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Bayuk
Justine Niogret
404 éditions, roman (France), pirates & fantastique, 300 pages, mai 2022, 16€

Dans le bayou, une vieille femme vient agoniser chez Toma, l’enfant trouvée du village pitoyable nommé Coq-Fondu. Avant de mourir, l’ancienne la maudit, malgré les soins que l’ado lui a apportés. Car Toma est la fille de l’Écarlate, une capitaine pirate sans pitié qui lui a pris ses deux fils.
Pour lever la malédiction, Toma doit apaiser la défunte, et pour cela quitter le village et retrouver sa mère, qui échappe depuis des années aux autorités, si elle n’est pas morte noyée avec son bateau.
Elle part avec Roi-Crocodile, une chamane un peu plus âgée qu’elle, mais plus mûre et plus sage, et Boone, un marin au lourd passé qui a toujours veillé sur elle de loin, qui a lui aussi un poids sur la conscience...



Quel plaisir de retrouver la prose de Justine Niogret (appelons-le au passage, directement lauréate du prix Imaginales pour son premier roman « Chien du Heaume » en 2010). Dès le prologue, avec son effet d’écho, on sait qu’on a affaire à de la littérature, et pas seulement à une bonne histoire.

Sur la forme, « Bayuk » prend le chemin de tout bon roman d’apprentissage : une ado se retrouve au pied du mur, contrainte par un élément extérieur à affronter son destin, à accomplir un rêve, une envie toujours repoussée, par peur : ici, retrouver une mère fantasmée, et quitter le cocon du village où tout le monde a toujours pris soin d’elle. Quitter l’enfance pour grandir.
Bien sûr, dehors, tout n’est pas doux et protecteur : la vie c’est se heurter aux autres, aux belles rencontres qui n’en ont pas l’air et aux mauvaises qu’on remarquent trop tard. C’est faire des choix, parfois stupides, souvent lourds de conséquences (comme mettre le feu à un village entier pour sauver son ami). C’est surtout n’en faire qu’à sa tête, ne pas écouter ses aînés et se brûler es doigts à ses propres expériences.

Toma, Boone et Roi-Crocodile vont se retrouver sur un navire pirate, mené par La Flamme, une autre capitaine au fort tempérament, qui veut se frotter à la réputation de l’Écarlate, entrer elle aussi dans la légende des pirates. La route est dangereuse, la malédiction à leurs trousses conduira à une rencontre avec un léviathan et des plans dignes des « Pirates des Caraïbes » de Gore Verbinski. Si l’autrice ne sacrifie pas tout au spectaculaire, elle nous en met plein les yeux pour mieux nous toucher au cœur entre deux scènes époustouflantes.

Pour Boone et Roi-Crocodile, dont ce n’est pas l’histoire, le voyage est aussi difficile. Pour le jeune marin, c’est un retour aux sources, l’obligation de tenir certaines promesses et pour cela, raviver des souvenirs enfouis car trop douloureux. Le seul garçon au premier plan de cette historie de femmes a souffert, et cette histoire est son expiation autant que sa rédemption. Psychologiquement, ce personnage est très intéressant, et si on devine ce qui le ronge, c’est la façon dont l’autrice lui fait gérer son fardeau qui est magnifique à lire.
Roi-Crocodile, la plus posée du trio, porte les deux autres à bout de bras. Si elle avoue assez tôt que sa formation est imparfaite, qu’elle n’est pas la sorcière toute-puissante qu’on croit, elle se voit forcée d’endosser ce rôle, usant d’autant de magie que de sagesse pour maintenir tout le monde en vie.

Au-delà de la dimension fantastique, Justine Niogret insuffle une tension et une dramaturgie puissante à la réunion entre mère et fille. La confrontation entre espoirs, légende et réalité est particulièrement violente. Loin des idéaux de pirates au grand cœur comme dans la trilogie hollywoodienne citée plus haut, Écarlate est une ordure de la pire espèce, manipulatrice et cruelle, sans la moindre pitié, un animal entièrement dédié à sa propre survie quoi qu’il en coûte. Toma la réévalue à l’aune de La Flamme et des révélations glanées en route, balayant l’image de sa mère qu’elle s’est construite enfant. Pour la confronter comme une adulte qu’elle est devenue.

Histoire de femmes puissantes, roman d’apprentissage sec et violent, aventure à grand spectacle, « Bayuk » est encore un grand roman, fort et touchant, comme Justine Niogret sait magnifiquement les écrire.

Une nouvelle preuve que “roman d’aventures” et “littérature jeunesse” peuvent se parer des lettres de noblesse de la Littérature avec une majuscule : de 13 à 103 ans, chacun y trouvera son bonheur de lecteur et de profonds échos au fond de son cœur et de ses tripes.

Bonus : une interview de Justine Niogret sur le site de 404 éditions.


Titre : Bayuk
Autrice : Justine Niogret
Couverture : Studio Twist
Éditeur : 404 éditions
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 300
Format (en cm) :
Dépôt légal : mai 2022
ISBN : 9791032405659
Prix : 16 €



Nicolas Soffray
4 septembre 2022


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