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Rusty Puppy
Joe R. Lansdale
Gallimard, collection Folio Policier, n° 937, traduit de l’anglais (États-Unis), polar noir, 332 pages, septembre 2021, 8,10 €


« Léonard et moi sommes moins des détectives que des gaffeurs acharnés, même si certaines aptitudes d’enquêteurs ont fini par déteindre sur nous, en dépit de nous-mêmes. »

Hap Collins et Léonard Pine, dont une dizaine d’aventures ont déjà été traduites en français, sont de retour pour un nouveau récit dans une Amérique profonde, raciste, violente et assez peu cortiquée, ce qui n’étonnera pas grand-monde quand on sait qu’il s’agit de l’Amérique du Texas. À leur manière, avec leurs méthodes à eux, ils travaillent – si l’on peut dire, car ils n’ont jamais été du genre à travailler d’arrache-pied – pour l’agence d’investigation de Brett, la petite amie de Hap Collins, et sont sollicités par la mère d’un adolescent noir retrouvé tabassé à mort à Camp Rapture, un quartier pas tout à fait recommandable. Ledit adolescent s’intéressait d’un peu trop près, semble-t-il, aux manigances de flics qui harcelaient sa sœur. Laquelle a eu la mauvaise idée, pour un reportage, d’aller faire quelques photographies parfaitement anodines d’une vieille scierie soi-disant abandonnée, mais où se déroulent de temps à autre, comme le découvriront Hap et Collins, des évènements pas tout à fait anodins.

« Même chose pour ceux qui meurent dans l’arène. Avec toute cette vieille sciure accumulée, quand les corps remontent à la surface, ce qui arrive parfois, ils ont l’air d’être couverts de rouille. (…) On a retrouvé des corps humains, qu’ils ont aussi appelés rusty puppies. Aucun de ces meurtres n’a jamais été résolu, et ça n’arrivera pas. Je pense que ce sont les flics qui les ont balancés là. »

C’est donc parti pour un nouveau tour de piste au cours duquel vont s’accumuler crimes crapuleux, cadavres, bastons, et retournements de situation. Une enquête qui ne sera pas de tout repos et donnera à nos protagonistes bien plus que du fil à retordre, car ils ont affaire une fois de plus à forte partie. Dire que dans le coin les flics sont quelque peu pourris serait un euphémisme. Dire que les avocats ne valent pas mieux relèverait de la litote. Entre mensonges, menaces, trahisons et crapules en tous genres, et dans une atmosphère perpétuellement marquée par des tensions raciales exacerbées, Hap et Collins, obstinés et pugnaces, tantôt en phase et tantôt en opposition, mais toujours complices, parviennent à rassembler les indices et à comprendre dans quel guêpier ils se sont fourrés.

« Bobo s’arrêta et se détendit. Il me fixa de son regard atone. Son visage pendait comme un sac vide. À l’intérieur de son crâne, un neurone grimpa sur un escabeau pour dénicher une pensée en haut de l’étagère. »

Si ce « Rusty Puppy » ne se hisse pas au sommet de la série des aventures de Hap Collins et Léonard Pine, c’est d’une part parce que l’intrigue, assez simple, n’a pas la densité de celle d’un roman comme « L’Arbre à bouteilles », d’autre part parce que les dialogues relatifs à l’homosexualité de Léonard apparaissent excessivement lourds et donnent l’impression que l’auteur les utilise surtout pour tirer à la ligne. Une pesanteur que l’on regrette d’autant plus que la plupart des dialogues sont, comme souvent chez Lansdale, percutants et drôles et que les réparties des deux protagonistes n’excluent pas forcément un minimum d’esprit et de finesse. Un esprit, une sagacité et une perspicacité qui leur permettront de progresser dans leur enquête sans tomber systématiquement dans les pièges, et une tolérance et une empathie qui leur permettront de ne jamais laisser tomber les laissés-pour-compte et de savoir se faire des alliés de personnages atypiques, comme cette gamine délurée qu’ils s’amusent à définir comme une “vampire naine âgée de quatre siècles”.

« Alors que je m’assoupissais, j’eus aussi une pensée pour ces pauvres chiens et ces gens dans le bassin devant la scierie, enveloppés d’une couche de vieille sciure, tous ces morts figés dans une croûte collante qui leur donnait l’air d’avoir rouillé.  »

Il y toujours dans les aventures de Hap Collins et Léonard Pine une tonalité particulière, due en partie à des choix de traduction (cette association systématique du « on » et du passé simple, que le traducteur soit Bernard Blanc ou Frédéric Brument), et en partie à l’association entre évènements dramatiques et humour à la fois désabusé, féroce et plein d’humanité. Comme si, dans un monde où violences, racisme et sexisme apparaissent comme des fatalités, quelques bons mots, quelques répliques et une poignée de personnages estimables et intègres constituaient le réservoir d’oxygène permettant de continuer à respirer et à survivre. Un humour forcené, obstiné, un sens de la répartie qui sont l’une des qualités premières de ce « Rusty Puppy  » qui malgré sa noirceur donnera aux amateurs de Joe R. Lansdale, une fois de plus, l’occasion de passer de bons moments.


Titre : Rusty Puppy (Rusty Puppy, 2017)
Série : Les aventures de Hap Collins et Leonard Pine
Auteur : Joe R. Lansdale
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Frédéric Brument
Couverture : Joann Sfar
Éditeur : Folio (édition originale : Denoël, 2019)
Collection : Folio Policier
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 937
Pages : 332
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : septembre 2021
ISBN : 9782072922930
Prix : 8,10 €



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1er octobre 2021


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