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Ex Dei
Damien Snyers
ActuSF, les 3 Souhaits, roman (Belgique), fantastique & steampunk, 426 pages, février 2021, 19,90€

James et Mila se sont installés à Gobhandja, cité africaine toute de diamant construite par les mages. Mais la richesse n’empêche pas l’ennui, et l’elfe s’organise un petit casse façon Robin des bois. Les choses tournent mal lorsque trois Chasseurs assermentés leur courent après. Convaincus que les mages de Nowy-Krakow n’ont pas digéré son dernier larcin, également poursuivis par l’ex de Marion qui l’a largué tant - d’après lui - elle pense à James, ils reprennent la route du nord, comme des voleurs.
En ville, Marion fraichement libérée de son falot Nicolas reprend ses activités avec le Cercle des Historiens. Avec son amie Sara, elle intronise un nouveau membre, Adam, rencontré au théâtre et féru d’histoire ancienne. Las, il succombe à la curiosité et fait les frais de la sécurité du coffre d’archives de Marion. Mais, bien que dûment enterré, sa présence se fait sentir... et le Cercle découvre qu’il était censé être déjà mort en Italie ! Qui est-il donc ? C’est en enquêtant que Marion se fait agresser, et se réveille dans une étrange forêt.



On l’aura attendue longtemps, cette suite à la très chouette « Stratégie des As ». On l’aura attendu, ce bonheur de se replonger dans cette société fantasy-steampunk complexe, marquée par le racisme et les inégalités sociales.
Et c’est la déception.

Je n’ai pas compris cet « Ex Dei ». Je n’ai pas d’autres mots.

C’est bien simple, ce roman, au-delà des rebondissements, ne raconte rien. Il commence. Des choses se passent, expliquées ou non, logiques ou non. Il finit, après une grande bataille, peut-être de la façon la plus improbable qui soit. Et hormis une belle galerie de personnages secondaires, on se demande régulièrement, dès la deuxième moitié entamée, où cela va.
Et la réponse est nulle part.

James revient sur son passé, récent, en retrouvant ses amis Jorg et Elise, plus ancien, en s’arrêtant sur la tombe profanée du Vieux, son mentor qu’il avait tué (pour mémoire, c’est le trauma super bien traité du tome précédent). Il retrouve le Polonais qui lui règle ses affaires. Sur le bateau, un peu plus tôt, ça a parlé fantômes et loyauté, et un type sorti de sa boîte, Rufus Bellefleur, leur a sauvé la mise, comme ça, deus ex machina. Et là, aux trois quarts du bouquin, on découvre que l’Adam immortel serait en fait le Vieux, revenu encore faire du mal. Montrer que c’est un Grand Grand Méchant. Dont on va l’arrêter, en y mettant les moyens. Et puis c’est tout, je ne vous gâche pas la fin.

Pour Marion, après le délectable premier chapitre où elle largue son mari, c’est le retour aux affaires, au Cercle, à l’usage de la télépathie, avec ses avantages et les mots de tête qu’elle provoque. Attaquée par un Adam mort qui s’est réincarné dans un autre membre, elle erre dans une prison mentale aux allures de petites forêt, en sort grâce à une Marh, sorte de fée noire peu ragoutante, et l’aide d’un policier et de son ami, mage déchu au genre changeant qui veillera sur elle durant sa convalescence, le temps qu’elle retrouve sa mémoire piétinée. Portrait de femme forte, malgré des fragilités, qui ne se laisse pas abattre et se relève, toujours.

On appréciera le flou autour du genre de Neige, que la narration par Marion encore elle-même confuse entretient, et la belle et triste histoire qui se cache derrière, qui permet de rajouter aux thématiques de racisme la question de l’homosexualité. c’est dans l’air du temps, mais c’est l’un des plus beaux passages du roman.

