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Méto : l’intégrale
Yves Grevet
Syros, roman (France), dystopie, 885 pages, septembre 2018, 26,95€

Dans la Maison, sur l’île, vivent 64 jeunes garçons, répartis par âge et code couleur. La discipline est militaire, les règles ridicules, le silence de rigueur, le quotidien abrutissant et terrifiant. La moindre incartade est sévèrement punie. Parfois, certains disparaissent.
Méto est un Rouge, un des plus grands. Il refuse de plus en plus de ne pas avoir de réponses à ses questions. Lors d’une inspection, tandis que tous ont les yeux fermés, il ose regarder ce qui se passe. Intelligent, trop pour son bien, il réalise qu’il n’est pas le seul à douter de ce qui l’entoure. Avec d’autres, et soutenu en secret par Romu, qu’on dit le fils de Jove, le Maître de la Maison il fomente une rébellion, et organise la fuite.

Mais la Maison est truffée d’espions, leurs gardiens appelés César ont les yeux partout, et il y a sans doute des mouchards parmi les enfants. Le plan capote en partie. Ceux qui ont pu s’échapper se retrouvent chez les Oreilles coupées, les anciens serviteurs rebelles. Très vite, Méto et ses amis découvrent une autre société très hiérarchisée, violence et totalitaire, et entre suspicion et jalousies, seule leur solidarité les maintient en vie. Un ultime plan de Méto pour fuir l’île avec tous ceux qui le souhaite échoue, encore une fois par la trahison.

Méto réintègre la Maison, mais dans l’autre partie : il découvre ce que deviennent les trop grands, et ce qu’est devenu le monde. Formé comme espion et saboteur, il est envoyé dans la Zone 17, l’ancienne France. Une mission délicate lui permet de jouer un jeu dangereux : sous couvert de ramener sur l’île un autre jeune espion devenu rebelle, il organise la révolution. Mais d’autres jouent leur propre partition, et ne se laissent pas prendre à ses ruses...



Publié il y a maintenant 15 ans, « Méto » est un grand succès de l’imaginaire jeunesse. Le premier tome a raflé 14 prix, et la série est traduite en huit langues et déclinée en bande dessinée pour ses 10 ans. La couverture de Thomas Ehrestsmann la rend immédiatement identifiable, et participe sans nul doute de ce succès qui concurrence les traductions américaines de dystopies Young Adult.

« La Maison » a de quoi intriguer. Raconté de l’intérieur, à la première personne, par un garçon qui n’a pas de souvenirs de sa vie d’avant, le récit présente un univers strict, quasi carcéral, régi par des règles aussi ridicules, à nos yeux, qu’elles sont sévères. Faute d’explications, comme Méto et ses camarades, on subit, jour après jour, un quotidien répétitif. Les leçons, nous le devinons, sont fragmentaires, voilant tout un pan du monde, notamment l’extérieur. Le but de tout cela ? Pourquoi les entraîne-t-on ? A quoi servent ces piqûres régulières ? Les empêcher de grandir ? Et qu’arrive-t-il aux plus grands qui disparaissent, ceux qui font « craquer » leur lit ?
Si le lecteur, jeune ou pas, sait bien que rien de cela n’est normal, Méto et ses camarades, aux prénoms à consonance romaine, doivent l’accepter, car toute rébellion est sévèrement punie. Méto n’est en fait pas le premier rebelle : il reçoit un message, subit des tests de loyauté, tout comme ceux que la Maison réclame à chaque instant, pour intégrer le groupe de conspirateurs. Son esprit logique et son intelligence lui permettent d’apporter une grande aide à la petite équipe mêlant Rouges et serviteurs.
Ce premier tome est particulièrement oppressant, puisque nous découvrons les règles au fur et à mesure que Méto en teste les limites ou apprend comment y échapper. L’eau des carafes du repas du soir est par exemple remplie de somnifères, pour assommer les garçons et les laisser dans l’ignorance de tout ce qui se passe la nuit, du ménage aux fouilles.

