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Guérisseur de cathédrales (Le) suivi de Nick et le Glimmung
Philip K. Dick
J’ai Lu, n° 11220, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 314 pages, août 2022, 8,20 €


Le Guérisseur de cathédrales

Dans un futur indéterminé, le réparateur de mosaïques Joe Fernwright désespère : il n’a pas eu de commandes depuis bien longtemps, son épouse et lui sont séparés, et la vie lui semble de moins en moins digne d’être vécue. En compensation, il s’adonne au Jeu, une série d’entretiens téléphoniques aux règles imprécises censé lui apporter quelque bien être. Aussi est-il prêt à accepter n’importe quel contrat. C’est alors que des messages commencent à lui arriver par des voies complexes, entre réalité et hallucination : un message classique, un autre retrouvé dans le réservoir de sa chasse d’eau. Il découvre peu à peu que son correspondant, qui s’adresse également à lui par l’intermédiaire d’un phonographe avec un disque “ dont les sillons forment une boucle sans fin ” et d’une antique visionneuse stéréoscopique des années 1900, est en réalité le Glimmung, unique représentant d’une espèce extra-terrestre habitant la planète du Laboureur. Le Glimmung cherche à recruter des individus de compétences diverses pour remettre au jour et restaurer une fabuleuse cathédrale engloutie. Joe Fernwright, qui au même moment commence à avoir des ennuis avec la police, ne met pas longtemps à se décider et s’envole pour cette lointaine planète.

« Parmi les foule de races hétéroclites, Joe en repéra plus d’une qu’il avait eu l’occasion de manger lors de ses repas terrestres. »

Tout comme dans « Au bout du labyrinthe », Dick met en scène un petit groupe de personnages d’obédiences diverses arrivant sur une planète dont ils ne savent pas grand-chose. Seule différence : dans « Au bout du labyrinthe », il s’agissait uniquement d’humains, dans « Le Guérisseur de cathédrales » ces individus sont d’espèces pensantes différentes, avec des capacités et des talents spécifiques, comme la psychokinésie pour l’un d’entre eux. Sur la planète du Laboureur, ils découvriront d’autres extra-terrestres encore, par exemple ces êtres aux allures de castor avec des dents menaçantes qui conduisent les taxis, ou des espèces parfois simplement mentionnées comme les Werjs, les Krakos les Trobes, ou les Imprims et les Wubs, bien connus des amateurs de Philip K. Dick, au chapitre deux, ou encore le Squimp au chapitre cinq, le Freb et le Glank au chapitre seize.

« Les petites tragédies de l’existence, commenta le robot. Des milliards chaque jour, inaperçues de tous sauf de l’œil omniscient de Dieu.  »

Ce « Guérisseur de cathédrales » n’est pas seulement marqué par une profusion de créatures, mais aussi par une série d’inventions futuristes qui, comme souvent dans les romans de Philip K. Dick, sont mentionnées comme en passant, font partie du décor, ou restent au service de l’intrigue – et non l’inverse. Parmi ces artefacts on trouve l’excitateur psychique qui fait voir à l’artisan le faux panorama de son appartement comme un panorama réel, un lit conscient capable de dialoguer avec son propriétaire et d’induire des rêves programmés, un système de renseignements-encyclopédie téléphonique, un robot qui rêve d’être écrivain, ou encore le SSA (ou Sub Speciae Aterernitatis) qui permet à une intelligence artificielle, en plongeant dans les connaissances et la conscience de deux êtres pensants, d’anticiper leur avenir commun.

« Le monde sous-marin dont fait partie Heldscalla est un environnement de mort, un lieu où tout pourrit dans la désespérance et la ruine. (…) Ses lois monstrueuses imposent à toute chose le déclin. Sous la poussée irrésistible de l’entropie, les êtres s’y émiettent. »

Si ce « Guérisseur de cathédrales » peut sembler imparfait dans sa structure, avec un rythme qui pourra paraître syncopé, des dialogues parfois réduits à l’essentiel et une psychologie sommaire pour certains personnages, il reste néanmoins parfaitement dickien d’un bout à l’autre, ne serait-ce que par ce perpétuel jeu de faux-semblants qui domine l’intrigue, par cette manipulation dont s’est peut-être rendu coupable un Glimmung dont on ne sait s’il a apporté à ses employés une aide opportune ou si au contraire il a tiré des ficelles sur leurs planètes respectives pour les contraindre à en partir. Il y aura par la suite bien d’autres ambiguïtés duales, avec une contrepartie ténébreuse à la fois au Glimmung et à la cathédrale, et bien d’autres interrogations – avec, comme souvent chez Dick, des implications existentielles et métaphysiques – concernant la nature d’un Glimmung qui peut sembler doté d’une forme d’ubiquité, les Êtres-brouillards qui seraient peut-être d’anciennes divinités, l’échange que peut avoir Joe Fernwright avec son propre cadavre croisé au cours d’une plongée vers la cathédrale engloutie, mais aussi à partir d’infimes détails, comme cette anecdote, sans doute vécue par l’auteur, au sujet du destin d’une araignée au chapitre dix.

