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Cendres et de larmes (De)
Sophie Loubière
Pocket, Thriller, roman (France, 2021), noir, 382 pages, juin 2022, 7,95€

Madeline Mara et Christian vivent avec leurs enfants dans un appartement bien trop petit pour toute la famille. Dès que Christian entrevoit la possibilité de déménager pour une maison, il franchit le pas, mettant Madeline devant le fait accompli. D’agent d’entretien des espaces verts de la ville de Paris, il devient gardien de cimetière avec l’obligation de vivre dans la maison dans l’enceinte. Cadre peu réjouissant, demeure abandonnée depuis longtemps et très loin d’être saine, mais la possibilité pour chacun d’avoir sa propre chambre.
Une nouvelle vie commence... pas forcément pour le meilleur.



Après « Cinq cartes brûlées » qui a remporté le Prix Landerneau Polar 2020, Sophie Loubière immerge les lecteurs dans l’enceinte d’un cimetière et plus précisément dans une maison qui ronge ses habitants. Ils sont cinq : Christian, celui qui les plonge dans cette situation, désireux de leur offrir plus d’espace, lui soit-disant dénué d’ambition, Madeline qui est pompier professionnelle, caporale-cheffe respectée par ses pairs, Michael, l’aîné des enfants, 14 ans et fruit d’un précédent mariage de Madeline, Eliot qui a du mal à s’intégrer, souffre-douleur à l’école et victime de flatulences intempestives traduisant son mal-être, et enfin Anna la plus petite, qui vit dans son monde et est douée d’une grande imagination.
Cinq personnes qui intègrent le cimetière et sa lugubre maison.

« De cendres et de larmes » est un roman noir qui cache son jeu avec son glissement insidieux dans le tragique, flirtant avec le fantastique. Par moments, il serait facile d’attribuer le fil des événements à une présence, de penser la maison hantée, ce qui donnerait une explication. Mais non, ce n’est pas aussi simple, l’action est plus insidieuse, plus sournoise et la maison appose sa marque sur Michael qui y est sans cesse : son bureau y est attenant, sa charge s’avère pesante et il s’aménage un atelier pour s’évader à travers la création d’œuvres picturales. Bonne ou mauvaise idée ? Lui qui était si jovial, respirait la joie de vivre, occupait les enfants pendant les nombreuses absences de Madeline prise par son métier... se transforme au fil des semaines, aussi bien physiquement que moralement. Toujours plus taciturne, plus intolérant, plus renfermé, il s’éloigne de sa famille, sacrifiant son temps libre à son imaginaire qui échappe aux autres.
Madeline est plongée dans sa vocation de pompier, peut-être plus dévouée aux victimes qu’à ses proches. Habituée à la prise en charge des enfants par Christian durant ses gardes, elle peine à comprendre ce qui se passe, ne s’implique pas vraiment, courant dès que le devoir l’appelle, voyant sûrement une échappatoire à cette maison pesante.
Michael assiste à d’étranges phénomènes dans sa chambre, tournant des vidéos qui rencontrent un petit succès, mais il est tiraillé entre sa mère et son père biologique d’une grande instabilité.
Contre toute attente, Eliot fait une rencontre dans le cimetière, lui offrant une bouffée d’oxygène et peut-être un nouveau départ.
Anna aime se promener au milieu des tombes, des caveaux, imaginant ou pas l’histoire de défunts, conversant avec les visiteurs. Et puis elle a sa peluche à l’oreille arrachée qui traînait déjà dans la maison à leur arrivée. Toutefois sa santé se délite, elle éprouve toujours plus de mal à respirer, tousse.
À cette galerie de personnages, terreau fertile à cette histoire, il faut bien sûr ajouter la maison du cimetière qui a connu de funestes événements en son sein. Elle est humide, froide, délabrée, la décoration est vieillotte, les plombs sautent sans cesse dès que l’installation électrique est trop sollicitée, la moisissure prend possession des murs, des taches noires remontent des sols. D’importants travaux sont à mettre en œuvre pour l’assainir, sans que la municipalité ne s’y engage. En attendant, des gens y vivent et en souffrent.

« De cendres et de larmes » est affaire d’ambiance lourde, pesante, de vies qui se délitent. Emménager dans cette maison constitue le point de bascule de l’existence d’une famille. Étonnamment, maintenant qu’ils ont plus de place, que les enfants possèdent chacun leur propre chambre, ils se révèlent moins heureux, se chamaillent davantage que quand ils vivaient les uns sur les autres. Le couple s’avère toujours moins soudé, leur complicité tend à disparaître, chacun cherchant la fuite, Christian dans sa création et Madeline dans son métier.
Le lecteur assiste impuissant à cette dérive, peinant à désigner la cause réelle du mal, tant le glissement est lent, sournois. Explication fantastique ou cartésienne ? L’illustration de couverture est symptomatique de ce roman : une oursonne en peluche, symbole de l’innocence, de l’enfance, mais aussi reflet d’une maison où elle était abandonnée dans un cadre lugubre.

Roman noir et pesant, « De cendres et de larmes » représente une plongée insidieuse dans le tragique. Une magnifique galerie de personnages lui donne de la consistance et incite les lecteurs à s’intéresser, pour ne pas dire s’inquiéter, à leur destin qui bascule. Comment cela peut-il finir ? Plus la fin se profile, plus la lumière au bout du tunnel se rétrécit, mais chacun veut y croire. Les lieux invitent à garder la foi.
Sophie Loubière mène son récit de main de maître, l’ambiance de « De cendres et de larmes » happe rapidement le lecteur, sans le lâcher jusqu’à sa conclusion.
Une expérience à partager !


Titre : De cendres et de larmes
Auteur : Sophie Loubière
Couverture : Tanguy Morin. Photo : © Martin Widlund
Éditeur : Pocket (1ère édition : Fleuve Noir, 2021)
Collection : Thriller
Pages : 382
Format (en cm) : 10,8 x 17,7
Dépôt légal : juin 2022
ISBN : 9782266324700
Prix : 7,95 €


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
5 juillet 2022


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