Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Sans Foi ni Loi
Marion Brunet
PKJ, roman (France), western, 221 pages, septembre 2019, 16,90€

Quand Abigaël Stenson débarque dans la vie du jeune Garett, elle a l’oreille en sang, des dollars volés plein la musette et le shérif aux trousses. Elle prend l’aîné de la fratrie en otage. Mais la première terreur passée, le garçon en vient à admirer la hors-la-loi et surtout, la bouffée de liberté que son enlèvement lui offre... Rejoignant une petite ville où Ab a des attaches, Garett va se faire des amis, tomber amoureux, apprendre à tirer... même si rien simple et que le danger pèse toujours au-dessus de leurs têtes.



Récompensé du prix Pépite d’or du Salon jeunesse de Montreuil en 2019, « Sans foi ni loi » est un western dans la plus pure tradition du genre, cru, cruel, violent, nerveux, et en même temps extrêmement lumineux.

C’est l’histoire d’une orpheline qui devenue adulte, dans un monde injuste et dominé par les hommes et leurs règles, s’empare de ce dont elle a besoin pour assurer l’avenir de ceux qui lui sont chers, même si elle sait qu’elle en payera le prix. Elle mène une vie d’homme, dans des vêtements d’hommes, s’attirant les foudres tant des bigotes dont elle bafoue le modèle féminin que des hommes à qui elle fait de l’ombre.
C’est l’histoire d’un garçon, fils d’un pasteur qui prêche l’amour de son prochain à l’église et dirige sa maison à coups de ceinturon. Un garçon qui voit sa vie basculer, et malgré des frères et sa petite sœur laissés derrière lui, saisit cette échappatoire. C’est pour lui la découverte d’un autre monde, d’autres gens, et surtout d’une autre façon de voir le monde et les autres, loin des œillères du pasteur. Amoureux d’une danseuse de saloon de son âge, jaloux qu’elle se prostitue pour vivre. Ami d’un demi-Indien, rejeté par beaucoup y compris sa mère.
L’aventure ne dure que quelques semaines, le temps que la justice les rattrape. Quelques semaines durant lesquelles Garett grandit, devient un homme, fait des choix et des promesses. Qu’il tiendra.

Marion Brunet signe avec « Sans foi ni loi » un western magnifique, tant sur le fond que la forme. Les chapitres sont courts, leurs titres accrocheurs, la narration à la première personne joue parfois avec le présent mais préfère le passé : pas de surprise, on se doute que cela finira mal pour Ab, mais que Garett raconte leur histoire commune.

L’autrice n’épargne pas grand-chose à ses lecteurs, jeunes ou pas. Ici, grand merci, pas de trigger warnings, le titre est assez explicite, non ? c’est l’Ouest Sauvage au début du XXe siècle : un monde violent, machiste. Les hommes sont tout-puissants, les femmes doivent être pires pour ne pas se faire écraser, à l’image des bigotes qui manifestent contre les filles de saloon (que fréquentent leurs maris) et celles qui sortent de leur norme : Ab se comporte comme un homme, Jenny vit sa vie comme elle l’entend, avec l’étiquette « pute » collée à la peau... Elles ont raison, vu le sort de celles qui courbent l’échine : la mère de Garett, trop effacée, est morte, et sa tante, venue aider à la maison, n’a pas su tenir tête au père.
Garett, pour sa part, est un « étranger » dans la ville, et ne vaut guère mieux que Will, moitié Blanc et moitié Indien. L’autrice, au travers des histoires de chacun, amenées avec douceur et sensibilité, nous brosse un univers de prédateurs, où les faibles survivent par miracle, au prix d’alliances parfois fragiles, quand les forts les écrasent pour ne pas se dévorer entre eux.
J’ai particulièrement aimé le traitement du pasteur : on l’entrevoit à peine, une ligne de dialogue, il a tout du croquemitaine, du monstre de cauchemar qui lorsqu’il s’incarne dans la réalité apporte la peur et le mal avec lui.
Rien ne nous sera épargné, et à chaque pic de bonheur, comme la première nuit de Garett et Jenny, suivra du malheur, comme si cette vie à demi civilisée refusait la joie trop tranquille à ses personnages.

En plus de Jenny, l’amour de Garett, bien plus mature que lui malgré leurs 16 ans, deux petites filles éclairent l’histoire : Pearl, la gamine d’Ab, et la raison de tout ceci, et Esther, la petite sœur de Garett, bien plus fine que les garçons. Le roman est, on l’a compris, profondément féministe. Même si on voit toute l’histoire à travers les yeux de Garett, un garçon qui a reçu une éducation rigoriste, la liberté des femmes lui saute aux yeux, même quand le prix de cette liberté lui fait mal, comme avec Jenny. Et il est témoin des disputes des deux femmes, Jenny reprochant à Ab sa fuite en avant et les risques qu’elle prend, les choix qu’elle veut faire pour elles deux, au lieu de s’occuper de Pearl. La solide Ab en ressort plus fragile, la frêle Jenny plus sûre d’elle qu’elle n’en a l’air.

J’ai déjà écrit que ce roman était magnifique ? Ses 220 pages bourrées d’émotions diverses se dévorent, la tension ne se relâche que peu de tend, celui d’espérer un nouveau départ ou une fin heureuse (pauvres naïfs). Marion Brunet connaît ses classiques, tant littéraires que cinématographiques, et nous offre des morceaux d’anthologie dignes de John Ford, Sergio Leone ou Clint Eastwood, et une conclusion en trois temps, de quoi frissonner jusqu’à la dernière ligne.

Une vraie pépite d’or, à mettre entre les mains de tous âges, pour se souvenir de ce qu’est la beauté et de ce qu’est le mal.


Titre : Sans foi ni loi
Autrice : Marion Brunet
Couverture : Axel Mahé / iStock
Éditeur : Pocket Jeunesse
Collection : PKJ
- Grand format
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 221
Format (en cm) : 22 x 14 x 2,5
Dépôt légal : septembre 2019
ISBN : 9782266294195
Prix : 16,90 €
- Poche
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 221
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : février 2023
ISBN : 9782266324540
Prix : 7,50 €



Nicolas Soffray
8 septembre 2023


JPEG - 33.2 ko



Chargement...
WebAnalytics