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Sur les Rails
Julien Hervieux
Filature(s), roman (France), satire sociale, 222 pages, mai 2021, 18€

Sam, directeur marketing salement licencié parce qu’il coûtait trop cher, accoste Malik, un dealer de la banlieue parisienne, à sa sortie du tribunal, et lui propose ses services pour booster son petit commerce : chacun apporte ses compétences et son réseau, pour monter un business hautement lucratif. L’idée de Sam : sortir du shit bas-de-gamme et viser plus haut, avec de la cocaïne high quality et un concept : le « cut it yourself ».
D’abord réticent face aux changements, notamment vestimentaires, que lui impose son associé, Malik envisage ensuite de le doubler, pour bien marquer sa supériorité. Mais force est de consacrer que le système de Sam n’a que des avantages, y compris celui d’emprunter les chemins de la légalité pour blanchir le fric...



Auteur du blog aussi réputé que bien nommé Un Odieux Connard et de quelques ouvrages, une récente BD adaptée de ses vidéos « Le petit théâtre des opérations » sur des anecdotes militaires, la série fantastique « Au service de Sa Majesté la Mort » (dont on attend la conclusion) et quelques parodies de « Game of Thrones » et des derniers Star Wars, Julien Hervieux nous propose un petit polar noir et satirique parfaitement dans l’air du temps. L’éditeur le présente en 4e de couverture comme « entre « La Daronne » (d’Hannelore Cayre) et Breaking Bad », et cela résume plutôt bien l’idée.

Hervieux s’appuie sur une mécanique bien huilée, le duo dépareillé : Malik, petit dealer de banlieue, et Sam, directeur marketing. Deux mondes très différents, mais une même envie : faire du fric, vite et fort, sur le dos des autres, puisque le système le permet. Quitte à prendre des risques, si le bénéfice en vaut la peine. Comme le dit Sam : contre quelques millions d’euros qui vous attendent à la sortie, quelques années de prison ne sont pas cher payé comparé à une vie de salariat de misère.
L’auteur, via Sam, appuie là où cela fait mal, pointe les défaillances et les failles de notre société actuelle, les passe-droits, les niches fiscales, l’entregent des fortunés, un autre monde dans le monde. Il fustige l’art contemporain, l’art de créer de la valeur à partir de rien, dont il va se servir pour blanchir leur argent, en proclamant nouveau Banksy un obscur graffeur du 9.3. Car le pire, c’est que cela marche. Sam déroule son business plan, faisant ses gammes de directeur marketing, et à le lire, on navigue entre deux humeurs : la sensation que tout cela semble trop facile, et la certitude qu’hélas, c’est effectivement aussi facile que cela.
Le tout est d’avoir le point de départ, et c’est là que Malik intervient, avec son carnet d’adresses, et celle d’un producteur local, en bordure de Guyane. Les aventures sud-américaines de nos deux cocos sont épiques, Sam n’étant pas dans son élément et Malik faisant mine de maîtriser la situation, mais dès leur retour à Paris, après quelques semaines de comm’, le produit s’envole. Au point de passer à la phase suivante, lorsque d’autres joueurs, flics ou dealers, entrent dans la partie.
Rebondissement classique, les deux associés s’embrouillent, faute de ne rien vouloir lâcher de leur côté, et ce petit hiatus dans leur collaboration pourrait mal tourner. Mais la mécanique est bien huilée et Sam a été à bonne école, y compris avec Malik, et là encore il joue avec quelques coups d’avance, comme il l’avait annoncé.
Tout est bel et bien sur des rails.

Les esprits chagrins pourraient tiquer que tout se passe presque trop bien pour nos deux anti-héros, que le roman ne les met pas en difficulté, mais c’est bien là l’argument de l’auteur : le système est simple, et pour qui en connaît les rouages, publics, et sait où appliquer certains leviers psychologiques, chez les clients, les gens de pouvoir, rien, à part le hasard ou le mauvais sort, ne vient enrayer l’engrenage.

Alternant les deux voix, et les leçons de marketing ou de la rue, « Sur les rails » fait agréablement grincer des dents. On savoure, comme dans la série « Breaking bad », la success story de ces deux courageux entrepreneurs dont seul le produit de base est illégal. Malik lâche quelques blagues plutôt fines sur la psychologie de la rue tandis qu’il perd un peu en grossièreté, et Sam, en bon requin prêt à tout pour faire payer ceux qui l’ont trahi, répète à l’envi qu’hélas, tout ce qu’il met en place est légal voire encouragé par notre société. On sort de « Sur les rails » à demi tenté de prendre cette mauvaise voie, tant le propos sait se faire convaincant, mais aussi presque déçu que l’auteur ne soit pas allé encore plus loin. Là encore, c’est chercher la petite bête : au contraire, le roman, certes classique dans sa forme, est justement très équilibré et donc profondément réaliste. C’est cette simplicité apparente qui fait toute sa force.

Dans un registre moins technique (d’optimisation), mais avec le même choc entre deux mondes, et à mon goût encore plus truculent, n’hésitez pas à enchaîner avec « Demain c’est loin » de Jacky Schwarztmann.


Titre : Sur les rails
Auteur : Julien Hervieux
Couverture : Christophe Chabouté
Éditeur : Filature(s)
Pages : 222
Format (en cm) : 21,5 x 14 x 2
Dépôt légal : mai 2021
ISBN : 9782491507107
Prix : 18 €



Nicolas Soffray
2 décembre 2021


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