Tout comme on pourra apprécier l’accent résolument dark de cette fantasy, entre mise à mort de cerf mental avec les dents, possession démoniaque et tentative d’écorchage vivant par amoureux éconduit : Nicolas fait un remake du « Volte-Face » de John Woo avec un James pas spécialement consentant ni anesthésié. Beurk. Tout comme les orgies des mages, purement excessives et là pour illustrer le discours sur l’inégalité des puissants et des faibles un peu trop ressassé par un James nouveau riche.

Tout ce qui faisait l’originalité des « la Stratégie des As » est ici balayé : les descriptions de la cité moderne, des inégalités, tout cela fait partie d’un décor considéré comme acquis, et sur lequel l’auteur ne juge pas nécessaire de revenir. Tout le pan social, les inégalités de classe et le racisme, est davantage dit, voire martelé, que montré. On sourit aux références et allusions comme « Ocean’s 11 » ou « 50 Shades... », mais cela ne va pas loin.

Enfin, comme la narration passe de James à Marion, leur point de vue signalé par un petit symbole (un as de pique pour James, un cerf à ramures pour Marion), Damien Snyers va, plusieurs fois, nous raconter la même scène des deux points de vue. Si parfois cela permet d’élégantes symétries (« les papillons dans le ventre » lorsqu’ils se réalisent amoureux), cela devient vite fatigant de relire une scène entière, pour n’y trouver que quelques précisions supplémentaires, et qui plus est quand le premier narrateur a déjà donné des éléments postérieurs. On en regrette très vite le procédé pas encore galvaudé de « l’un commence, l’autre finit » la scène, qui évite de briser le fil narratif.

En conclusion, les attentes étaient peut-être trop hautes... mais objectivement, on se demande quand même si l’auteur savait où il allait. Faire ressortir le Vieux aux trois quarts du bouquin, plutôt qu’une entité nouvelle face aux Historiens, sent la volonté de faire un tout de ses deux romans. Mais c’est si mal amené, comme un cheveu sur la soupe, avant tant de rien ou de n’importe quoi avant, des aventures pour l’aventure... « Ex Dei » est rempli de trucs biens, de morceaux de bravoure, de moments tendres, sensibles et dramatiques, de malheurs brutaux car on ne meurt pas au ralenti comme dans les films ou forcément sous les yeux de son meilleur ami... Et on ne creusera pas trop loin pour trouver une explication psychologique au cerf et à la marh de la prison mentale, genre je fais table rase de mon ancien moi pour renaître plus forte (même si ce n’est pas franchement le cas, mais bon, on parle subconscient). Mais voilà, il n’en demeure pas moins que cela part dans tous les sens et qu’on peine à y comprendre quelque chose.
Parce qu’on a affaire à un roman, et qu’à défaut d’une morale (qui pourrait être « quand t’as la poisse collées aux semelles, la meilleure solution est de décoller les pieds du sol »), on s’attend à une évolution, même pas forcément positive, de quelqu’un, genre un protagoniste principal.
Là, non. On a des personnages qui sont confrontés à la vie, aux choix des autres, et qui se contentent de réagir en faisant d’autres choix, ni bons ni forcément logiques.
A défaut d’un ex-Dei en quête de pouvoir, on aurait apprécié une entité aux commandes de ce livre. En sus d’une fin peu compréhensible, c’est tout le fil narratif qui manque de lisibilité. Ce n’est pas de la littérature, c’est du remplissage, du showrun qui flatte et nourrit le fan, pas forcément désagréable à lire, du moment qu’on n’en questionne pas l’intérêt global.

Une énorme déception, une sensation de gâchis.


Titre : Ex Dei
Série : fait suite à La Stratégie des As
Auteur : Damien Snyers
Couverture : Zariel
Éditeur : ActuSF
Collection : Les 3 Souhaits
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 426
Format (en cm) :
Dépôt légal : février 2021
ISBN : 9782376863427
Prix : 19,90 €



Nicolas Soffray
3 août 2021


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