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Le cyberespace de l'imaginaire




Ilium
Dan Simmons
Collection : Ailleurs & Demain aux Editions Robert Laffond - 23 € (Traduction Jean-Daniel Brèque)


Iliade à la sauce future

Imaginez un instant que vous puissiez suivre la guerre de Troie en mondiovision, coiffé de votre turin, sorte de récepteur vidéo. Vous la suivez jour après jour. Certes votre univers se borne à quelques parcelles de la Terre encore habitable mais, enfin, votre existence se déroule dans un cadre de farniente et de plaisir physique téléguidé par les directives des post- humains. Vous ne savez pas lire ? à quoi bon ! Votre vie est une vie de plaisir, une vie calibrée à cinq fois vingt ans parmi un nombre immuable d’un million d’individus. Heureusement, pour le genre humain « ancien », un groupe d’hommes sortira de ce vide existentiel, et cherchera à en savoir plus sur son passé.

C’est sur Mars que la guerre de Troie se déroule. Tous les protagonistes sont là. Les héros grecs ou troyens suivent scrupuleusement l’épopée d’Homère : l’Iliade. D’ailleurs, sur le mont olympe, les dieux qui les ont fait revenir veillent, ou plutôt, chargent les scholiastes, souvent d’anciens professeurs du vingtième siècle régénérés et invisibles aux Grecs et aux Troyens, de le faire pour eux. Mais, quand Aphrodite charge le scholiaste Hockenberry de donner aux troyens les moyens d’assassiner Athénée, il y a du rififi en perspective du côté de la trame historique.

Et que croyez vous donc que font les moravecs, organismes autonomes conscients et biomécaniques, envoyés dans les planètes extérieures par les humains durant l’ère perdue ?

Ils veillent ! Et l’observation de perturbations quantiques aux abords de Mars les inquiètent. Ils y dépêchent un contingent de leurs représentants les plus efficaces pour pallier ce problème de perturbation de l’espace temps. Mais attention, les moravecs ne sont pas des machines lobotomisées. Ils possèdent une conscience et une véritable âme esthétique qui les incitent à se pencher sur des génies littéraires à leur nano-instants perdus. Aussi l’un est un passionné des sonnets de Shakespeare tandis que l’autre essaie de faire résonner avec intelligence l’interprétation du temps perdu de Proust.

Ces trois intrigues posées en toile de fond Simmons va en nouer les fils d’une main de maître

...

Dan Simmons est un iconoclaste de talent. De la science fiction au fantastique en passant par l’horreur, ou le roman policier, il aborde tous les mauvais genresavec la même réussite !

Il est assurément un exemple de ce qui se fait de mieux dans la littérature anglo-saxone actuelle. Non content d’attaquer le genre littéraire par le truchement de l’imaginaire, il choisit donc dans ce roman de revisiter l’Iliade en le saupoudrant de morceaux choisis de Shakespeare et de Proust. En faisant jouer à contre emploi les protagonistes du roman, il pose la question d’un futur possible, sans moraliser outre mesure et avec un sens consommé de la narration. Ainsi les humains anciens ne sont dépositaires d’aucune mémoire et vivent hors de l’histoire à laquelle ils n’ont même pas accès, ne sachant pas lire. Dans cette vie calibrée qui leur est proposée, nul sentiment de révolte ne les habite, nul questionnement ne les taraude. La réponse à tous leurs besoins leur est donnée dans une globalisante société idéale.

Et que sont donc les post-humains, sinon une caste élitiste qui à réussit à s’élever au dessus du commun des mortels et qui par le biais de la maîtrise technologique accède à la déité. Lutte de classe quand tu nous tient !

De leur coté les moravecs qui sillonnent l’espace apparaissent paradoxalement comme les sages de l’espace, les garants d’une certaine humanité qui perdure, les dépositaires du savoir et du génie humain !

Les moravecs Mahnmut et Orphu cherchent chez Shakespeare et Proust la vérité ultime, celle qui reste quand tout à été pressé, tamisé, examiné. La réponse à l’énigme de la vie. Rien de moins. Proust s’y est attelé et donne des clés. Mais l’idée que les classes supérieures guident les masses mène à un cul de sac. Celle que l’amour puisse être la clé de la vie aboutit à un rejet. Et l’art qui transcende pourtant le genre humain même s’il le conduit à la beauté ne le conduit à la vérité. Alors quel est le quatrième chemin ?

Shakespeare n’arrive t-il pas à une conclusion similaire dans l’élaboration de ses sonnets ?

Que se cache t-il derrière tout cela ?

Et Dan Simmons saupoudre toutes ces (ses ?) questions derrière l’épine dorsale narrative que reste l’Iliade tel un enquêteur à la recherche d’empreintes. On peut parfois le regretter tellement les pistes nombreuses demanderaient à être exploitées à leur juste valeur, pourtant le roman ne souffre pas ou peu de rupture de rythme et ne tombe pas dans le piège du ton didactique qu’il pourrait adopter.

Au total en parcourant ces pages éblouissantes, on ne peux que reprocher à Ilium une absence totale de dénouement d’une bonne partie des intrigues.

Et comme Hockenberry, le fils de Duane, héros récurrent de Dan Simmons, à la question « savez-vous ce qui va se passer ensuite ? » nous pouvons répondre « Je n’en ai pas la moindre idée »

Et c’est cela qui est bien chez Dan Simmons.

FilDeFer


10 septembre 2004


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