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YOZONE
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Tepuy
François Baranger
Pocket, collection SF, thriller/science-fiction, 541 pages, octobre 2021, 9,50 €


« Là où j’ai grandi, sur les rives de l’Orénoque, il existe beaucoup de légendes que les vieillards racontent à qui veut bien les écouter à propos des tepuys. Certains les considèrent comme des lieux sacrés, le domaine des Dieux, d’autres en parlent comme d’endroits maudits, peuplés de démons.  »

Une jeune femme se réveille dans la jungle, encore attachée à son parachute. Le choc a dû être rude : fortement contusionnée, elle ne sait plus qui elle est, elle ne sait pas où elle est. Peu à peu, sa mémoire revient. Qui est-elle ? Spécialiste des sports extrêmes, expérience de stages militaires, aptitudes à la survie remarquables, pilote d’avion, capable de fabriquer son propre matériel. Il ne lui en faudra pas moins pour survivre à une aventure qui se déroule sur un tepuy, ces hauts plateaux vénézuéliens difficilement accessibles, où elle devra non seulement se sauver elle-même mais aussi sauver son fiancé, un scientifique dont elle était sans nouvelles.

Un roman qui démarre donc sous de bons auspices avec une thématique particulièrement prometteuse. Mais, hélas, le lecteur ne tarde pas à déchanter devant les invraisemblances. Par exemple, en début de roman, lorsque l’héroïne découvre l’épave de son avion, coincée dans les hauteurs de la canopée. Au péril de sa vie, elle escalade un arbre aux branches humides et particulièrement glissantes pour l’atteindre. Dans l’épave, elle trie ce dont elle aura besoin. Or, à ce stade, elle ignore tout de ce qu’elle pourra trouver ou non au camp de base, et si même elle trouvera ce camp. Elle ne sait donc pas ce qui pourra lui être utile ou non. Il est évident que dans une telle situation tout individu normalement constitué certes n’emportera avec lui que ce qu’il estime être l’essentiel, mais s’empressera de balancer tout le reste au sol (quitte à le cacher dans la mesure où des guérilleros fréquentent cette jungle) pour être à même de revenir le chercher au cas où le besoin s’en ferait sentir, et ceci sans s’imposer une nouvelle escalade l’exposant à une chute aux conséquences gravissimes. Bien pire encore, l’auteur précise qu’elle laisse dans l’avion des cordes au prétexte qu’il s’agit d’un élément trop lourd. Abandonner des cordes dans un endroit difficilement accessible alors qu’elle vient de voir partout des falaises, des failles, des rocs, et qu’elle ignore précisément où elle se trouve est bien évidemment totalement invraisemblable. Le lecteur s’émeut donc à juste titre, mais l’auteur s’empresse d’en rajouter : notre héroïne (pour laquelle toute empathie désormais s’efface et que l’on ne considère déjà plus que comme une fille franchement pas futée) redescend comme elle est montée, dérapant dans les hautes branches humides, perdant prise et manquant de se casser le cou, alors qu’elle n’avait qu’à se laisser glisser au bout d’une corde ! Difficile de ne pas en vouloir à l’auteur qui a pu écrire de telles incohérences, aux relecteurs qui les ont laissées passer, et aux éditeurs qui de toute évidence tiennent leur lectorat en bien piètre estime.

