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Imaginaires d’Asie
Andrea Deslacs (dir.)
Etherval, nouvelles (France), tous genres de l’Imaginaire, 400 pages, novembre 2022, 20€

L’Asie regorge de mythes, et nous autres Occidentaux ne nous lassons pas de les (re)découvrir. Qirins et yokaïs sont venus à notre génération par l’intermédiaire des contes traditionnels mais aussi du cinéma d’animation. Les pays de l’extrême Orient sont toujours un terreau fertile pour les auteurs qui nous livrent ici un panorama inspiré des spécificités nationales, entre respect du matériau originel et narration contemporaine.



Il est assez rare d’être conquis par l’entièreté d’une anthologie, tant les plumes peuvent être variées, en imagination comme en talent, aussi me semble-t-il nécessaire de l’écrire d’emblée : si j’ai moins accroché à certains textes, tous sont de très bonne facture, tout comme l’ouvrage, illustré en couleur et joliment maquetté, quasi exempt de coquilles.

Je ne présenterai pas en détail toutes les nouvelles, l’éditeur le fait très bien sur son site, en sus d’un extrait. Toutes sont très imprégnées de l’importance de la Nature, de sa protection, des esprits visibles ou invisibles, protecteurs ou dangereux qui y vivent. Tous les auteurs font preuve d’érudition sur le matériau qu’ils emploient, la géographie et la langue du pays, et ne font pas qu’effleurer le thème ou plaquer leur histoire. Ainsi, tous forment un bel ensemble, à la fois cohérent et varié, qui pousse à aller approfondir la découverte des mythes et créatures évoqués.

Après l’avant-propos d’Émilie Querbalec, prix Rosny-Aîné pour « Quitter les monts d’automne » et elle-même très imprégnée de culture asiatique puisque née au Japon, on démarre sur des chapeaux de roues avec Catherine Loiseau et ses trois “Rusées Renardes”. Pour l’avoir découverte au sommaire des collectifs du « Paris des Merveilles », j’y ai retrouvé toutes ses qualités, un récit d’aventures vif et rythmé, avec des personnages au caractère bien affirmé, ici différents esprits-renards venus délivrer des créatures magiques captives d’un trafiquant au début du siècle.
Plus doux, “Printemps et Automnes” d’Antoine Lune oppose un dirigeant despotique à un vieux barde venu le dessiller avec un conte qui voile à peine son message. L’irruption divine finale est un peu embrouillée avec beaucoup de noms propres, mais la chute est plaisante.
“Jusqu’à ce que les pierres deviennent rochers et se couvrent de mousse” de Lucile Poulain est le premier gros coup de cœur. Une histoire à deux points de vue, une vieille femme française confrontée à une jeune Japonaise. Liées par le deuil, la perte, elles ne se comprennent pas, s’apprivoisent autour de la fleuristerie, et appréhendent une rencontre avec le fantastique horrifique de la mauvaise manière. C’est bien écrit, parfois sombre et glauque (avec un arbre d’où pendent des têtes de suicidés), toujours poétique et le jeu sur le double point de vue met en lumière les a priori de chacun.

Premier texte estampillé SF, “Nés de l’eau” relève de l’éco-thriller, avec une montée en tension page après page, un climat tropical, un désastre humanitaire et un drame personnel en toile de fond. Charlotte Bona saupoudre les indices, au hasard de mots traduits au personnage central, un médecin humanitaire, pour nous conduire à sa révélation finale, aussi belle que cruelle.
Anticipation également avec “le Chant du cygne rose”, qui nous immerge au cœur des camps de réfugiés climatiques, avant de basculer dans l’onirisme, avec un personnage lui aussi engagé dans l’Humanitaire.

“Les prières dans le vent” de Julie Limoges mêle adroitement aventure, avec une gamine qui part venger son frère tué par le Yéti, et humour, grâce à la présence à ses côtés d’animaux magiques, esprits de la Nature ou envoyés des Dieux, qui incarnent les rôles classiques des comparses de comédie. On a un takin, sorte de chèvre des montagnes, peureux et bavard, et un corbeau râleur et imbu de lui-même, persuadé de l’importance de sa mission. Le trio fonctionne parfaitement, à l’image des compagnons de Dorothy dans « le Magicien d’Oz », et ils trouveront des ressources cachées lorsqu’il faudra affronter le monstre.
On retrouve une partie de ce ton léger avec les petits esprits de “Mon rayon de soleil”, d’Andrea Deslacs. L’anthologiste qui clôt le recueil propose elle aussi un texte équilibrant humour léger et drame, en jouant sur les points de vue assez finement.

