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Société Très Secrète des Sorcières Extraordinaires (La)
Sangu Mandanna
Lumen, roman (Grande-Bretagne), fantastique + feel-good, 406 pages, aout 2023, 17€

Mika Moon, trentenaire anglaise d’origine indienne, est une sorcière. Elle a du mal avec les Règles édictées par sa tutrice, Primrose, la doyenne des sorcières, qui leur impose à toutes de vivre en cachant leurs pouvoirs et éloignées les unes des autres. Autant dire que l’ancienne apprécie modérément sa chaîne Youtube et ses vidéos de petite cuisine magique !
C’est pourtant par ce biais qu’elle reçoit une étrange offre d’emploi : devenir tutrice pour 3 petites sorcières ! Intriguée, elle se rend à la Maison de Nulle Part, cottage en bord de mer appartenant à l’archéologue Lilian Nowhere : une adresse difficile à trouver, puisque la maison est dissimulée sous un épais sortilège de dissimulation.
Vivent là Ian, un très vieil acteur et son mari Ken, passionné de jardin, Lucie la gouvernante, Jamie, le revêche bibliothécaire, et les 3 filles adoptives de Lilian : Rosetta (10 ans), Terracotta (8 ans) et Altamira (7 ans). Trois petites sorcières sans aucune formation, dont la proximité rend la magie très puissante et totalement incontrôlable !
Si la maisonnée a besoin de Mika, c’est qu’une épée de Damoclès plane : le notaire de Lilian doit les visiter d’ici Noël, et il ne doit pas y avoir de catastrophe !
En fait, c’est un peu plus compliqué que cela, mais Mika le découvrira bien plus tard...



C’est peu dire que je ne suis pas le public cible du feel good. Guère fan d’un genre très balisé et un peu gnangnan, je suis parti un peu à reculons, et j’ai eu la joie d’être bien surpris.

Oh, n’allez pas imaginer de révolution :au contraire, le roman de Sangu Mandanna est simplement un modèle du genre. Il utilise à la perfection tous les tropes, auxquels l’autrice ajoute une bonne dose de magie à titre d’originalité. En le refermant, on se dit que cela ferait un bon film de Noël (puisque cela se finit, en gros, à cette échéance-là).

Donc, si on résume : une trentenaire esseulée avec une passion secrète et incapable d’attaches se voit offrir le job de ses presque rêves : transmettre sa passion. Pour elle qui a grandi et appris seule, comme la majorité des sorcières qu’elle connait, c’est l’occasion d’offrir à ces petites une éducation différente, moins solitaire. Gros avantage, toute la maisonnée admet l’existence des sorcières, donc pour une des rares fois de sa vie elle n’a plus à se cacher. Les gens sont adorables, Ian et Ken le couple d’octogénaires, Lucie la gouvernante... Rosetta et Altamira, en manque de figure maternelle (puisque Lilian est absente quasi en permanence) l’adoptent immédiatement. Là où ça coince, c’est auprès du ronchon mais teeeellllleeeement sexy Jamie, à peine plus âgé qu’elle et terrrriblllement mystérieux, et la cadette, Terracotta, qui la rejette frontalement et essaie de la faire fuir.

On a affaire aux rebondissements attendus pour voir Mika, avec la complicité de Ian, gagner la confiance des autres, empêcher un accident, mais aussi causer quelques petits incidents. Elle incarne l’ouverture sur le monde extérieur pour cette cellule familiale inhabituelle qui vit à l’écart depuis l’arrivée des petites dans leur vie. Paradoxal, puisque Mika n’est pas un modèle de sociabilité, du fait de son identité secrète et des Règles imposées par Primrose.

Déterminé à ne pas laisser Jamie vieillir seul, Ian s’amuse à jouer les entremetteurs malgré les mises en garde des autres. Mais comment pourrait-il en être autrement, avec ces deux âmes meurtries par la vie ? Si cela n’était pas évident, l’autrice cite explicitement Jane Austen (que Rosetta commence à lire). Jamie est un parfait Darcy, et tout le roman a le charme des fictions austenniennes.

L’autrice prend soin de rendre la diversité très visible, signalant les types ethniques de ses personnages, leur orientation sexuelle... L’homosexualité de Ian et Ken est un écho à la magie de Mika : eux aussi ont dû se cacher, de crainte peut-être pas des bûchers mais des passages à tabac. Les petites, orphelines comme toutes les sorcières, ont été ramassées de par le monde par Lilian. La Maison de Nulle Part est un agglomérat de minorités plus ou moins visibles. Tout le monde essaie de prendre soin des autres, comme dans tout bon feel good, c’en est parfois fatigant, heureusement qu’il y a des éléments récalcitrants à cette bonté omniprésente.

Bon, mais à part Mika qui se plait à rêver intégrer cette famille, Jamie et ses secrets enfouis, et l’échéance de la visite du notaire, y a-t-il un moteur à cette histoire ? Eh bien oui, une grande révélation aux 2/3 du roman rebat les cartes, brise le couple naissant, renvoie Mika à son enfance avec un goût d’échec... Mais les choses se recollent, pas forcément toutes aussi belles qu’avant, mais plus solides... La conclusion respecte les règles de la comedia dell’arte et des romans austenniens : entre une concomitance d’heureux hasards et une convergence de chance, on croit frôler la catastrophe mais tout finit bien !

Si la magie de Mika, ses potions au clair de lune et ses thés rehaussés de poussière d’étoiles sont gentillets, j’ai néanmoins beaucoup apprécié le cadre « magique », avec les réunions trimestrielles des sorcières, la Règle de ne pas concentrer le pouvoir au même endroit, le passif mystérieux qui pousse Primrose à imposer ses règles, à avoir élevé Mika de cette façon... L’autrice distille cela doucement, comme tout le reste à vrai dire, tandis que chacun s’ouvre aux autres, et ses révélations alternent avec l’éducation des filles, les jeux de séduction et l’adoption dans la Maison, ce qui fait qu’on avance rapidement dans les 30 chapitres de « La Société très secrète des sorcières extraordinaires ».

C’est donc une belle histoire d’amour, de confiance en soi et dans les autres, teintée de magie. Une histoire d’apprentissage, du courage qu’il faut pour se jeter dans le vide, prendre des risques en espérant le meilleur plutôt que de toujours vivre dans la crainte du pire. C’est bourré d’humour, de féminisme, de tolérance, et si parfois cela dégouline un peu trop de sirop, c’est un bien moindre mal.
A mettre entre les mains des ados qui manquent un peu de confiance en eux (attention, ça parle un peu de sexe, sans fard), ils découvriront que cette maladie touche aussi les adultes, mais qu’elle se soigne bien, avec du thé et un peu de malice.


Titre : La Société Très Secrète des Sorcières Extraordinaires (the very secret society of irregular witches, 2022)
Autrice : Sangu Mandanna
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Laureline Chaplain
Couverture : Marine Gosselin
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 406
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 3,5
Dépôt légal : aout 2023
ISBN : 9782371024137
Prix : 17 €



Nicolas Soffray
22 septembre 2023


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