Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Derniers Jours des Fauves (Les)
Jérôme Leroy
Gallimard, Folio policier n°985, roman (France), thriller politique, 416 pages, mars 2023, 9,20€

Nathalie Séchard, élue présidente ni de gauche ni de droite, est déterminée à ne pas se représenter, écoeurée des compromissions qu’elle a dû accepter durant son mandat. Alors que le Bloc Patriotique se fait toujours plus menaçant, la course à sa succession commence. Patrick Beauséant, son Ministre de l’Intérieur bien de droite, est bien décidé à rafler le pouvoir en incarnant l’homme providentiel contre le Bloc. Quitte, pour cela, à trafiquer un peu la vérité et semer quelques cadavres.



Les précédents thrillers de Jérôme Leroy nous avaient déjà immergés dans cette France de fiction guère différente de la vraie. Comme on dit, « d’après des faits réels, mais les noms ont été changés ». Et ces « Derniers jours des fauves » poursuit l’histoire alternative démarrée avec « Le Bloc » en 2011, « l’Ange Gardien » en 2014 et le film « Chez Nous » de Lucas Belvaux, qu’il coscénarise, en 2017. L’auteur n’a de cesse de dénoncer le danger d’une extrême-droite à nos portes, et d’une droite qui lui ressemble tout autant qu’elle lui lèche les bottes.

Sans surprise donc, les similitudes avec notre réalité sont très nombreuses, et l’on sent la jubilation de l’auteur à jouer avec le vrai et le fictionnel. Le parcours politique de Nathalie Séchard est « traditionnel » pour une élue locale de gauche, mais son accession au plus haut échelon, presque une surprise (ou un coup de maître électoral) rappelle bien évidemment celle d’Emmanuel Macron, cité en toile de fond comme un petit fonctionnaire éclipsé par la manœuvre (une ligne succulente). Le Parti, Nouvelle Société, qui a les mêmes initiales que la candidate... les compromis, le barrage républicain... Jérôme Leroy, comme d’habitude, fait excellemment bien le travail, digérant les faits politiques de ces dernières années pour les synthétiser dans sa fiction, sans fard et avec une dose d’humour noir pour faire passer la pilule. De fait, à lire ce roman, on se dit qu’on a été bien bête de se faire prendre à ce piège grossier, et qu’à chaque nouvelle élection cela empire. De fait, une fois sa décision de passer la main annoncée au grand public, soit bien des pages après l’annonce au lecteur, le cataclysme attendu éclate et après quelques touches à fleuret moucheté c’est la curée pour les candidats. Pas de pitié. Enfin côté droit. La gauche, c’est plus compliqué (c’est pour cela qu’elle perd).

L’auteur nous immisce au plus près de ses personnages (le roman s’ouvre sur la présidente faisant l’amour avec son conjoint et ex-amant bien plus jeune qu’elle, un de ses anciens étudiants...) pour mieux nous les montrer comme les animaux politiques qu’ils sont. Si Séchard est sur le départ, Beauséant se sent pousser des ailes, même en famille, auprès de sa femme malade, il pense à sa carrière.
Autour des personnages publics, il y a des petites mains. Si l’intrigue fait la part belle à Clio Manerville, fille d’un ministre de gauche, et son chéri Lucien Valentin, qui pour gagner sa croûte sert de nègre à Beauséant pour écrire ses mémoires (le culte du livre, du passé, de laisser une trace chez ces gens-là...), elle nous présente aussi des gens peu recommandables et hautement dangereux, aptes à faire du sale boulot proprement quand c’est nécessaire. Des gens aux parcours proches, dans des camps opposés, fidèles à leur maître pour monter avec lui jusqu’aux plus hautes sphères, ou simplement loyaux.
Loin de s’en tenir à une narration classique, l’auteur n’hésite pas à s’adresser au lecteur comme tout bon conteur d’une histoire, commenter certaines scènes ou la psychologie de ses personnages, introduisant un peu de distance mais aussi de second degré dans un récit qui sans cela pourrait très vite devenir angoissant et anxiogène tant il nous montre, avec réalisme, à quel point les puissants ne s’embarrassent pas de morale, d’éthique ou de remords dans les coulisses du pouvoir. Chacun, bon ou mauvais, est mis à nu face aux lecteurs, son parcours expliqué, à défaut de justifié. Nul n’arrive où il est par hasard, il y a eu des choix décisifs, parfois mûrement réfléchis, en tacticien, parfois spontanés, venus du cœur ou des tripes.

Le cœur de Jérôme Leroy reste néanmoins à gauche, et s’il nous présente des socialistes dépassés, moins capables de cette hargne vindicative que les personnages de droite sans pitié, il en explore avec nous leurs racines, leurs failles et leurs faiblesses. La relation du trio Guillaume Manerville / sa fille Clio / le Capitaine (un ami d’enfance devenu militaire puis mercenaire) est à la fois dramatique, glaçante et touchante. Dans le parcours de la jeune fille, on voit l’élite de la jeunesse d’aujourd’hui s’inquiéter du monde qui l’attend et que malgré ses efforts elle ne peut changer. Dans celui de son père et de son « parrain », les illusions perdues de la génération précédente, l’échec de la gauche, mais la force des liens personnels et l’espoir qui survit malgré tout.

La chronologie est parfois un peu malmenée, au fil des différents points de vue lorsque l’action est dense, et je ne suis pas grand fan des basculements de points de vue sans même un saut de ligne, dans un effet de focale de caméra qui rend sans doute mieux à l’écran. Mais ce sont des broutilles : le ton, à la fois glaçant et n’hésitant pas à un peu d’ironie, la densité psychologique, la profondeur de travail sur les personnages, leur carrière, leurs motivations, la noirceur du regard sur une histoire politique à très court terme... On sourit aussi à la loge secrète, entre cercles occultes de pouvoir et complotisme. Bref, il y a tout dans ce roman, qu’on lâche difficilement une fois ouvert, la faute en plus à de longs chapitres parfaitement justifiés par la construction narrative : je voulais l’entamer un soir avant de dormir, j’ai lu 100 pages...

On a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait de Jérôme Leroy (pour ma part depuis « Big Sister » en 2000), dont la plupart des œuvres sont saluées par des prix : Son « Vivonne » a remporté le GPI 2022. Celui-ci a raflé le prix de la Critique 2023.
J’en ai volontairement peu dit sur l’intrigue, parce qu’elle est à la fois très simple mais alimentée de tant de rebondissements, de faits intriqués et de contexte nécessaire que l’exercice était aussi périlleux que nocif à la découverte de lecture. « Les Derniers jours des fauves » est sans nul doute un grand roman politique avant même un excellent thriller, une histoire dramatique contée sur un ton grinçant et jubilatoire, un portrait glaçant d’une France pas fictive du tout.

Une excellente lecture, d’utilité publique et politique.


Titre : Les derniers jours des fauves
Auteur : Jérôme Leroy
- Grand format
Éditeur : La Manufacture de livres
Collection : roman noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 440
Format (en cm) :
Dépôt légal : février 2022
ISBN : 9782358878302
Prix : 20,90 €
- Poche
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio Policier
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 985
Pages : 416
Format (en cm) : 18 x 10 x 2,5
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9782072984730
Prix : 9,20 €



Nicolas Soffray
15 juillet 2023


JPEG - 24.7 ko



JPEG - 18.4 ko



Chargement...
WebAnalytics