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Le cyberespace de l'imaginaire




Bifrost n°102
Rédacteur en Chef : Olivier Girard
Revue, n°102, nouvelles - articles - entretiens - critiques, avril 2021, 192 pages, 11,90€

Pour ce spécial Arthur C. Clarke et aussi pour marquer les 25 ans d’existence de la revue, « Bifrost » se décline selon deux couvertures différentes : l’une pour les abonnés et collaborateurs avec l’ascenseur spatial rappelant « Les fontaines du paradis » et l’autre pour le commerce avec un cylindre géant ramenant à « Rama », les deux dessinées par Manchu, un choix particulièrement judicieux. D’ailleurs la parole lui est donnée, permettant de comprendre que les vaisseaux qu’il représente ne sont pas uniquement le fruit de l’inspiration du moment mais aussi d’une veille technologique. Un artiste très complet à l’œuvre fascinante.



Les deux nouvelles accompagnant le dossier sont deux incontournables d’Arthur C. Clarke : “Les neuf milliards de noms de Dieu” et “L’étoile”. Dans la première, des moines tibétains utilisent des ordinateurs pour effectuer toutes les permutations possibles de lettres, afin de balayer tous les noms de Dieu jusqu’au dénouement qui reste dans les esprits. Quant à l’autre, une mission se rend sur les lieux de l’explosion d’une étoile jusqu’à la conclusion inattendue. Les deux fois, la religion s’invite au programme, Dieu entre en scène à un moment ou un autre, alors que l’écrivain était agnostique.
Même si on a déjà lu ces deux textes, le plaisir reste intact, tant ils s’avèrent marquants.

Avec Isaac Asimov et Robert Heinlein, Arthur Charles Clarke (1917-2008) est
considéré comme un des Big Three, c’est-à-dire les trois écrivains qui ont fait basculer la SF dans la modernité au milieu du XXe siècle. Claude Ecken en dresse le portrait, relatant sa carrière émaillée de succès, aussi bien du point de vue littéraire que des prévisions qui se sont concrétisées comme les satellites de télécommunications. Pour autant, il n’attire pas forcément la sympathie, laissant un drôle de sentiment avec son œuvre comportant d’indéniables classiques, mais aussi du moyen, voire du dispensable avec des romans clairement à vocation commerciale. Les recensions d’ouvrages illustrent d’ailleurs ce constat.
Arthur C. Clarke a aussi publié maints articles scientifiques comme nous l’apprend Éric Picholle. Ses deux grands cycles (« Rama » et « Les odyssées de l’espace »), ainsi que l’intégrale de ses nouvelles, sont abordés dans des articles dédiés du fait de leur importance. L’approche est vraiment intéressante, car les analyses sont assez fines dans les différents cas, montrant, par exemple, comment les trois autres romans du cycle de « Rama » complètent en quelque sorte « Rendez-vous avec Rama ».
Et puis bien sûr, comment ne pas évoquer les multiples collaborations loin d’emporter l’adhésion. Près du tiers des romans de Clarke consiste en des co-écritures !
Considéré comme son héritier spirituel, Stephen Baxter est interviewé, notamment par rapport à sa collaboration avec l’écrivain.
Figure aussi dans ce dossier un entretien datant du 21 avril 1982. Comme les éditeurs de la série d’entretiens « Dream Makers » n’ont pas désiré envoyer Charles Platt à Colombo au Sri Lanka où résidait Arthur C. Clarke, l’échange s’est fait par téléphone.
Le dossier se conclut sur l’inévitable bibliographie, ici très imposante, fruit de l’importante masse de travail d’Alain Sprauel.
Ce dossier couvre 70 pages, permettant de se faire une idée de qui était l’écrivain et de la portée de son œuvre. Un modèle du genre, complet et très bien mené.
On peut même y rajouter la rubrique “Scientifiction”. Roland Lehoucq s’est adjoint les services de Raphaël Costa, enseignant en droit public à l’université Paris Saclay, notamment pour expliciter les droits dans l’espace. Il est aussi question des satellites géostationnaires et de l’ascenseur spatial. Une mine d’informations comme à l’accoutumée.

En plus d’un important volet critique (par contre, pas d’avis sur les sorties de revues et autres fanzines ce trimestre), deux nouvelles complètent le sommaire.
Il est bon de retrouver le trop rare Ian R. MacLeod avec “La viandeuse”, comprendre la femme qui porte la poisse à ceux qui la côtoient. En temps de guerre, sur une base de la RAF, sa réputation est vite faite et elle se retrouve esseulée. Inversement un aviateur ne manque pas de chance, bravant impunément le danger. Le glissement vers l’imaginaire est très léger. Tout est dans l’ambiance, dans les personnages, le lecteur est pris dans l’histoire sans coup férir. À chaque fois, on ne peut que regretter que cet auteur ne soit pas plus traduit.

Rich Larson a la cote ces derniers temps avec plusieurs nouvelles publiées en revue et surtout le recueil « La fabrique des lendemains » au Bélial’. La présente “Demande d’extraction” n’est pas pas sa nouvelle la plus inspirée. Suite à une explosion, un vaisseau convoyant des militaires s’écrase dans un marais. Ils vont apprendre à leurs dépens dans quel bourbier ils se trouvent.
Entre les noms et les surnoms, j’ai eu le plus grand mal à établir une liste des personnages, à savoir qui est qui et, comme aucun n’attire la sympathie, ne me suis guère senti concerné par leur sort. Rich Larson ne fait pas dans la dentelle et il reste des zones d’ombre. Même si cela se lit sans déplaisir, car c’est musclé, mouvementé, l’auteur nous a déjà habitué à mieux.

Un numéro qui fait honneur à Arthur C. Clarke avec un dossier conséquent rondement mené.
En plus de la passion et du travail, cette qualité à chaque numéro explique les 25 ans d’existence de « Bifrost » qui n’a pas fini de faire rêver les lecteurs en poursuivant son exploration des vastes contrées de l’imaginaire.


Titre : Bifrost
Numéro : 102
Rédacteur en chef : Olivier Girard
Couverture : Manchu
Illustrations intérieures : Franck Goon, Nicolas Fructus et Olivier Jubo
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, nouvelles, entretien, etc.
Sites Internet : le numéro 102, la revue (Bifrost) et l’éditeur (Le Bélial’)
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 9782913039995
Dimensions (en cm) : 15 x 21
Pages : 192
Prix : 11,90€



Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
6 mai 2021


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