Les références à la Rome antique abondent, par l’emploi du titre de César pour les gardiens, des prénoms en -us pour les enfants, tandis que le Maître Jove renvoie à Jupiter, premier des Dieux à la foudre mortelle. On s’interroge : forme-t-on ici une élite, dans un idéal antique, ou au contraire les trie-t-on, dans une démarche eugéniste ? Il faudra attendre les découvertes de Méto dans le second volume pour lever tous les voiles sur les horribles expériences qui changent certains garçons en soldats, monstres difformes, tandis qu’on comprend vite que les plus faibles sont rétrogradés comme serviteurs. Mais quelles règles sous-tendent tout cela ? L’auteur est avare de réponses, tout entier concentré sur la survie au jour le jour de Méto et des conspirateurs.

Dans « l’Île », Méto et ses amis ont échappés à la Maison, mais les rebelles Oreilles coupés ont reproduit, de fait, le seul monde de fonctionnement social que la Maison leur a inculqué : les clans, les lois dures, l’intransigeance, la violence, la suspicion permanente, la vie dans la peur, et la mise à l’écart des faibles. Les garçons doivent réapprendre les règles de vie tout en se sachant, une fois encore, sous étroite surveillance et pas plus libres qu’avant. Méto comprend assez vite que des liens étroits et troubles lient toujours la Maison et les Oreilles coupées. Si les rebelles survivent essentiellement de rapines et d’escarmouches contre les camps qui alimentent la Maison, des contacts à l’intérieur laissent opportunément fuiter des informations déterminantes, certaines portes restent ouvertes, permettant au Chamane d’aller piller chaque nuit l’infirmerie. Il semble évident à Méto que la Maison entretient la rébellion, comme un espoir pour les futurs traîtres, un adversaires pour l’entrainement des soldats, bref comme un mal nécessaire... parfaitement sous contrôle. La preuve en est l’ultime échec des garçons, lorsque la partie d’inche est truquée.

A l’image d’autres auteurs de mondes imaginaires, Yves Grevet invente lui aussi un jeu d’équipe. L’inche, jeu de balle très violent où il faut porter une balle, avec les dents, jusqu’à un panier, en se déplaçant à quatre pattes, est très intéressant à analyser. Méto nous le présent tout de suite comme un exutoire nécessaire à la violence qui couve chez les garçons, les plus grands, un moyen aussi de régler certains conflits puisque les bagarres sont réprimées. Les plus grands penseront à « Rollerball », spectacle tout aussi sanglant, d’autres à un anti-football où au contraire le sang doit couler. On ne manquera pas de noter qu’inche est tant l’anagramme de niche, l’objectif à atteindre, que chien, l’allure des joueurs, renforcée par le port de la balle de fourrure entre les dents. L’inche est un temps de déshumanisation des garçons, d’abolition des règles sociales au profit des seules règles du jeu. L’apparence des équipements de protection, qui les font ressembler à des écorchés, marque la couverture d’un design à nul autre pareil. Et d’un autre côté, c’est par ce sport, par cet espace où ce sont eux qui fixent règles et stratégies que les enfants vont régler des moments clés du récit.

Les deux premiers tomes ont donc une structure très similaire : apprenez les règles, protégez vos arrières, espérez, échouez. Le troisième, un peu plus conséquent avec 100 pages supplémentaires, donne la place à l’auteur d’apporter des réponses, en élargissant le champ, en donnant enfin à voir l’extérieur. De l’anticipation en huis-clos, nous basculons en pleine dystopie post-apo, avec un monde ravagé dans les années 70 et des lois édictées pour restreindre la population des zones saines. Les conséquences sont nombreuses : l’intrigue lève le voile sur les parents de Méto et éclaire son statut un peu à part et les quelques indices glanés chez les César. Je n’en jette pas la pierre à l’auteur, qui depuis a montré tout son talent dans l’autres très bons romans jeunesse, mais employer cet artifice d’un héros forcément rattaché au Grand Méchant n’était pas indispensable. Certes, cela permet de jouer sur les cordes sensibles de l’hérédité, du refus de l’héritage, mais place de fait Méto dans un cadre prédestiné à tous ses accomplissements, comme un leader-né. Ce qu’il est, de fait, même s’il laisse la direction des opérations à d’autres : c’est vers lui et son intelligence, sa ruse qu’on se tourne. C’est lui qui élabore, dans la dernier tome, le plan audacieux pour battre les César à leur propre jeu en retournant les réflexes d’obéissance contre eux.