Beaucoup, hélas, sera du même acabit. On ne compte pas les facilités et les incohérences (un des grands arguments de base est que ces tepuys difficilement accessibles sont pour l’essentiel inexplorés, d’où la découverte de l’artefact, mais un peu plus loin et fort opportunément, le guide parvient à guider le petit groupe jusqu’à lui à travers un réseau de galeries souterraines où il emmène régulièrement des touristes…le fait que les armes futuristes soient laissées dans l’artefact après plus de sept jours d’exploration…), certains dialogues sont à tel point ineptes qu’on les croirait issus des pires séries télévisées, trop de personnages sont caricaturaux à l’extrême (le frère de l’héroïne, par exemple, est à tel point outrancier qu’il ruine la quasi-totalité des chapitres dans lesquels il apparaît), des passages semblent être des premiers jets marqués par une étonnante pauvreté lexicale, la répétition puérile des « une sorte de », « des sortes de », et des phrases dont la structure grammaticale laisse pensif ( “La multiplication de ces chimères optiques depuis leur approche de l’objet et surtout depuis qu’ils y avaient pénétré, conjuguée à sa nausée persistante, Ruz sentait que l’inquiétude qui la tourmentait depuis un moment minait sa capacité de concentration.” ). La lecture laisse donc grandement perplexe, et ceci dès les premières pages. Soit « Tepuy  » n’a pas été écrit par l’auteur de L’Effet Domino, que nous avions précédemment et très favorablement chroniqué, soit les éditions Critic, qui ont initialement publié la version grand format de cet ouvrage, ont totalement failli sur le plan de l’accompagnement de l’auteur et du minimum de travail éditorial.

Le but n’est pas de lister les défauts de ce « Tepuy  ». On ne voudrait pas écrire une chronique exclusivement à charge sur ce volume de plus de cinq cents pages qui a dû demander un travail considérable à l’auteur. Mais il est difficile de comprendre pourquoi un écrivain talentueux a pu décider (car c’est l’impression que donne son ouvrage) de laminer son œuvre par le bas, façon thriller industriel à la James Rollins ou à la Steve Berry, alors qu’il avait démontré, avec L’Effet Domino, qu’il était capable de faire beaucoup mieux. Difficile également de comprendre comment un artiste d’envergure a pu à tel point négliger les aspects esthétiques et les ambiances particulières de ces zones tropicales qu’il sait si merveilleusement rendre dans ses œuvres graphiques, comme dans la couverture même de « Tepuy  ».

« Tepuy  » avait pourtant beaucoup d’arguments pour séduire. Une topographie propice aux aventures, une découverte historique, des évènements inexplicables, la toute-puissance d’une multinationale pharmaceutique capable de déstabiliser un pays pour protéger ses découvertes, le jeu trouble des mercenaires, l’investigation parallèle d’un détective privé. Mais tout ceci donne l’impression d’une juxtaposition de scènes cinématographiques glanées ici et là (on reconnaîtra maintes influences flagrantes, jusqu’à la fin inutilement pyrotechnique) plutôt que d’une véritable fusion d’éléments qui demeurent trop disparates, par exemple les métamorphoses grotesques et outrancières des mercenaires qui auraient leur place dans un dessin animé mais détonnent fortement dans un tel récit.

« Tepuy  » peinera donc à séduire les lecteurs ayant un minimum d’exigence. À l’inverse, si on le considère sous l’aspect purement commercial, il pourra, par sa ressemblance avec une novélisation de blockbuster ou de bande dessinée, trouver, auprès d’un lectorat peu critique, un vaste public. Les lecteurs élevés à la série télévisée ou à la production hollywoodienne de base et qui ne recherchent rien de plus dans un livre y trouveront ce dont ils ont besoin pour une lecture de plage : de l’action, du suspense, des péripéties, des rebondissements, qui les entraîneront d’un bout à l’autre des cinq cents pages de « Tepuy  »


Titre : Tepuy
Auteur : François Baranger
Couverture : François Baranger
Éditeur : Pocket (édition originale : Critic, 2020)
Collection : SF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 7315
Pages : 541
Format (en cm) : 17,5 x 10,7
Dépôt légal : octobre 2021
Prix : 9,50 €



François Baranger sur la Yozone :

- L’Effet Domino
- L’illustration de Tepuy
- Les Montagnes hallucinées d’après H.P. Lovecraft
- L’Appel de Cthulhu d’après H. P. Lovecraft



Hilaire Alrune
9 décembre 2021


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