« Ce que j’expliquais, c’est que tout phénomène perçu ne peut l’être qu’au sein du système perceptif qui structure l’observateur. Ce que vous voyez de moi est la projection de votre propre esprit. »

Ambiguïté et questionnements à tous les niveaux, donc, dans une réalité qui paraît difficile à décrypter pour Joe Fernwright, confronté à l’étrange mode de communication indirecte du Glimmung, qui va jusqu’à s’adresser à lui par un message sur un tesson de poterie retrouvé au fond des mers. Une “ méthode idiosyncrasique de communication interpersonnelle”, comme l’explique un des personnages, par laquelle “il ne cesse d’émettre des bribes d’informations opaques et elliptiques par des voies indirectes”. Réalité mouvante encore avec le Livre des Kalendes (un livre perpétuellement changeant vendu par une espèce de rongeur nommée Répandeur) qui dans l’esprit de Fernwright prend la place du Jeu étatique frivole de son existence antérieure, un livre qui s’évoque lui-même et apparaît comme une limite au pouvoir du Glimmung. Avec tous ces éléments, « Le Guérisseur de cathédrales » apparait comme un ouvrage parfaitement dickien, qui, en un peu moins de deux cents pages, permet de retrouver bien des thèmes et des obsessions de l’auteur.

Nick et le Glimmung

Dans un futur dystopique, la surpopulation est devenue telle que l’habitat individuel y est interdit, tout comme il est interdit d’avoir des animaux de compagnie. Si les emplois sont devenus rarissimes, ils ne sont pourtant pas toujours valorisants : c’est ainsi que le père du jeune Nick bénéficie d’un métier, mais sa tâche – vérifier que des documents ont bien été signés – est à tel point dérisoire, routinière, et même inutile, qu’il souffre d’une véritable perte de sens et n’hésite pas, lorsque le chat qu’il possède en secret est découvert, à migrer avec sa famille vers la planète du Laboureur pour pouvoir le garder.

Dans ce récit qui se rapproche de la fable – il a été publié précédemment en France dans une collection des éditions Gallimard destinée à la jeunesse – on suit les mésaventures du chat et de la famille, mais surtout du jeune Nick, à la découverte d’un univers procurant un mélange d’effrois et d’émerveillements qui évoque plus un récit de Lewis Carroll qu’une œuvre de science-fiction. On y trouve de nombreuses et fort improbables créatures telles que les Imprims, capables de reproduire des objets mais surtout des simulacres imparfaits (de la même manière que le gélatineux Tench rencontré dans « Au bout du labyrinthe »), les Trodes, les terrifiants Mange-Pères (qui rappellent fortement « L’invasion des profanateurs » de Jack Finney), les Nynx à voix grinçantes, boules rondes réfugiées dans les zones arides, les Répandeurs, amicaux rongeurs à queues multiples, les Werjs ailés, et enfin le terrifiant Glimmung, monstre venu de l’espace qui semble être la source de tous les maux. Comme dans « Le Guérisseur de cathédrales », une partie des péripéties sont générées par des livres dont l’aspect perpétuellement changeant évoque la magie, avec « Une journée d’été » qui apparaît comme l’équivalent du Livre des Kalendes vu dans « Le Guérisseur de cathédrales », donné par le Glimmung aux humains en lieu et place d’un autre ouvrage, « La Guerre ultime et finale ». Une novella qui est aussi une fable dystopique et une belle aventure.


Titre : Le Guérisseur de cathédrales suivi de Nick et le Glimmung (The Galactic Pot-Healer, 1969)
Auteur : Philip K. Dick
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Marcel Thaon et Mona de Pracontal
Couverture : Studio J’ai Lu d’après Shutterstock / M. Fuksa
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : [Champ Libre], 1977)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 11220
Pages : 314
Format (en cm) : 11,1 x 17,7
Dépôt légal : août 2022
ISBN : 97822903653304
Prix : 8,20 €



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Hilaire Alrune
3 octobre 2022


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