foi. Et oui, on a donc 2 sidekicks au Héros, dont un Noir. On ne change pas une formule qui marche.
Les deux auteurs brossent un tableau complet de la France du XIVe siècle : économie, épidémies, ferveur religieuses, tensions, méfiance vis-à-vis des étrangers, anglais, maures ou juifs. Gerard Fox, incarnation du parfait chevalier, est un modèle de combattant, pieux et humble, et son expérience du monde l’a rendu sage et tolérant. Son errance d’excommunié l’a conduit à rencontrer d’autres exclus de la société chrétienne, et il peut compter sur la bonté de ces gens à qui il a tend la main pour lui rendre la pareille. En toile de fond, on lit très bien l’opposition entre Gerard et Isabel, incarnations des vraies valeurs chrétiennes, et Molyneux et Tonbridge qui en incarnent les pires travers, prêts à tous les crimes pour arracher le pouvoir temporel, l’un le titre de pape, l’autre celui de roi de Jérusalem. Comme de juste, ils ne récolteront que ce qu’ils méritent pour la vanité de leurs ambitions. Même s’ils iront traquer nos deux héros fugitifs jusqu’aux dernières pages.
Disons un mots sur Gerard et Isabel. Dès le début, bien sûr, on imagine forcément une idylle entre les deux personnages, qui naît de leur proximité, de la tension omniprésente, des risques... Mais c’est oublier le rang de la dame et la déchéance de Fox, et combien tous deux sont vertueux ! Et même si le chevalier lorgne la jeune dame, il se refuse tout espoir, préférant louer son courage, et maudire la fatalité qui les sépare à jamais. Mais (oui, 2e fois) ahah, c’est sans compter une nouvelle péripétie qui rebat complètement les cartes ! (Ils sont cousins !) (non) (mais vous y avez cru !)
Si Molyneux et Tonbridge sont des blocs d’égoïsmes bouffis de pouvoir et d’ambition, Basquiat est un personnage intéressant, sur lequel les auteurs s’attardent. Double maléfique de Gerard, contraint de servir son père et de faire ses preuves pour espérer un jour s’en détacher, le jeune homme va jongler entre obéissance et initiatives pour jouer un coup audacieux, prenant son demi-frère au piège.
Je ne vous dis pas tout, juste que c’est écrit comme un thriller contemporain, un véritable page-turner, mais avec la qualité de détails historiques d’un « Nom de la Rose » d’Umberto Eco, des « Cadfael » d’Ellis Peters ou « La trilogie Hussite » d’Andzej Sapkowski. C’est fluide, trépidant, très visuel, et globalement réaliste. En un mot, un excellent divertissement, dont on peut ressortir un peu moins bête en prime.
Vu comment les choses se terminent, c’est-à-dire de façon assez satisfaisante et définitive, nous laissant amplement rassasiés, je suis curieux de voir l’intrigue rebondir dans un second tome qu’on espère tout aussi bon.
Titre : Les terres sans lois (the lawless land, 2022)
Série : Chroniques des terres sans lois, tome 1
Auteurs : Boyd & Beth Morrison
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Pascal Loubet
Couverture : Maxim Obsidianbone / Ben Prior / Head of Zeus
Éditeur : Bragelonne
Collection : Historique
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 430
Format (en cm) : 23,5 x 15,5 x 3,5
Dépôt légal : juin 2023
ISBN : 9791028119591
Prix : 25 €
