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Entretien avec Yoann Brogol
Auteur de « Révolution », big boss de la maison d’édition Subverti
16 septembre 2022

Avec un premier titre aussi évocateur que « Révolution » et un nom de maison qui ne l’est pas moins, Subverti a annoncé la couleur dès sa création en 2019. L’ambition est dans le partage, la rencontre, le divertissement et la politique au sens noble du terme.
Ont suivi des jeux qui interrogent sur le climat et sur le pouvoir des mots, et en arrivent d’autres qui s’intéressent au vivant et à la conscience politique. Un panel de sujets qui prêtent à la réflexion pour des jeux qui n’empêchent pas de s’amuser.
Yoann Brogol a bien voulu conter à la Yozone ce qui l’anime en tant qu’auteur et éditeur.



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Bonjour camarade Brogol. Tu t’annonces clairement comme « créateur de jeux subversifs » et il faut dire que commencer une maison d’édition de jeux avec un titre comme « Révolution », ça annonce la couleur. Mais raconte-nous un peu comment un joueur subversif crée la maison d’édition Subverti.

Salut camarades Christelle et Michael.
Et oui, une ligne éditoriale claire pour une maison d’édition qui embrasse le côté artistique, culturel et donc politique du jeu de société. Subverti est justement la suite de « Révolution ». Après avoir créé un jeu, on y prend goût !
Un média sans écran qui rapproche les gens tout en s’amusant, que demander de mieux ?

D’ailleurs est-ce le message qui mène au jeu comme média, ou est-ce le média qui permet d’envoyer le message ?

Les deux mon capitaine ! La forme et le fond sont des vecteurs importants. Jouer est une activité éducative, universelle et amusante par essence. La couche thématique apporte une réflexion plus culturelle et contemporaine pour aller plus loin.

Quels sont justement tes critères personnels de création ? Et quels sont ceux qui guident tes choix de jeu ? Le message ou la mécanique ?

Les deux mon capitaine !
Comment ça, je me répète ?
Je prête attention aux différentes composantes, et idéalement l’univers et la mécanique se nourrissent l’un l’autre. Dans les autres critères, je dirais l’exigence d’avoir le meilleur jeu possible, même s’il faut le travailler, le tester, le retravailler, le retester, etc.

tes convictions se retrouvent aussi dans la fabrication du jeu en étant des « eco friendly game ». C’était une condition sine qua none dès la création de la maison d’édition ?

Oui, être écologiste est un impératif évident comme nous le rappelle la réalité. C’est tout à fait possible de réduire la pollution d’un jeu avec un peu de réflexion et des choix dictés par la raison et non par le profit.

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« Révolution » est semi-coopératif avec un mode découverte où l’on joue tous ensemble contre le capitalisme rampant mais aussi un mode avec des traîtres. Est-ce ta volonté de laisser pour le coup s’exprimer tous les versants de l’humanité autour de la table de jeu ? Peut-être une tentative de réconciliation entre tous les bords politiques ?

C’était surtout une volonté de reproduire l’ambiance de ces moments où l’histoire bascule, toute Révolution a ses réactionnaires. Après, à chacun.e de s’approprier le jeu comme elle ou il le veut !

On trouve aussi 107 œuvres d’art sur les cartes du jeu. Une envie d’élever culturellement les masses ?

Je n’aurais pas cette prétention, j’ai découvert la plupart des œuvres moi-même en créant le jeu ! Une joueuse m’a même montré récemment un détail de l’œuvre de Van Gogh illustrant la prison que je ne connaissais pas.

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Avec « Klimato », on est cette fois en pleine compétition mais pour la bonne cause, celle du climat, tout en pourrissant les villes des autres. Le message d’entraide et bienveillant n’est-il pas un peu brouillé ?

« Klimato » se veut une simulation de ce qui se passe actuellement. Les règles sont biaisées : si chacun.e cherche à être plus écolo que son voisin, la conséquence est que personne ne l’est. Mais c’est possible que le message puisse être plus percutant ! Nous travaillons d’ailleurs avec Émilien Alquier sur une seconde édition de « Klimato » avec une mise à jour des règles.