Mon second gros coup de cœur fut pour “La Horde verte” de Marie Angel, qui mélange Japon médiéval, automate pré-steampunk et menace de la Nature. Le cadre de l’affrontement entre la Nature et la Civilisation rappelle immanquablement « Princesse Mononoké » ou, en fantasy, le « Chevalier Rouge » de Miles Cameron. Dans ce texte très riche, Marie Angel traite de la place des femmes, les castes, la lourdeur administrative et le respect d’un certain ordre social, dans un climat d’éco-guérilla qui prend ses racines loin dans le passé. Un bijou, j’en aurais lu 200 pages de plus sans ciller.

“L’éclosion” est un OLNI, tant le présupposé de base est barré : la Corée du Nord est sous le joug d’un Kim immortel puisque compilé dans un ordinateur. Il n’en inspire pas moins une crainte toujours aussi forte au Bureau du Parti. Laura Peunck retranscrit très bien la chape qui pèse sur les esprits, notamment les cadres qui ont réformé le pays en douce et voient se profiler le camp de travail.

Hasard (ou pas) du sommaire, à 2 petites exceptions, aux autrices succèdent les auteurs. Si les textes de ces messieurs sont aussi d’excellente qualité, j’y ai un tout petit peu moins accroché, tant à cause des contraintes du genre (je ne suis vraiment pas thriller) que de leur style, leurs choix plus « excessifs » là où les textes précédents préfèrent une tension qui va crescendo, sans afféteries.
Rémi Przybylski met dans le Séoul de “Les Ténèbres vertes” assez de matériau pour un roman : prothèses cybernétiques, pouvoirs psi/magiques, histoire d’amour, apocalypse écologique (avec des plantes dignes des « Triffides »). C’est presque trop, mené à 200 à l’heure comme un shōnen, mais on notera que c’est un des rares, sinon le seul, à mettre en scène des personnages qui prennent ouvertement parti contre la Nature.
Nature qu’on découvrira aussi très cruelle dans la chute du “Mékong” de Stéphane Lesaffre, remontée du fleuve dans un lointain futur post-apo, voire franchement agressive dans la jungle décrite par Manu Breysse dans “La Mugunghwa écarlate” et ses prédateurs géants. Des mondes où les Humains ne semblent plus à leur place, conséquence de catastrophes comme celle du “Volcan de Bangka” de Yann Quero, éco-thriller doublé d’un petit saut dans le temps pour alerter sur les dangers du nucléaire.

J’aurai découvert nombre de très talentueuses plumes avec ces « Imaginaires d’Asie », et certains noms viendront certainement remplir davantage ma bibliothèque dans les semaines à venir. C’est la beauté et le risque des bonnes anthologies !


Titre : Imaginaires d’Asie, Nature magique et futuriste
Sommaire :
Avant-propos : Emilie Querbalec : La Montagne et les eaux (Asie)
Catherine Loiseau : Rusées Renardes (Chine)
AF Lune : Printemps et automnes (Chine)
Lucile Poulain : Jusqu’à ce que les pierres deviennent rochers et se couvrent de mousse (Japon)
Charlotte Bona : Nés de l’eau (Cambodge)
Julie Limoges : Les Prières dans le vent (Bhoutan)
Audrey Aragnou : Le Chant du cygne rose (Mongolie)
Marie Angel : La Horde verte (Chine)
Laura Peunck : L’Eclosion (Corée du Nord)
Rémi Przybylski : Les Ténèbres vertes (Corée du Sud)
Yann Quero : Le Volcan de Bangka (Indonésie)
Stéphane Lesaffre : Mékong (fleuve Mékong)
Manu Breysse : La Mugunghwa écarlate (Corée)
Andréa Deslacs : Mon rayon de soleil (Viêt Nam)
Couverture : Mano Kors
Éditeur : Etherval / Association des Plumes de l’Imaginaire
Site Internet : page anthologie (site éditeur)
Pages : 400
Dépôt légal : novembre 2022
ISBN : 9791096618460
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
27 novembre 2022


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