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Pasakukoo
Roy Braverman
Hugo et Cie, collection Hugo Poche Suspense, polar, 414 pages, juin 2021, 7,60€


Pour Roy Braverman, l’Amérique est à la fois un fruit véreux et un verger fertile. Après les Appalaches (« Hunter  »), l’Alaska (« Crow »), la Louisiane (« Freeman  ») et enfin New York (« Manhattan Sunset »), voici venir Providence et l’état du Rhode Island. Si une telle entame est propre à appâter les lovecraftophiles, on ne trouvera dans « Pasakukoo » ni spectres, ni incantations ni tentacules, et, à la différence de « Manhattan Sunset » où l’auteur venait glisser une pointe de fantastique, on restera dans le domaine strictement policier. Pas d’horreur indicible, donc, même si l’horreur plus dicible des salles d’autopsies et des secrets de famille (des familles, il est vrai, quelque peu dégénérées, même si ce n’est pas au sens lovecraftien du terme) paraît largement suffisante pour faire frémir. Car la Comédie Humaine, nourrie par des egos démesurés, des vengeances perverses, et des démences elles même alimentées par des richesses ou des pouvoirs excessifs, promet quelques peu reluisantes surprises. Une voix off– celle d’un des personnages mis en scène ou d’un autre individu encore ? – ouvre les chapitres, révèle, suggère, et, murmurant insidieusement à l’oreille du lecteur, avive encore sa curiosité.

Un lac, deux Lodges. D’un côté, Benjamin Dempsey, auteur célèbre, reconnu, relativement discret, relativement retiré, qui travaille avec son secrétaire et admirateur, Matthew. De l’autre côté du lac, en face, Akerman, ancien élève de Dempsey, devenu auteur de best-sellers, égocentrique, flambeur, grand amateur de fêtes où circulent maintes substances pas forcément licites. Outre l’écriture, tous deux ont un point commun : ce sont des séducteurs impénitents. La plupart des jeunes filles et des femmes du coin sont tombées dans leurs bras, ce qui limite quelque peu la popularité des écrivains parmi les hommes de la région. Et tout partira de là puisqu’un soir, trois jeune filles débarquent dans la demeure de Dempsey en croyant arriver à la fête organisée par Akerman. Et que plus tard, dans la nuit, l’une d’entre elles, jeune autrice sur le point d’accéder à la notoriété, reviendra tenter de séduire Dempsey. Elle sera raccompagnée chez Akerman par Matthews, et, le lendemain, retrouvée noyée au milieu du lac.

Voilà qui ne sent pas très bon pour Dempsey. D’une part, parce qu’il cherche à en dire le moins possible à Blansky, le shérif, qui a quelques raisons de vouloir lui faire porter le chapeau : Dempsey a séduit sa fille, et il a séduit sa femme. Dempsey, empêtré dans son mensonge, se trouve momentanément tiré d’affaire par un couple d’avocats mus par une férocité dévastatrice. Mais ce n’est là que le début de l’histoire. La noyée était la fille d’une famille extraordinairement puissante. Bientôt, on retrouve un autre cadavre. Sans lien apparent, mais, tout de même, l’endroit est habituellement plutôt tranquille. Apparaissent ensuite d’autres personnalités puissantes, et les cadavres se mettent à tomber comme des mouches.

« Nolan ouvre le tiroir du bureau et Blansky panique en voyant le crotale réagir derrière la vitre. Le garçon fouille à l’intérieur et Blansky tremble à l’idée idiote que le crotale aurait pu creuser le fond de son terrarium pour surgir par le tiroir ouvert. Il se rassure un peu quand Nolan ferme le tiroir et tend vers lui sa main ouverte. Dedans, un briquet Zippo et une dizaine de balles. Chemisées 10 mm. Rien à voir avec l’arme de service de Dyson retrouvée sur place.  »

Écrivains meilleurs ennemis du monde, magouilles de publications, éditeurs pourris : on aurait tort de ne voir dans « Pasakukoo » qu’un roman de mœurs littéraires. Car avocats véreux, flics ripoux et lecteurs pervers sont un peu plus qu’à la hauteur, filiations troubles, rébellions punies, squelettes dissimulés dans les placards viennent s’en mêler, quelques coïncidences authentiques s’ajoutent à de fausses coïncidences obéissant à des affaires anciennes et bien cachées, et des protagonistes atypiques ne tardent pas à venir se glisser dans l’intrigue. Dès lors, « Pasakukoo » apparaît comme ce qu’il est : un polar nerveux, rapide, rythmé, nourri par une intrigue dense et inventive qui fait rebondir l’histoire toutes les quelques pages. En dix-neuf jours et autant de chapitres (eux-mêmes scindés en sous-chapitres en fonction des individus et des lieux), et servi par des dialogues peut-être un peu moins drôles – mais toujours aussi saignants et percutants – que ceux de la trilogie « Hunter  », « Crow », « Freeman  », Roy Braverman emmène le lecteur dans un rollercoaster de révélations et d’action.

« Quelques secondes plus tard, le gorille lui apporte sur un plateau une grappe de raisin, des cerneaux de noix, une bouteille de sauvignon blanc Merryvale cuvée Profile 2013, et le manuscrit de Coït Factory. »

Festival jubilatoire de crapules, « Pasakukoo  » offre en outre plusieurs magnifiques tableaux de femmes fortes ou blessées, certaines maîtrisant leur condition, d’autres subissant des carcans dorés avec un stoïcisme admirable. Y compris de femmes fatales à elles-mêmes qui elles aussi finiront par rester sur le carreau. Sans compter la plus « freak » d’entre elles, un personnage étonnant qui à sa manière tirera son épingle du jeu. Rien d’étonnant pour les lecteurs de Braverman, qui connaissent la tendance de l’auteur à brosser des personnages des deux sexes « bigger than life », parfois à la limite de la caricature, souvent avec empathie, parfois avec âpreté. Et si cette âpreté des destins des uns et des autres se ressent parfois un peu moins dans « Pasakukoo », c’est parce qu’elle se trouve très vite emportée par une cascade de rebondissements.

Cascade de rebondissements, parce que « Pasakukoo  » se veut avant tout comme un roman de l’été. Là où d’autres auteurs auraient fait six cents pages, sinon plusieurs volumes, Braverman densifie, resserre, dégraisse. « Pasakukoo  », on l’aura compris, est le genre d’ouvrage que l’on peut lire et apprécier sans avoir besoin de se concentrer, car le rythme y est tel qu’il est capable de maintenir l’attention de tout lecteur encore un tant soit peu vivant. « Pasakukoo  » apparaît propre à tenir en échec le coma post-prandial des excès gastronomiques, la narcose des lendemains de fêtes, le jet-lag des vacanciers fortunés, le tuphos des voyageurs sous les tropiques, et même la stupeur bovine des meutes d’hébéphrènes partis rejouer l’odyssée du Diamond Princess sur leurs navires de croisière.


Titre : Pasakukoo
Auteur : Roy Braverman
Couverture : Victor Merino / Shutterstock
Éditeur : Hugo
Collection : Hugo Poche Suspense
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 414
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : juin 2021
ISBN : 9782755688313
Prix : 7,60 €



Roy Braverman sur la Yozone :

- « Manhattan Sunset »
- « Hunter » de Roy Braverman
- « Crow » de Roy Braverman
- « Freeman » de Roy Braverman
- Une nouvelle de Roy Braverman dans l’anthologie « Storia »


Hilaire Alrune
1er juillet 2021


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