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Rookhaven, tome 2 : Les Ombres de Rookhaven
Padraig Kenny
Lumen, roman (Irlande), fantastique, 375 pages, septembre 2022, 16€

La Grande Configuration approche. Les membres des différentes communautés affluent à Rookhaven pour cet événement. Si tous saluent l’exploit de Mirabelle, certains pointent son statut à part, différent. Le mot « Illégitime » est prononcé.
Parmi les invités s’est faufilé Billy. Jeune garçon venu de Londres, il a grandi avec Meg, sa petite sœur, et un couple de mangeurs de chair humaine, caché dans des caves. Mais des chasseurs les ont capturé, ont réduit les ogres en cendres avec une étrange machines, et ont promis de faire subir le même sort à Meg si Billy ne dérobait pas quelque chose à Rookhaven...
Enfin, le Dr Ellenby, au village, est mourant...



Pour ce second volet, après Les Monstres de Rookhaven, Padraig Kenny poursuit avec ses thèmes de prédilection : l’identité, l’importance de la famille et l’acceptation de soi.

L’agonie du Dr Ellenby est un coup rude pour Mirabelle et Olibrius. mais tout deux n’affronte pas le deuil à venir de la même façon. Mirabelle est dévastée et en colère. Avec son vieil ami disparaît aussi une des dernières personnes à avoir connu sa mère. Si elle respecte Enoch, elle a pour Ellenby un amour filial très fort. C’est pour cela qu’elle a du mal à accepter non seulement sa fin proche, mais aussi son « remplacement » par le jeune Dr Davenport. La transmission compliquée de la pipe du vieux médecin le symbolise très bien tout au long du roman. Olibrius, de son côté, préfère la fuite, comme à son habitude, ce que Mirabelle lui reproche violemment. Prétextant ses allers-retours avec son pouvoir pour convoyer les invités à la Configuration, il refuse d’aller dire au revoir au mourant, une épreuve trop dure pour lui qui le connaît depuis... très longtemps, comme il nous le montrera finalement. Si Mirabelle dit adieu à son grand-père de cœur, Olibrius perd ce qui se rapproche le plus d’un ami.

Au cœur de ce second tome, il y a Billy. Billy dont on ne sait rien, si ce n’est sa vie dans un Londres ravagé par le Blitz, avec deux monstres avides de viande mais pas forcément méchants, qu’il a fini par considérer comme des parents de substitution, donnant l’illusion d’une famille. Leur rafle par les chasseurs, l’exécution brutale des adultes et la menace sur Meg l’ont propulsé à Rookhaven. Lui qui ne s’était pas trop posé de questions sur sa nature a la sensation d’être avec les siens. Le portail l’a laissé passer, les fleurs ne l’ont pas mangé, il est donc reconnu comme à sa place. Et si certains le traitent d’Illégitime, comme Mirabelle, cela n’entame pas la bienveillance de la jeune fille à le recueillir au manoir.
Deux camps se cristallisent autour de cette pureté du sang, et il est difficile pour Enoch de préserver le calme sans s’attirer les foudres de l’un ou l’autre. Que Mirabelle, auréolée de son récent succès, lui impose certaines décisions ne lui plaît pas vraiment et n’aide pas à prendre sa défense sans conditions. Face aux membres conservateurs et contre Mirabelle qui incarne l’ouverture et le renouveau, il essaie de préserver un statut quo diplomatique.

Quand Billy s’enfuit avec son précieux et dangereux butin, uniquement motivé par la promesse qu’on libère sa sœur, Mirabelle, Olibrius et Winthropp, le taiseux et désagréable majordome de la non moins désagréable tante Mavis, se lancent à sa poursuite. Pour Mirabelle, c’est la première véritable confrontation avec l’extérieur, au-delà du village, avec des terres plus éloignées des gens liés par le Pacte... et des monstres qui n’hésitent pas non plus à l’enfreindre. On découvre petit à petit le rôle du chasseur, mis au ban de sa propre Famille du fait de son rôle aussi ingrat, déshonorant que nécessaire : traquer ceux qui outrepassent le Pacte et mangent les Humains, et les punir, pour que la paix puisse perdurer entre les deux espèces. Un personnage rejeté et solitaire, attaché à sa charge malgré la peine qu’elle lui cause. Un paria volontaire. Et quand on découvre que son pouvoir est lié à un corbeau, Mirabelle finit par se poser quelques questions... Pourra-t-elle se réconcilier avec lui, et le réconcilier avec sa propre Famille ?

Hormis un savant fou réellement cruel et méchant, même le commanditaire de la machine infernale n’est pas vraiment mauvais. Moins en tout cas que la tante Mavis et ses affreux rejetons. Même Winthropp s’avère finalement fidèle et sincère. C’est cette complexité des personnages qui est appréciable, l’ambivalence de leurs actes, leurs motivations. Si Mirabelle parait entière, face au chasseur elle subit une vague d’émotions qui déclenche d’abord un rejet, avant que la raison la ramène à sa nature profonde et qu’elle lui tende la main. Nul ne semble vraiment irrécupérable, et tous ont droit à une seconde chance, s’ils veulent bien la saisir.

Chez Padraig Kenny, on trouve du fantastique effrayant, un univers sombre, très burtonien dans sa tendresse pour les êtres différents, abîmés par l’existence et souvent bien plus aimables que les gens en apparence normaux, qui dissimulent leur véritable monstruosité, la noirceur de leur âme. Si les pouvoirs des uns et des autres donnent fortement envie de voir ces histoires transposées à l’écran, ce sont les émotions qui priment, les relations entre les personnages, la puissance des promesses et de la parole donnée, et parfois trahie.

Un diptyque assez effrayant mais terriblement émouvant, encore une fois servi par un écrin magnifique, grâce aux nombreuses illustrations d’Edward Bettison mais aussi à la fabrication très soignée, des pages noires à la pluie pourpre métallisée de la couverture.


Titre : Les Ombres de Rookhaven (the shadows of Rookhaven, 2021)
Série : Rookhaven, 2/2
Auteur : Padraig Kenny
Traduction de l’anglais (Irlande) : Julie Lafon
Couverture et illustrations : Edward Bettison
Éditeur : Lumen
Pages : 375
Format (en cm) :
Dépôt légal : septembre 2022
ISBN : 9782371023567
Prix : 16 €



Nicolas Soffray
26 décembre 2022


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