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Roman Fleuve
Philibert Humm
Les équateurs, roman (France), aventure ubuesque, 285 pages, août 2022, 19€

Trois jeunes intellectuels parisiens entreprennent de descendre la Seine en canoë pour renouer avec l’esprit d’aventure. Quand bien même il est interdit de canoter sur la Seine, qu’ils ne sont pas bien dégourdis et plutôt penchés sur les choses de l’esprit et la consommation de vin.
A bord d’un esquif ayant paraît-il appartenu à Véronique Sanson, mâté d’une tringle à rideau, à 3 dans un 2 places, encombrés du superflu, manquant de l’essentiel mais pas de scotch marron, les voilà (mal) partis.



Premier roman de Philibert Humm, et immédiatement lauréat du prix Interalliés 2022, « Roman fleuve » est une aventure burlesque et ubuesque où la beauté de la langue est inversement proportionnée à la nullité du propos.
Imaginez Edouard Baer, François Rolin et disons Gérard Depardieu, jeunes godelureaux de 25 ans, sur un bateau. Ou plutôt, imaginez-les vous raconter avec leur verve actuelle et un ton ampoulé leur aventure en bateau, récit bien plus épique et romanesque que ne le fut la plate réalité.

“... un roman d’aventure avec de l’action à l’intérieur et aussi des temps calmes et du passé simple. Ceci est une expérience de lecture immersive. Hormis deux ou trois passages inquiétants, le suspense y est supportable et l’œuvre reste accessible au public poitrinaire. A noter la présence de nombreux adverbes.”

Philibert, l’auteur et narrateur, émule et protégé de Sylvain Tesson, adoubé par icelui, est l’initiateur de cette descente à l’estuaire de la Seine. En bon capitaine qui ne compte pas ramer, ou pas seul, il s’adjoint un ami, Samuel Adrian (également auteur publié aux Equateurs), et un boulet, Waquet, qui s’invite sans qu’on lui ait demandé son avis. Le premier est vaguement journaliste, le second potentiel énarque mais d’un maladroit consommé, le dernier universitaire en droit romain ou quelque chose du genre, en tout cas sans aucune compétence utile au voyage, et l’esprit tout aussi étroit au souffle de l’aventure. Il a cependant l’à-propos de régulièrement suggérer d’ouvrir une bouteille.

La préparation, le départ, les multiples escales nécessaires à l’alimentation et surtout la réhydratation, les rencontres dignes de Robinson et Vendredi avec les pochtrons et gargotiers des côtes fluviales, dans le récit picaresque de Philibert tout cela prend des dimensions ubuesques. L’art des trois personnages de pinailler sur tout, surtout sur les vétilles, et le talent de l’auteur à nous le présenter comme une dispute de haute volée nous arrache rires et sourires à chaque page. Dès les titres de chapitres, multiples et annonciateurs de ce qui va suivre, on appréhende avec délices les débilités qui vont suivre.

Si on sentira chez Humm l’influence de la génération bercée à l’œuvre arthurienne d’Alexandre Astier, et cette alliance des bons mots pour sauver une scène pitoyable, on appréciera, pour peu qu’on ait quelques restes de lettres classiques, d’y trouver l’esprit d’un autre Rolin que le précédemment cité, Jean, et plus profondément des envolées empruntées aux « Châtiments » d’Hugo. Sans parler des auteurs et philosophes cités, parfois mal à propos (tiens, tout comme les latinismes du roi Lot, interprété par Rolin, dans « Kaamelott »). Bref, c’est beau, si on en est pas sûr ça a au moins l’air intelligemment écrit et c’est clairement pas innocent du tout. Un délice.

L’auteur multiplie les procédés littéraires, comme l’adresse directe au lecteur dont il présume parfois de l’ennui devant tant de bêtises, il n’hésite pas à anticiper, prévenant de l’occurrence des prochaines péripéties en nous en renseignant la page exacte ; il n’hésite pas à quelques digressions éclairantes ou non. Il prend soin de nous, s’agissant que nous arrivions également à bon port, enfin aussi à l’estuaire. Enfin, la confusion entre fiction et réalité est totale : est-ce là un réel récit d’aventure ou pure imagination ? Étant donné que la réalité n’a pas à s’embarrasser de réalisme, et qu’on demande à la fiction de rester crédible, on penchera pour un habile cocktail.

Moi qui suis plus ou moins en froid avec la littérature blanche, je n’en apprécie que davantage qu’un tel bijou ait eu la grâce d’un grand prix : c’est la preuve que tout n’est pas perdu, si un brin de fantaisie et d’absurde trouve encore le chemin de si bons mots.


Titre : Roman Fleuve
Auteur : Philibert Humm
Couverture : Stéphane Rozencwajg d’après René Vincent
Éditeur : Les Equateurs
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 285
Format (en cm) : 21 x 15 x 3, hardcover
Dépôt légal : aout 2022
ISBN : 9782382842096
Prix : 19 €
- Poche
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 300
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : mars 2024
ISBN : 9782073019448
Prix : 8,90 €



Nicolas Soffray
9 avril 2023


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