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Angoisse - exploration d’une collection
Philippe Gontier et Laurent Mantese
Editions Artus Films

Il existe encore de nos jours des artisans capables de façonner, en dignes émules des Compagnons du devoir, des œuvres si monumentales qu’un examen superficiel suffit à lui seul à impressionner tout amateur de la chose. Il en a été ainsi, dans notre domaine de prédilection, de Pierre Versins, d’Andrevon avec sa compilation sur un siècle de cinéma SF ou encore de Guy Costes et Joseph Altaïrac avec leur prodigieux « Rétrofiction ».



Philippe Gontier et Laurent Mantese appartiennent clairement à cette lignée d’encyclopédistes en proposant les deux premiers volets d’une étude - que l’on peut qualifier d’exhaustive - de feu la collection Angoisse du Fleuve Noir. S’ouvrant d’abord sur une préface du regretté Jean-Claude Carrière, papa des six « Frankenstein » qu’abrita la dite collection, Philippe Gontier s’essaie ensuite dans son introduction, à un historique de cette série, tâche presque impossible en raison de l’absence d’archives et de témoins encore vivants de ses débuts. Cependant, les hypothèses qu’il avance sont parfaitement crédibles et ouvrent tout un champ de recherches. Philippe Gontier explique pourquoi Angoisse a survécu à des compétiteurs (La loupe épouvante par exemple) qui jetèrent très vite l’éponge au début de ces années 50. Laurent Mantese, de son côté, étudie la collection sous l’angle sociétal, exercice aussi périlleux que passionnant. En effet, Angoisse, qui exista de 1954 à 1974, a traversé une grande partie de la période dite des «  trente glorieuses  ». Refléta-t-elle cette société que l’on croit à tort, aujourd’hui, insouciante mais qui vécu deux guerres de décolonisation traumatisantes, un changement de république, une peur réelle de conflit atomique et une révolution des mœurs illustrée par les évènements de mai 68 ? Fut-elle un miroir – parmi d’autres - des angoisses et des fantasmes de son temps ? On peut raisonnablement le penser si l’on considère, au-delà des thèmes abordés, la photographie de la société en pleine mutation qu’elle renvoie. La typologie de son lectorat, que l’on estime majoritairement féminin, témoignerait-il aussi de ces bouleversements ? Hélas, l’article de Laurent Mantese, s’il apporte de l’eau à notre moulin, aurait mérité un développement plus ample et plus fouillé. En tout cas, il pose avec intelligence les jalons de ce qui mériterait de faire l’objet d’une thèse.
L’essentiel des deux volumes consiste en un passage en revue de chaque titre, soit 261 articles illustrés par leurs couvertures, toutes signées bien sûr Gourdon. Comme dans toute analyse qui se respecte, où s’expriment la personnalité et la passion de ses rédacteurs, l’objectivité n’est pas forcément au rendez-vous. (Ceci dit, celle du lecteur pas davantage). On notera les nombreuses références cinématographiques qui permettent au lecteur inculte en la matière – catégorie à laquelle j’appartiens - de se référer utilement à l’ouvrage d’Andrevon.
Cette analyse unitaire, toujours très travaillée, comporte des extraits illustrant les propos des chroniqueurs et les avis qu’ils portent sur les écrivains et leurs œuvres. On notera un penchant, selon moi exagéré de nos auteurs, pour celle de Jean Murelli, que je trouve bancale, avec une juxtaposition de situations souvent abracadabrantes. C’est affaire de goût, me rétorquera t’on non sans raison, mais j’ai toujours à l’esprit la phrase de Nathalie Henneberg qui définissait le fantastique comme un art consistant à rendre vraisemblable des choses invraisemblables. Justice est néanmoins rendue dans ces ouvrages à Maurice Limat, trop souvent décrié, qui a sans doute donné ici ses meilleurs titres, je pense en particulier à des pépites comme « L’ombre du vampire », « Le Miroir » ou « Les Jardins de la nuit  ». Un point m’ayant fait froncer les sourcils concerne les titres signés D.H Keller que nos auteurs malmènent quelque peu. Il convient de les attribuer au seul François Richard qui en assuma l’entière paternité dans un courrier, Henri Bessière n’étant pas associé à leur rédaction. Personnellement je pense que François Richard – le directeur littéraire du Fleuve Noir – s’est sans doute caché sous le pseudonyme de Virginia Lord, l’intrigue de « Ne frappez pas à cette porte » présentant de grandes similitudes avec celle de « L’ombre qui tue ».
Ce qui fait d’Angoisse une collection légendaire et d’une grande richesse, est la présence dans son catalogue d’un nombre significatif d’ouvrages de première grandeur, dont certains à tout casser. Ils sont signés Becker, Steiner, Randa, Agapit, Bruss, Talbert ou encore Arly et Arnaud. Autres particularités d’Angoisse : l’hétérogénéité des thèmes abordés qui vont de l’horreur en passant par toutes les nuances du fantastique, du thriller, du policier conventionnel ou de la science-fiction. Enfin il convient de souligner le mystère qui entoure l’identité de certains auteurs comme Patrick Svenn ou Franck Puig et l’influence qu’a pu avoir Frédéric Dard sur certains contributeurs de la collection.
On aura compris que cette « exploration d’une collection  » comme la désignent ses auteurs, est un outil indispensable non seulement pour les amateurs attachés à la collection Angoisse, mais aussi pour tous les amoureux de la littérature dite populaire. Le troisième volet de ce bel ouvrage s’attachera à la biographie des auteurs, aux adaptations BD ou autres (cinématographiques, théâtrales...) à l’accueil de la critique en son temps. Saluons au passage les très belles couvertures réalisées par Philippe Gontier bien dans l’esprit de celles de Michel Gourdon.


Titre : Angoisse - exploration d’une collection - volumes 1 & 2
Auteurs : Philippe Gontier et Laurent Mantese
Couvertures  : Philippe Gontier
Éditeur : Editions Artus Films
Site éditeur : https://www.artusfilms.com/
Lien volume 1 : https://www.artusfilms.com/livres/angoisse-exploration-d-une-collection-volume-1-365
Lien volume 2 : https://www.artusfilms.com/livres/angoisse-exploration-d-une-collection-volume-2-364
Pages  : 358 (volume 1) et 308 (volume 2)
Formats (en cm)  : 23 x 16
Dépôt légal  : septembre 2021
ISBN  : 9782954843582 (volume 1) et 97829548433599 (volume 2)
Prix : 39 € chaque volume


Didier Reboussin
15 janvier 2022


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