Je n’ai pas encore parlé des femmes. Il y en a deux : Eve, la première, qui vit cachée sous une fausse identité. Plus âgée, elle endosse le rôle de grande sœur, et soignera un Méto bien amoché par son évasion. Isolée, désespérée, elle se raccroche un peu vite au garçon. C’est tout le contraire avec Anne, dans le troisième tome : parfaite petite espionne obéissante et disciplinée, Méto devra gagner sa confiance et la convaincre de trahir ses maîtres. Etant du même âge, leurs sentiments se développent, aiguisés par les baisers de la jeune fille pour détourner les soupçons des agents de police autant que tester les réflexes de Méto. L’adolescent achève de la gagner à sa cause en l’aidant à craquer le code du classeur contenant la véritable identité. Si les filles sont donc très rares, elles n’en sont pas moins essentielles et tout aussi travaillées que les garçons. On aura vu que les plus grands n’hésitent pas à montrer leurs faiblesses, comme Marcus, quand ils se savent en sécurité, et Méto lui-même apprécie de pouvoir parfois relâcher un peu de tension en parlant à coeur ouvert avec ses amis sincères.

Au-delà de l’aspect anticipation / dystopie, des accents de thrillers, et de son appel à (parfois) désobéir, ce qu’il faut retenir de « Méto » , c’est la force de l’amitié profonde et sincère. Au milieu des mouchards, des traîtres, des faux amis, Méto s’interroge souvent sur qui il peut vraiment compter. Ils ne sont qu’une poignée, et il refuse de les laisser derrière lui. C’est le refus d’abandonner Marcus aux César qui conduit, en partie, au match d’inche truqué sur la plage. Souvent, cette solidarité inébranlable lui coûte cher. Mais c’est aussi son intégrité, la fidélité à sa parole donnée aux autres de revenir les chercher, les libérer, qui fait sa force et entraîne les autres dans son sillage. C’est pour cela que les Césars s’ingénient à détruire son image, à le faire passer pour un traître, et que la dernière manche s’avère délicate, entre le rôle à jouer auprès de chaque ennemi potentiel et sa nature profonde d’aider son prochain. Mais Méto, qui contrairement aux autres n’a pas reçu un nouveau prénom, reste Méto, quoi qu’il lui en coûte.

S’il n’est pas exempt de petits défauts, la fin marquée de longueurs, et saupoudré un brin d’idéalisme naïf pour mettre à bas ces utopies totalitaires, « Méto » reste une très bonne trilogie jeunesse toujours d’actualité près de 15 ans après sa parution. La sobriété de l’écriture du premier tome, reflétant l’absence de repères dans ce monde clos, reste un modèle du genre, tout comme la mise en place du totalitarisme « bienveillant » qui manie davantage le bâton que la carotte, qui se résume dans les deux cas à l’acceptation dans le groupe plutôt que l’exclusion sociale. Et il y a mille détails, dans l’absence de décors, dans les choix narratifs, dans les blancs du récit, dans les réactions de chacun, qui en font une oeuvre jeunesse à la fois très accessible et majeure.

Cette édition intégrale avec jaquette à déplier (qui révèle une affiche) et reprises en couleurs des illustrations originales fait un beau pavé, d’un orange éclatant bien différent du charme un peu hors du temps des couvertures de la première édition et du tirage en poche paru chez PKJ, pour un prix total un peu plus faible. Mais quel que soit votre choix, c’st une saga qui a toute sa place dans une bonne bibliothèque.
Signalons enfin qu’après toutes ces années, Yves Grevet retourne sur l’île d’Hélios : vient de paraître un nouveau tome, « Zone noire », dont nous parlerons bientôt.


Titre : Méto, l’intégrale
Contient : La Maison (2008), L’Ile (2009), Le Monde (2010)
Auteur : Yves Grevet
Couverture et illustrations : Thomas Ehrestsmann
Éditeur : Syros
Site Internet : page roman et réédition (site éditeur)
Pages : 885
Format (en cm) :
Dépôt légal : septembre 2018, octobre 2022
ISBN : 9782748526073
Prix : 26,95 €



Nicolas Soffray
26 février 2023


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