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Couronne du Berger (La)
Terry Pratchett
Pocket, Fantasy, roman (Grande-Bretagne), fantasy pas si parodique ni si drôle, 365 pages, janvier 2021, 7,95€

La roue tourne sur le Disque-Monde. Une sorcière disparaît, et voilà Tiphaine Patraque avec deux exploitations à gérer, alors qu’elle avait du mal à s’occuper de tous les petits et gros bobos sur le Causse. De plus, les dernières volontés de Mémé Ciredutemps provoque quelques remous parmi les sorcières. Enfin, comme preuve que les temps changent, voilà qu’un jeune homme, Geoffroy, se présente -avec un bouc particulièrement intelligent- pour devenir sorcière. E si cela ne suffisait pas, le Voile s’est aminci, et les elfes sont sur le point de retraverser, après des années à ruminer leur défaite contre une gamine...



Dernier roman du Disque-Monde, dernier roman de Terry Pratchett emporté par la maladie, « La Couronne du Berger » est tout à la fois drôle, tragique, palpitant et émouvant.

Il s’ouvre sur un deuil, minutieusement préparé, et ses conséquences : voilà Tiphaine, certes talentueuse mais encore peu sûre d’elle malgré ses exploits et la reconnaissance de ses paires, bombardée « cheffe » des sorcières, si ce terme existe. A défaut, elle le prend comme celui de bergère... Mais le plus urgent, pour elle, est d’arriver à concilier ses deux exploitations, le Causse et Lancre. Elle s’y épuise, jusqu’à comprendre les paroles de Nounou Ogg : elle n’est pas Mémé. Elle dit trouver sa voie, sa façon de faire à elle. Les choses doivent changer, car elles ne peuvent rester figées.

Le meilleur marqueur de ce changement en marche, c’est Geoffroy, cadet d’une noble famille, trop sensible et lettré pour sa brute de père, et qui a décidé de faire carrière de sorcière, pour aider les autres, et les pousser sur la bonne pente. Sa diplomatie et son charisme discret font des merveilles, au point que Tiphaine le prend comme apprenti malgré le regard interloqué de certains consœurs traditionalistes. Quel plus beau message féministe qu’accepter ainsi un jeune homme dans ce rôle dévolu aux femmes ? A l’inverse des mages, souvent tournés en ridicule, enfermés dans leur académie, leurs livres et leurs conflits de hautes sphères, tandis que les sorcières travaillent sur le terrain, au plus près des gens et de leurs préoccupations.

Le changement, c’est le fer, également. Ce fer, sous la forme du train qui a changé la face du Disque-monde, chamboulant sa géographie mais aussi les relations entre les créatures : les gobelins honnis sont des ouvriers très appréciés, et tant pis s’ils ne sentent pas très bon. Une évolution dont les elfes sont incapables. Êtres dominateurs, projetant le « gueulamour » sur leurs adversaires, le fer les prive de ce pouvoir. Déposant leur reine, Morelle, au motif de sa défaite passée contre Tiphaine, ils sont bien décidés à revenir sur le Causse semer la discorde chez les humains, enlever les enfants... ils découvriront que la mort de Mémé Ciredutemps ne signifie pas la fin de tout obstacle à leurs plans.

Morelle abandonnée, c’est un chien perdu de plus que Tiphaine va secourir, et tenter de raisonner : un nouveau défi, car quoi de moins buté qu’un elfe ? Et pourtant, la sorcière essaie de lui apprendre les vertus de la solidarité plutôt que la loi du plus fort. Un moyen d’éviter la guerre, une alternative offerte, une solution à l’image même de tout ce que Terry Pratchett aura fait passer au travers de sa jeune sorcière : on est jamais plus forts qu’unis, malgré nos différences, et l’énergie qu’on perd à se déchirer se trouve tellement mieux employée à travailler ensemble.
Mais l’auteur ne prône pas le changement à tout prix, ainsi que le découvre son héroïne, il est bon de demeurer fidèle à soi-même, à ses principes, à ses racines, à ce qui fait d’elle, de fait, le moteur de ces transformations.

Alors qu’on se rassure, « La Couronne du Berger » aura sa bataille épique, quoique comme toujours surprenante, et s’avère aussi riche que ses prédécesseurs en Nac mac Feegle, ces petits personnages bruts de décoffrage mais très attachants, au parler si bien retranscrit par Patrick Couton. L’humour transpire, jamais trop loin pour dédramatiser les pires drames, mais quel chemin parcouru depuis les premières parodies qu’étaient les romans du Disque-Monde, et pourtant, à gratter sous la surface, tout était déjà là, savamment dosé.

On trouvera tant de bonnes choses dans « La Couronne du Berger » que je me contenterai de répéter que l’œuvre de Terry Pratchett est indispensable, et que les plus jeunes comme les plus réticents peuvent commencer par les aventures de Tiphaine, qui se savoure sans nécessité aucune de connaissances en fantasy, tout au plus quelques bases de contes de fées et une pointe de curiosité naturelle. Et le charme agira.


Titre : La Couronne du Berger (The Shepherd’s Crown, 2015)
Série : Le Disque-Monde, Tiphaine Patraque, tome 5/5
Auteur : Terry Pratchett
Traduction de l’anglais (G-B) : Patrick Couton
Couverture : Marc Simonetti
Éditeur : Pocket (édition originale : L’Atalante, 2016)
Collection : Science-fiction / Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 7280
Pages : 365
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : janvier 2021
ISBN : 9782266296366
Prix : 7,95 €


- Tout Terry Pratchett chez Pocket
- La page Wikipédia des « Annales » et à son très beau diagramme de lecture des nombreux tomes de ses différents cycles.


Nicolas Soffray
3 octobre 2021


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