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Ecotopia
Ernest Callenbach
Gallimard, Folio SF, roman (USA), 321 pages, décembre 2020, 9,20€

Vingt ans après la Sécession des trois Etats de la Côte Ouest, le reporter new-yorkais William Weston est un des premiers Américains autorisé à entrer dans la nouvelle nation, pour produire un reportage en feuilleton. D’abord bien déterminé à montrer la régression sociétale, William va peu à peu voir les bons côtés de l’Ecotopia, et admettre que l’Amérique n’a pas forcément raison.



Ernest Callenbach (1929-2012) s’inscrit dans la lignée des auteurs de la décroissance, de l’écologie et du nature writing, comme Thoreau. Le rêve américain s’effrite déjà dans les années 1970, lorsque paraît « Ecotopia », un modèle pas si utopique à des lieues du principe américain intenable de surproduction et de consommation effrénée.
Le roman est toujours d’actualité, et c’est en cela déjà assez effrayant : cela signifie que ces 50 dernières années, malgré de telles sonnettes d’alarmes, de tels modèles possibles, le monde n’a pas dévié de sa voie du toujours plus. Entre le jour du dépassement et les dérèglements climatiques, nous ne pouvons plus dire que nous ne savons pas.
Mais dès 1975, Callenbach proposait à l’Amérique un modèle écologique. Car c’est ce que son personnage, William Weston, va découvrir. Le roman alterne, dans deux typos distinctives, et deux styles également, ses notes personnelles et les articles qu’il envoie à New York. Les premières sont brutes, témoignage direct de ses observations, parfois assorties d’un jugement ou de l’émotion ressentie, les seconds sont plus synthétiques, construits pour appuyer la démonstration.

Weston entre en Ecotopia en sceptique, mesurant tout à l’aune du modèle américain : transports en communs, vêtements, consommation, attitudes sociales… qui tous le révoltent ! Les Ecotopiens sont quelque part entre les babas et les cocos, avec une pointe d’influence française et suisse… Ils n’ont quasi pas de propriété privée, n’achètent que l’essentiel, fabriquent de leurs mains plein de choses, objets ou vêtements, les réparent, recyclent, compostent… tout cela dans un principe simple : réduire leur empreinte sur la terre et éviter tout gaspillage de ressources, qui doivent être renouvelables !

Au fil des reportages de Weston, on retrace l’histoire de cette sécession, ses débuts laborieux, avec la menace des faucons de Washington, et l’application des principes drastiques du parti arrivé au pouvoir : fin du pétrole, du béton, de l’élevage intensif… Je ne vais pas tout vous détailler, juste vous conseiller de lire « Ecotopia », car c’est un roman-essai marquant et témoin de son époque, dans ses qualités comme ses défauts.
Pour réaliser son idéal, l’Ecopia mélange des aspects parfois opposés. Le pays privilégie les petites unités, petites exploitations, petites villes, production locale… et le tout relié par un vaste réseau ferré performant (des trains à sustentions magnétiques). À côté d’un retour à la terre criant, elle s’appuie aussi sur la science et la technologie pour tirer un trait sur des choses qui apportaient plus de problèmes que de solutions. Ainsi, les voitures personnelles, coûteuses en métal et en carburant, ont été bannies, au profit des transports collectifs et de la visioconférence. Le plastique indispensable est fabriqué à partir de végétaux, et doit être compostable.
Il y a dans le roman d’Ernest Callenbach certains points naïfs laissés de côté, comme les nombreuses batteries des voiturettes, dont on sait aujourd’hui tout le coût écologique (autant que les piles alcalines), et des solutions « de facilité » avec des découvertes scientifiques « magiques » qui résolvent certains manques. Mais cela n’enlève rien au modèle sociétal proposé, ni à la critique acerbe des USA de l’époque. En Ecotopia, on privilégie le groupe sans étouffer l’individu, mais on a banni l’individualisme. C’est ensemble qu’on trouve les solutions.
Et c’est dans les esprits que le reporter découvre les changements les plus drastiques, car tous les gens qu’il interroge ont accepté la baisse de niveau de vie, de confort par rapport aux USA, parce qu’ils ont tous renoncé à cet idéal de consommation. Tout comme ils ont abandonné certaines normes sociales, préférant l’expression libre aux névroses et autres dépressions. Bref, ils sont revenus à un état plus naturel.

Ce que montre « Ecotopia », en creux, c’est que cette transition, que le personnage interprète comme une régression des acquis individuels, n’a pu se faire qu’en appui sur une société qui allait dans le mur. On l’a dit plus haut, les technologies de communication sont à la pointe, et la science est indispensable pour compenser certains manques. Callenbach connaît aussi son public : pas question de vanter une vie de mormon. Au contraire, il s’agit de mettre toute la modernité au service de la sobriété.

C’est aussi une histoire d’amour, car William rencontre Marissa, qui chapeaute une exploitation forestière. Leur relation va évoluer jusqu’au point où William admettra qu’il ne veut quitter ni Marissa ni l’Ecotopia. Un sacré chemin parcouru pour ce père divorcé, entretenant une maîtresse délurée. Au travers du questionnement de son rapport à sa famille, Weston découvre davantage cette ouverture d’esprit des Ecotopiens, leur liberté sexuelle et la solidité de leurs cellules « familiales » extrêmement fluides. C’est tout le carcan judéo-chrétien qui vole en éclats, et bien sûr le patriarcat, puisque dans ce pays hommes et femmes sont égaux, et même représentés par une Présidente.

Tandis que les dystopies fleurissent depuis des décennies dans l’Imaginaire, les utopies réalistes, enviables sont rares. « Ecotopia » accuse forcément son demi-siècle dans certains domaines, mais il est aussi rafraîchissant que glaçant de le sentir résonner dans l’actualité avec encore beaucoup de justesse.


Titre : Ecotopia (Ecotopia, 1975)
Sous-titre : Notes personnelles et articles de William Weston
Auteur : Ernest Callenbach
Préface : Brice Matthieussent
Traduction de l’anglais (USA) : Brice Matthieussent
Couverture : Sam Van Olffen
Éditeur : Gallimard (édition originale : Rue de l’échiquier, 2018)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 670
Pages : 321
Format (en cm) : 18 x 11 x 1,5
Dépôt légal : décembre 2020
ISBN : 9782072872549
Prix : 9,20 €



Nicolas Soffray
17 mai 2021


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