Comment s’est déroulée l’aventure de « Dictopia », jeu d’un auteur extérieur à la maison d’édition ?

« Dictopia » est un jeu de Jérémy Partinico et c’est avant tout une rencontre humaine.
Nous sommes tous les deux au MALT, le collectif d’autrices et d’auteurs toulousains. Son prototype m’avait fortement plu, puis nous avons travaillé ensemble en explorant de nombreuses pistes jusqu’à obtenir la version que tu connais et qui connaît un bel engouement auprès du public !

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Le prochain jeu de Subverti s’appelle « Biomos », encore avec une thématique engagée, rien de moins que l’émergence de la vie et sa conservation. Un jeu créé par un auteur extérieur, mais au cours de la création, vous avez fait appel à la communauté Subverti pour des choix d’illustrations, et même de boîte. Pourquoi une telle démarche ?

En vérité, nous faisons systématiquement appel à la communauté. Pour « Dictopia », nous avons par exemple fait voter l’univers et le nom du jeu ! « Biomos » de Gricha German ne fait pas exception. Un jeu étant fait pour être joué, il me paraissait important de faire participer tout le monde !

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Vous allez encore plus loin avec le projet « Interférences » puisqu’il s’agit carrément d’un jeu créé à partir de discussions et de votes sur vos réseaux sociaux pour chaque décision concernant le jeu : thème, mécanique, type de jeu, matériel... Là encore, pourquoi une telle démarche et comment la gérer ?

Oui, là c’est carrément une expérience un peu folle. L’idée est de voir si l’on peut créer un jeu à partir de l’intelligence collective. La difficulté est de gérer les votes et de réussir à obtenir un résultat réalisable.

Vous avez carrément organisé une Game Jam avec des votes de la communauté et c’est le prototype de Vinca, autrice du jeu « Titles », qui a remporté les suffrages (Il faut avouer que sa vidéo de présentation fait envie) Comment va s’organiser la finalisation du travail ? Va-t-il y avoir de nouvelles demandes faites auprès de la communauté ?

Après cette belle Game Jam, nous travaillons effectivement sur le prototype de Vinca
a.k.a. Léa Vincent-Deleuze. II va y avoir un moment de développement plus technique, mais nous ferons de nouveaux votes, notamment sur le riche univers steampunk du jeu ! En attendant, Vinca travaille au développement de son prototype.

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Comment sens-tu l’accueil de Subverti au sein de la communauté ludique avec une démarche éditoriale aussi singulière, politique même ?

La communauté ludique est très bienveillante. Bien sûr, il y a toujours quelques incompréhensions quand on fait les choses différemment. Mais, au final, le jeu rassemble bien plus qu’il ne divise et les gens sont très ouverts d’esprit ! Néanmoins, je préfère un jeu qui provoque des réactions passionnées que pas de réaction du tout.

Le public répond-il aussi à l’appel ?

Oui. Mon moment préféré est la présentation des jeux en festival. C’est le moment où le public s’empare du jeu, le fait sien. Les différents éléments distillés dans le jeu font parfois écho à l’histoire des gens, au vécu, au plaisir de jouer et à l’envie de réfléchir pour un monde meilleur. Mais, ça dépend totalement des gens, et c’est tant mieux. Chaque personne se l’approprie comme elle le veut, et c’est tant mieux !

Le jeu est-il donc un véritable vecteur populaire d’union des peuples ?

D’union des peuples, peut-être pas, mais c’est un vecteur populaire de rassemblement où l’on peut se retrouver à tout âge, à travers les cultures dans un moment humain de partages, d’échanges, d’émotions. Parfois même de débats et de combats... le temps du jeu !

Quelle est la vision d’avenir de Subverti ? Quels sont les projets futurs ?

Subverti porte une vision utopiste de l’avenir. Il faut rêver pour tendre vers un monde meilleur. Nous ne cesserons donc de proposer des jeux parfois poétiques, parfois dérangeants. Des fois calmes et introspectifs, des fois tumultueux et extravagants.
Les deux prochains projets sont « Biomos » dont nous parlions précédemment, peut-être le jeu le plus apaisant de Subverti, et « Hors-Cadre », un jeu qui va nous faire voir notre environnement différemment, où l’on ne restera pas autour de la table pour jouer...

