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Vorrh, tome 2 : Les Ancêtres
Brian Catling
Fleuve, Outrefleuve, roman (Grande-Bretagne), fantasy ?, 429 pages, octobre 2021, 24,90€

Essenwald est en crise : la fuite des Limboias, ces humains « zombifiés » par l’étrange pouvoir de la Vorrh, a mis un coup d’arrêt à l’industrie du bois. La Guilde envisage un expédition, et bientôt le nom d’Ismael, seul être à avoir traversé la forêt sain d’esprit, s’impose.
Au coeur de la forêt, Sidrus panse ses plaies. Aidé d’un Ancêtre, il prépare sa revanche contre le sorcier Nebsuel et surtout le cyclope. En lisière, une vieille femme et un curé prennent en charge un bébé à la peau pie, qui ne cessera de les surprendre.
Ghertrude s’inquiète de sa grossesse. Étonnamment, son soulagement viendra des profondeurs : les Proches se mettent à son service, même s’ils insistent pour ne pas être vus de Meta, la fille de Mutter, qui fait office de dame de compagnie. Mais la sensibilité de la jeune fille aiguillonnera sa curiosité.
Enfin, loin en Europe, dans une Allemagne qui commence à gronder de bruits de bottes, un vieux professeur de philosophie en retraite se mêle d’un projet gouvernemental : il se retrouve à étudier deux choses rapatriées d’Afrique...



Je n’ai visiblement pas été le seul à exprimer quelques réserves au sujet de « Vorrh » et de sa construction éclatée, de ses scènes cryptiques et de son assemblage obscur : à lire « Les Ancêtres », on sent le travail éditorial totalement différent. Brian Catling n’a pas cette fois collationné des bribes d’une histoire-monde à facettes, il a réellement écrit un roman, quelque chose de cohérent et destiné à être lu, avec un certain plaisir, et non pas décrypté par son public.
C’est bien simple, s’il demeure parfois quelques allusions, un ou l’autre passage inexpliqué, mal compréhensible, l’auteur fait dans ce tome de gros efforts pour recoller ensemble les morceaux épars de son intrigue, n’hésite pas par une phrase ou deux à rappeler les événements précédents, ou clarifier un pont qui était resté flou des chapitres durant dans le volume précédent. C’est d’une limpidité plus que bienvenue.

Cela n’empêche pas, rassurez-vous, de nager dans l’inconnu : les personnages, notamment le professeur Schumann et le père Timothy, ne savent pas dans quoi ils mettent les pieds, et nous décrivent leur situation, leur rencontre, l’un avec des Ancêtres, l’autre avec la fillette prénommée Modesta, avec leur cadre de référence. Et en cela, on gagne aussi en clarté, même s’il est toujours compliqué, on le sait depuis Lovecraft, de dire l’indicible, de décrire l’indescriptible.

Peut-être parce qu’on connaît une partie des personnages (les survivants), le monde et une partie de ses codes, mais aussi parce que le récit est plus actif et moins introspectif, la lecture est bien plus fluide. L’action est au rendez-vous, avec la Guilde qui monte une expédition à la recherche des Limboias, Ismael qui sort de sa routine malsaine depuis qu’il vit aux crochets de Cyrena ; mais aussi avec la vendetta de Sidrus. Les choix des enfants Mutter permettent de lever un coin de voile sur cette étrange maison d’Essenwald et le lien avec les Proches, qu’un ultime rebondissement avec Ghertrude rend encore plus intrigant. On sent qu’il ne manque que quelques pièces au tableau pour saisir l’ensemble.
Avec Schumann, on plonge de nouveau, mais de manière plus progressive, plus accessible, dans le mystère des Ancêtres. Sont-ils des anges ? quelle est leur mission, quel sens donner à leurs actes pour les hommes, tels que le vieux professeur les découvre et les comprend ? Le petit homme juif mène son enquête, dévoré de curiosité, et même s’il est confronté à l’incompréhensible ou si ses limites sont repoussées, on le suit avec plaisir progressant à peine un pas devant lui, fort de nos lectures précédentes. La trame de Modesta, la fille de Williams et Irrinipeste, petite-fille de Muybridge, est carrément mystique, mais le point de vue du père Timothy la rend « seulement » terrifiante.

Si l’étrange, le phénoménal, le merveilleux sont toujours aussi présents, l’écriture de Brian Catling s’est fluidifiée, désincarcérée de ses effets trop grandiloquents et de son obscurité aveuglante. « Les Ancêtres » y gagne énormément en lisibilité, peut-être au prix de cet élitisme rédactionnel par trop rebutant. Loin de tomber dans des cadres stéréotypés, il mêle toujours très bien mystères, abstractions, magies africaines et mythes chrétiens, sur fond d’histoire coloniale et d’entre-deux-guerres. L’aventure, l’amour, la jalousie et le vengeance sont au premier rang, achevant de lui donner ce qu’il faut de rythme pour faire tourner la machine à la perfection, au point qu’on s’interroge finalement sur les derniers rebondissements : sont-ils l’huile ou le grain de sable dans ces rouages ?

J’aurai mis moitié moins longtemps à lire « Les Ancêtres » que j’ai peiné sur « Vorrh ». Et j’ai hâte de lire le chapitre final, « les Divis », qui lèvera je l’espère la plupart des ombres qui planent encore.


Titre : Les Ancêtres (the Erstwhile, 2017)
Série : Vorrh, tome 2/3
Auteur : Brian Catling
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Nathalie Mège
Couverture : Jeremy Schneider
Éditeur : Fleuve
Collection : Outrefleuve
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 429
Format (en cm) : 23 x 15,5 x 3,5
Dépôt légal : octobre 2021
ISBN : 9782265154988
Prix : 24,90 €


Nicolas Soffray
7 novembre 2022


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