Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Terra Nullius
Victor Guilbert
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, thriller, 345 pages, mars 2022, 19,95€

Dans « Douve », premier roman de Victor Guilbert, nous avions découvert Hugo Boloren, inspecteur de police à Paris. Un jeune homme un peu à part mais qui, avec un père policier, et une mère écrivant des livres sur les affaires criminelles, a de qui tenir. Un jeune homme qui ne sait pas mentir et qui a l’impression, face à un problème, d’avoir une bille roulant dans sa tête, une bille cheminant lentement dans des spirales et des circonvolutions invisibles, empruntant d’inexplicables chemins jusqu’au résultat de l’énigme. Une bille qui, après les mésaventures vécues dans Douve, semble avoir disparu, s’être immobilisée dans quelque recoin inconnu de son encéphale Son commissaire, lui aussi quelque peu atypique, lui recommande pour aller mieux de prendre contact avec une paléontologue de sa connaissance… Mais, plus qu’une spécialiste des ossements fossiles, une nouvelle enquête devrait être à même de la remettre en branle cette mécanique à penser.



« C’est la chaleur qui fait grincer la décharge. Les amas d’objets se rétractant sous l’effet du soleil, parfois des empilements fragiles s’effondrent. En hiver, le gel produit des claquements, en été la canicule fait grincer.  »

Un commissaire qui semble avoir d’autres idées étranges, comme de laisser son inspecteur parisien, qui s’en va du côté de Lille accompagner sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, pour y consulter un expert de la maladie, de se mêler d’une enquête locale, un fait divers peu engageant : l’assassinat sur la Terra Nullius, une immense décharge à ciel ouvert située sur la frontière entre la France et la Belgique, d’un gamin faisant partie des habitants des lieux. Mais à peine Boloren a-t-il mis le petit doigt dans l’engrenage que mille éléments viennent s’y agréger, mille trafics, mille intervenants, mille mystères et autant de fausses pistes, jusqu’à ce que les cadavres eux aussi viennent s’accumuler.

« La lamentation de la décharge donne une impression singulière de champ de bataille infernal. Il imagine aisément qu’on puisse croire qu’une âme torturée erre parmi les monts de ferraille d’où émane cette mélopée sans paroles et pourtant parfaitement sinistre. »

Entre sa mère qui malgré sa maladie identifie un habitant de la décharge comme un espion, un photographe habitant en bordure de la Terra Nullius qui aura pris des clichés de tous ses visiteurs sauf de l’assassin, un mystérieux homme noir qui rôde tel un fantôme sur les empilement de déchets, un gamin simple d’esprit dont les parents imaginent qu’il va communiquer avec le défunt – considéré comme tel car en coma dépassé, et sur le point d’être débranché – , un cuisinier célèbre, un introuvable assistant social, des migrants de tous pays, un hypothétique et sans doute métaphorique trésor, et bon nombre d’autres éléments ou personnages encore, Hugo Boloren aura fort à faire pour y retrouver son latin.

« C’est comme si on avait mélangé les pièces de plusieurs puzzles et qu’on essayait de nous faire croire qu’il n’y en avait qu’un seul. »

Sans compter que les choses ne s’arrêtent pas là. Voilà que débarque à son tour de Paris Lulu la Stagiaire, une spécialiste des hypothèses improbables qui vient révéler à Boloren sa vérité sur la non moins improbable affaire d’un témoin de plusieurs meurtres distincts, un individu dont la simple existence semble défier les lois statistiques. Sans compter que Boloren trouve dans la région lilloise une certaine douceur de vivre et qu’il en apprend un peu trop sur les bières locales et les effets produits pour rester perpétuellement lucide – le lecteur, lui, découvrira ce qu’est un zythologue, mot abscons mais assez facile à placer dans la conversation.

« La bille a encore surgi et zigzague sous mon crâne. Elle virevolte, fuse sur ses rails imaginaires, elle file à une allure que je connais, à un rythme insolent parce qu’elle sait désormais. Elle tourbillonne pour le principe, aussi parce que je l’ai déconsidérée, elle veut que je sache que sans ses roulements à révélations, je ne suis rien. »

Une des grandes qualités du roman est d’associer, à cet inspecteur atypique qui n’hésite pas à déstabiliser ses interlocuteurs en leur parlant de ses démêlés avec sa bille mentale (bille que ces derniers ne peuvent dès lors considérer autrement que comme un très lourd grain de folie), d’autres personnages tout aussi atypiques. Car s’il y a dans « Terra Nullius » les tristement fous, les dramatiquement fous, les affreusement fous, on y trouve aussi une paire de joyeusement fous – nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur – qui n’hésitent pas, de manière quasiment surréaliste, à faire entorse à la loi pour arranger leurs propres affaires, apportant à ce récit souvent poignant l’indispensable touche d’humour inattendu qui fait office de bouffée d’oxygène.

« Ils entendent en sourdine les instances qui s’agitent, la Terra Nullius commence à faire des bosses sous le tapis et ça n’est jamais bon de rester dans les parages d’un coin qui brûle.  »

Dans la dernière partie, l’auteur se voit contraint d’abandonner de brefs moments la narration à la première personne du singulier pour porter à l’attention du lecteur, au cours du crescendo, les agissements dissimulés de personnages secondaires. Si de tels passages viennent en rupture avec la forme narrative choisie au départ, ils font également comprendre au lecteur qu’aux puzzles auxquels Boloren a pu faire allusion viennent se greffer d’autres puzzles encore qui seuls permettront de combler les lacunes du motif central. Et c’est dans la grande tradition du récit policier que tout finira par se résoudre, avec l’ensemble des protagonistes, criminel compris, réunis au cœur de la Terra Nullius autour du lunaire Hugo Boloren pour une saisissante explication finale. Démontage et démonstration des rouages implacables de la mécanique meurtrière, assemblage des dernières pièces des puzzles enchevêtrés, et révélations en cascade, poétiques ou hideuses, toutes logiques, et toutes surprenantes.

Il semblerait – ultime surprise – qu’au terme de cette investigation couronnée de succès Boloren choisisse d’abandonner le métier. Une décision malheureuse, regretteront les lecteurs prêts à repartir pour une enquête en sa compagnie. Mais il n’est pas sûr pour autant que l’inspecteur lunaire ne revienne pas – on sait ce qu’il en a été de Sherlock Holmes après sa disparition dans les chutes de Reichenbach. Et puis, rien ne dit que Boloren ne puisse pas investiguer sans sa carte officielle. Le lecteur croise donc les doigts, en espérant que la fameuse bille n’a pas vraiment fini de rouler.


Titre : Terra Nullius
Auteur : Victor Guilbert
Couverture : R. Pepin / Getty Images / Mansoreh Montamedi / Mint Images
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 345
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : mars 2022
ISBN : 9782755693959
Prix : 19,95 €



Les thrillers Hugo et Cie sur la Yozone :

- « Douve » de Victor Guilbert
- « Manhattan Sunset » de Roy Braverman
- « Crow » de Roy Braverman
- « Hunter » de Roy Braverman
- « Freeman » de Roy Braverman
- « Le Journal de Claire Cassidy » d’Elly Griffiths
- « Les Sages de Sion » par Hervé Gagnon
- « La Terre promise » par Hervé Gagnon
- « Les Passagers » de John Marrs
- « Âmes soeurs » de John Marrs
- « Le Tricycle rouge » de Vincent Hauuy


Hilaire Alrune
11 mars 2022


JPEG - 20.4 ko



Chargement...
WebAnalytics