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Plus personnellement, quels sont tes jeux de société de prédilection ?

J’adore les jeux compétitifs qui se jouent rapidement tout en offrant une grande profondeur. Je ne peux m’empêcher de poncer le jeu jusqu’à saisir toutes les belles subtilités qui s’y cachent. Dernièrement, mes favoris du genre sont « Living Forest », « Nidavellir » ou encore « Lost Ruins of Arnak ».

Quelles sont tes influences venant d’autres media : cinéma, livres, BD, peinture... ?

Ma principale influence est la littérature d’anticipation : Bradbury, Huxley et le plus moderne Damasio ! Et sinon, la BD évidemment. Mon adolescence a été rythmée par « Nikopol » et « Lanfeust » pour ne citer que deux œuvres.

En tant qu’auteur, quelles sont tes techniques de travail ? As-tu des routines ?

Ça dépend beaucoup des périodes, et je n’ai pas (assez) de routines. Quand une idée arrive en pleine nuit, il m’est difficile d’attendre pour l’explorer plus avant.

Comment conçois-tu tes prototypes ?

En général, j’essaie de partir d’une idée que je veux vulgariser. Je commence par me documenter au maximum pour maîtriser le sujet. Ensuite, je réfléchis aux mécaniques les plus adaptées pour transmettre ce thème et créer de bonnes sensations. Ensuite je teste, puis comme il y a plein de problèmes, je recommence, j’explore de nouvelles branches de l’arbre des possibilités. L’idéal est de tester toutes les branches qui ont du potentiel, car certaines peuvent entraîner plein de choses. Enfin, pour tenter d’obtenir le meilleur prototype possible, j’épure au maximum en éliminant tout ce qui est inutile. Ce qui ne veut pas forcément dire que l’inutile est évitable...

Quels conseils peux-tu donner à un apprenti créateur de jeux ? À ceux qui voudraient proposer un jeu à Subverti ?

Tester, tester, et encore tester ! Tester différentes règles, tester avec différentes personnes. Et pas juste avec ses connaissances, il faut tester avec des inconnu.e.s, avec des cercles sociaux différents. Je conseille également d’aller sur le site de la Société des Auteurs de Jeux (la SAJ) qui contient de très bonnes ressources.
De notre côté, on ne prend plus de propositions spontanées en ce moment, mais nous avons mis en place une carte des maisons d’éditions avec les lignes éditoriales où les auteurs et autrices peuvent trouver celle qui leur paraît le plus correspondre

Peux-tu conseiller 3 titres de jeux à nos lecteurs ?

Avec 1 000 sorties par an, c’est une question impossible !
On pourrait citer « [kosmopoIi:t] » de Julien Portière et Florent Toscano chez Jeux Opla, une des maisons d’édition les plus engagées écologiquement, si ce n’est la plus engagée ! Un jeu d’ambiance très malin basé sur le travail de linguistes.

Ou encore, pour les ornithophiles, le très agréable « Wingspan » ! En plus, c’est une autrice, Elizabeth Hargrave, et il en manque dans notre métier ! C’est chez Stonemaier Games, un éditeur exigeant et compétent comme je les aime.

Et pour finir, je conseille le jeu local !
À Toulouse par exemple, il y a le MALT (Mouvement des Auteurs Ludiques Toulousains). Les dernières sorties sont toutes meilleures les unes que les autres : « Captains’ War » d’Alexandre Aguilar, « Yoxii » de Jérémy Partinico, « Akropolis » de Jules Messaud, « Splito » de Romaric Galonnier, « Aetherya » de François Bachelart, « Les 4 Pandastiques » de Nicolas Mathieu, « Kingyo » d’Alexis Allard et Émilien Alquier, etc. Bref, soutenez les jeux des auteurs locaux !

Merci beaucoup pour tes réponses Yoann.


À lire sur la Yozone :
- « Dictopia », la chronique
- Entretien avec Jérémy Partinico

- Subverti, le site
- Subverti sur Facebook
- Subverti sur Instagram
- Subverti sur Twitter


Illustrations © tous droits réservés & Subverti


Michael Espinosa
Christelle Espinosa
16 septembre 2022



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