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Galaxies n°81 (Nouvelle Série)
Directeur de publication : Pierre Gévart
Revue, n°81, SF - nouvelles - articles - critiques, janvier 2023, 192 pages, 11€

Dans l’éditorial, Pierre Gévart annonce le retour à une fréquence de publication trimestrielle. En effet, maintenant qu’il n’y a plus les deux numéros spéciaux « Lunatique », puis « Mercury » à intercaler chaque année, la charge de travail devenait trop importante pour poursuivre sur le même rythme. Donc retour à quatre « Galaxies » par an ! Ce qui, à mon sens, est une sage décision.



La couverture donne le ton : une main tendue vers les étoiles, une fusée dans son prolongement, les deux d’un rouge criard pour bien se détacher du fond bleu foncé. Il s’agit d’une affiche tirée d’une campagne de propagande soviétique sur la course aux étoiles, le sigle CCCP a été effacé de la fusée pour l’occasion. Elle annonce très bien le dossier “Science-Fiction et propagande” présenté par Patrice Lajoye. Marguerite Roussarie décrypte le roman de propagande par excellence « 1984 » de Georges Orwell, y montrant la force des mots. Certains sont tombés dans l’usage courant comme la novlangue et bien sûr le célèbre « Big Brother is watching you ». Réécriture de l’histoire pour que rien ne vienne contredire le pouvoir, espionnage de tout un chacun, sentiment de peur, de ne pas pouvoir dévier de la ligne imposée, même en pensée...
Philippe Caza l’a très bien assimilé, nous servant la nouvelle “Un dimanche en Camembrie”, parfaitement à propos. Contrairement à ce qu’indique le sommaire, elle n’est pas inédite. La France n’y existe plus, vive la Camembrie ! Repli du pays sur lui-même, toutes références étrangères ou à la France sont strictement interdites. Appauvrissement drastique du langage, obligation de consommer local, d’écouter la radio officielle, la liberté individuelle en-dehors de limites strictes n’a plus lieu d’être... Chacun est observé. « Marceline t’à l’œil » alors il ne faut pas plaisanter ! Le trait est ici grossi pour mieux dénoncer l’ineptie de ce régime dictatorial et passablement ridicule. Une pépite qui fait sourire et inquiète à la fois.
Autre nouvelle : “Pédalez et soyez heureux” du Roumain Cristian Teodorescu. Un cube de nourriture comme salaire pour pédaler une journée entière et produire de l’énergie, voilà une existence guère réjouissante. Il reste le rêve pour espérer une vie meilleure. Là aussi, l’individu est formaté pour ne pas faire de vagues et devenir une simple source d’énergie à moitié décérébrée. Un autre apport de poids au dossier.

Ce dossier consacre aussi un article à la “Propagande et SF en Russie” avec la revue « Œuvres et opinions » et plus précisément son numéro spécial Science-fiction daté de mai 1968, une rareté qu’a réussi à se procurer Patrice Lajoye. Sergeï Sobolev analyse « Le troisième empire » (2007) de l’ancien député Mikhaïl Iouriev ((1959-2019), une utopie russe qui coche toutes les cases de la propagande.
Figurent aussi au dossier deux œuvres françaises traitées sur le mode Pour ou Contre : « Ces guerres qui nous attendent 2030-2060 » de la Red Team et « Rêver 2074 ». La première est une initiative du ministère de la défense qui a demandé à un collectif (auteurs, dessinateurs...) d’imaginer des scenarii de guerres futures et la seconde a été commandée à six auteurs de SF français par l’industrie du luxe pour imaginer le milieu du luxe en 2074. Pour ou contre ? Toutes les initiatives de promotion de la SF ne sont-elles pas bonnes à prendre ? Faut-il s’autoflageller de la sorte ? Et puis revenir dessus à force arguments positifs ou négatifs ne revient-il pas à leur accorder plus d’importance et à en faire la promotion ? L’intérêt de ces deux focus dans le dossier n’est pas évident pour moi.

