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Fantasy & Médias
Anne Besson, Florent Favard, Natacha Vas-Deyres (dir.)
ActuSf, actes du colloque des Imaginales 2022, 285 pages, mai 2023, 24,90€

Depuis 2020 se tient aux Imaginales d’Epinal un colloque universitaire mettant en lumière l’intrication de l’Imaginaire (et plus particulièrement la fantasy) dans nos sociétés. Des conférences accessibles et particulièrement enrichissantes, dont les actes sont publiés en préambule de l’édition suivante. La thématique 2022 était donc « Fantasy & médias ».



Ayant pu assister à une partie des conférences mais hélas pas à toutes, je suis le premier à me réjouir que les éditions ActuSF assurent cette publication, tout comme je me réjouis de la vitalité de la recherche, autour des cursus en littérature comparée encadrés par Anne Besson à l’université d’Artois.
Après des travaux consacrés à « Game of thrones », cette fois ce sont, sorties de séries oblige, « The Witcher » et « le Seigneur des Anneaux » qui sont à l’honneur.

William Blanc décortique la construction graphique des illustrations iconiques de la fantasy, et la fusion entre les textes de Robert Howard et les tableaux de Frazetta qui ont marqué le genre et sa représentation, notamment en plaçant le monstre de face et le héros de dos, facilitant l’identification du spectateur.

Jérémy Michot analyse les musiques des différentes adaptations de « The Witcher », du film polonais à la série Netflix en passant par les jeux, et met en lumière comment des compositeurs et compositrices, sans reprendre le travail de leurs prédécesseurs, retranscrivent par les mêmes moyens, mélodies et instruments l’atmosphère propre à l’œuvre de Sapkowski. Pointu pour les non-musicologues, mais parfaitement compréhensible.

J’avais fortement apprécié entendre Silène Edgar raconter la genèse de « Lune Rousse », le roman tiré du jeu « Les Loups-garous de Thiercelieux ». Elle est tout aussi agréable à lire dans un article qui retrace bien les ponts établis par Philippe de Pallières et Hervé Marly, à la création du jeu, avec la matière merveilleuse ; les choix graphiques des différentes éditions ; la façon dont Paul Beorn et elle se sont emparés des rôles pour construire une vraie histoire, une fanfiction, et pas juste raconter une partie. Une vraie amitié transparaissait dans la conférence, on la ressent dans l’article.

On entre dans des champs qui m’étaient inconnus avec Oanez Hélary qui nous parle des forums RPG de fantasy, des enjeux d’écriture de ses membres (souvent des jeunes femmes) et des contraintes de lore (« l’univers », au sens le plus large) qui y sont liées. Si l’étude statistique et sociologique est intéressante, l’analyse en elle-même, se fondant seulement sur 3 arcs isolés et pas forcément représentatifs, laisse un peu perplexe.

Laura Martin-Gomez s’attaque aux fans de l’œuvre de Tolkien et leur réception des diverses adaptations, via le courrier des lecteurs des publications spécialisées. Des premiers animés aux 6 films de Jackson jusqu’à la série Amazon, il s’en dégage des profils variés, qu’ils soient primo-lecteurs ou primo-spectateurs, avec une minorité de trolls gardiens du temple, pour une majorité de gens posés, acceptant chaque nouvelle transposition à l’écran comme une œuvre et une vision supplémentaire qui vient nourrir l’Imaginaire et la faire découvrir à de nouvelles générations. C’est rassurant.

Marie Barraillier étudie les productions animées de fantasy Netflix pour la jeunesse, et derrière la stratégie de la plateforme, met en lumière la double cible générationnelle de ces séries, qui cherchent à toucher la tranche d’âge inférieure à sa cible officielle, mais aussi les parents, à la fois prescripteurs et amateurs.

Louis Barchon sonde le jeune public rôliste contemporain. Via un sondage lors du confinement dans le milieu universitaire, il constate que le JDR est encore majoritairement masculin, avec un effet de cercle vicieux puisque le nouveau public le découvre souvent via une relation (parent, ami...) qui l’initie, et qui restreint souvent l’arrivée des joueuses dans un univers de confiance. Entre autres contraintes : temps, disponibilité, implication, famille... mais qui ne sont pas sans lumières d’espoirs.

Raphael Luis revient sur Game of Zones, sur The Ringer, un podcast américain qui traitait la diffusion de « Game of Thrones » avec les codes d’analyse des compétitions sportives, en jouant sur la proximité des publics. Assez fascinant.

Sophie Le Hiress revient sur la vitalité de la communauté autour de la série (terminée) « Once Upon a Time », l’usage d’un matériau de la culture collective par les scénaristes pour produire quelque chose de neuf mais dont le public détient pour partie les clés de compréhension, et les nombreuses fanfictions qui irriguent toujours la communauté.

Justine Breton, qui publie cet été un ouvrage sur « The Witcher » chez Bragelonne, montre comment l’auteur s’appuie sur le matériau merveilleux pour construire son univers, mais aussi comme les aventures de Geralt et consorts nourrissent elle-mêmes le lore, des chansons de Jaskier qui le font entrer dans la légende à la bataille de Sodden dont l’auteur ne délivre jamais le moindre récit direct mais que les souvenirs, les analyses des vétérans, voire des récits de seconde main. Idem, elle évoque dans les jeux vidéo les jeux de dés et de cartes (le gwynt) qui peuvent briser l’immersion mais témoignent aussi du quotidien culturel et ludique du monde. Indispensable pour clore le bec de quiconque décrit le genre comme « littérature enfantine ».

Il est aussi beaucoup question du lore dans l’article suivant, sur Tamriel, le monde des jeux « Elder Scrolls » (« Morrowind », « Oblivion », « Skyrim »), rapidement présenté aux joueurs comme la Terre du Milieu, mais qui s’est vue largement enrichie au travers de nombreux textes, livres, récits, dialogues des PNJ dans le jeu, quasi dispensables pour la quête principale, mais venant enrichir, rendre vivant et réaliste tout l’univers. Clara Colin Saidani revient sur le rôle primordial des loremasters, ces auteurs de tous ces éléments d’univers, eux-mêmes souvent rôlistes, et des encouragements à la communauté pour participer au world building, à s’approprier la matière du jeu.

Enfin, Marie Kergoat, pratiquante d’escrime artistique, évoque l’imaginaire guerrier du « Seigneur des Anneaux », l’influence de la vision de Peter Jackson dans la continuité d’une tradition cinématographique des duels et combats à l’arme blanche, épée ou sabre laser ; Elle évoque le travail de la compagnie Contretemps qui propose un spectacle chorégraphié s’appuyant sur les scènes de combat des films de Jackson mais aussi sa musique et ses répliques emblématiques, condensant l’essentiel en moins de dix minutes, créant ainsi une nouvelle forme de l’œuvre.

Tout ceci témoigne, s’il fallait encore s’en convaincre, de la la quasi omniprésence de la fantasy dans la culture pop actuelle, de la vitalité du genre qui transcende les formats et se transmet d’une génération à l’autre. La fantasy, un temps éclipsée par la SF, souvent dénigrée, est plus présente et appréciée que jamais.


Titre : Fantasy & Médias - actes du colloque des Imaginales 2022
Direction : Anne Besson, Florent Favard, Natacha Vas-Deyres
Couverture : Zariel
Éditeur : ActuSF
Site Internet : page livre (site éditeur)
Pages : 285
Format (en cm) : 22 x 14 x 3
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9780201379624
Prix : 24,90 €



Nicolas Soffray
11 août 2023


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