La seconde livraison de “Chroniques d’Ukraine” n’est pas sans faire écho au dossier. En effet, environ 80 écrivains russes de SF ont signé une lettre ouverte en faveur de l’invasion de l’Ukraine. Dans un papier datant du 9 mars 2022, Sergii Paltsun donne son avis dessus, sur le sentiment de trahison de la part d’homologues qu’il a déjà croisés, sur les œillères qu’il faut porter pour ne pas voir l’horreur de la guerre. Des mots forts et justes. Dans sa courte nouvelle “Une feuille de chou”, il dénonce les gens de savoir (les autorités ?) qui n’écoutent pas le peuple, n’y voyant que croyances, folles paroles.
“Pastorale” de Yana Dubynianska n’est pas sans rappeler « Les coucous de Midwich » de John Wyndham. Après un événement décimant les hommes d’un village, des femmes tombent enceintes d’une manière mystérieuse. Elles sont montrées du doigt, rejetées, insultées. Elles sont rares à aller au terme de leur grossesse, seules cinq en ont le courage. À leur tour, leurs enfants subissent le rejet plus ou moins violent des habitants. L’un d’eux, une fois adulte, revient sur les faits passés qui sont loin d’être clairs, décrit chacun d’entre eux, ce qu’il avait de remarquable, évoquant le gâchis. Une nouvelle qui se révèle fascinante par les non-dits et les théories que l’on peut échafauder autour.

La partie Fictions débute avec Andrea Kriz, biologiste et auteure de science-fiction américaine passionnée par l’histoire de la Résistance en France, ce qui se ressent à travers la figure centrale de “Toutes les ombres du roi”, à savoir Jean Moulin. Une de ses connaissances le suit dans différentes trames temporelles. Il y a connu des fortunes diverses et dans celle du récit, après guerre, il s’est isolé dans une ancienne bergerie pour peindre. Comme il y a force références et que le lecteur n’est pas forcément connaisseur de la biographie de Jean Moulin, bien des subtilités doivent lui échapper. C’est en tout cas mon impression finale, celle de ne pas avoir tout suivi faute de le pouvoir. Une nouvelle un peu plombée par un excès d’informations.

Suivent deux premiers accessits ex æquo du Prix Le Bussy 2022. “C.harpie et ses C.haînes” relève du cyberpunk et est vraiment plaisant à lire. Perrine Maurel nous invite dans les traces d’une harpie, une IA sans maître qui a assisté par webcam à un meurtre. Que faire de cette info, elle qui ne perçoit pas la portée de cet acte ? L’ensemble est bien ficelé, ne manque pas d’intérêt ni de sujets de réflexion avec des détails semés ça et là. Une belle réussite dans un genre plus si fréquent.
Dans “Mortel.le.s”, la mort est vaincue grâce à un implant remplaçant le cœur après le décès. Par contre, il n’y a pas le choix, c’est ainsi. Certains préféreraient mourir définitivement et non poursuivre une existence qui n’a plus forcément grande saveur. Sous forme de rencontre entre un jeune homme et une vieille femme contestataire, Éléonore Sibourg montre tout l’enjeu de cette possibilité qui au premier abord peut sembler formidable. Là aussi, pas étonnant que le jury l’ait remarqué, c’est mérité.

Dernière nouvelle “Provenia” d’Hugo van Gaert. Cette histoire d’un homme seul à la surface d’une planète fait un peu old school, sans que ce soit péjoratif. Un gémissement s’élève dans la nuit... Est-ce un danger inattendu ? Ou une bonne surprise ? Tout est dans la chute.

En plus de l’important volet critique (livres, BD, films), la partie rédactionnelle s’intéresse à Elend, « une hydre a plusieurs têtes » pour reprendre les termes de Jean-Michel Calvez. Le titre donne clairement le ton : démesure et désolation. Là il faut vraiment être amateur et le rédacteur reconnaît que leur musique n’est pas facile à appréhender. Pour avoir écouté par curiosité, j’adhère tout à fait à son propos.
Didier Reboussin présente Paul Béra (1915-1989), inconnu des jeunes générations, mais que beaucoup d’anciens auteurs citent comme exemple.

Un numéro de « Galaxies » dominé par la propagande et la science-fiction (le dossier les dernières nouvelles d’Ukraine) et contenant bon nombre de bonnes nouvelles. Un ensemble conséquent et plaisant.


Titre : Galaxies Nouvelle Série
Numéro : 81 (123 dans l’ancienne numérotation)
Directeur de publication : Pierre Gévart
Couverture : d’après une affiche de propagande soviétique
Traducteurs : fredgev (Toutes les ombres du roi), Viktoriya et Patrice Lajoye pour l’article et les nouvelles du dossier “Chroniques d’Ukraine”, Cristian Teodorescu pour sa nouvelle (Pédalez et soyez heureux)
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, entretiens...
Site Internet : Galaxies
Dépôt légal : janvier 2023
ISSN : 1270-2382
N° ISBN : 9782376251743
Dimensions (en cm) : 13,5 x 21
Pages : 192
Prix : 11 €


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
1er mars 2023


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