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Lady Helen, tome 3 : L’Ombre des Mauvais Jours
Alison Goodman
Gallimard Jeunesse, roman, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), 650 pages, juillet 2019, 21€

Le mariage imminent de lady Helen avec le Duc de Selburn agite tout Bath. Mais la jeune femme n’a pas la tête à préparer la cérémonie : elle doit maîtriser son nouveau talent de Vigilant Suprême et le lien qu’il a forgé avec Carlston. Ce qui n’est pas du goût de son futur époux, toujours jaloux et prêt à bondir sur le moindre prétexte pour éloigner Helen de Carlston. Une malencontreuse décharge de pouvoir mortel lui permet de déménager tout ce petit monde dans son manoir non loin. Là, en bon hôte, il fait les honneurs de sa maison à sa fiancée, et se montre aussi attentionné avec elle que détestable avec les autres membres du Club. Helen et Carlston poursuite leur quête de l’Abuseur de Bath, qui pourrait leur révéler l’identité de l’Abuseur Suprême, qu’ils suspectent d’être, comme eux, un duo. Helen plonge dans l’histoire de la ville, à la recherche d’une lignée influente. Les crises de madame Pike empirent au moment où ils découvrent qu’Helen a besoin de réaliser un exorcisme pour ancrer le pouvoir en elle... D’anciens Abuseurs refont surface, et s’avèrent prêts à tout pour mettre la main sur le Ligatus, ignorant qu’il a fusionné avec Helen.
Ultime épreuve, Elise, la femme prétendument morte de Carlston, refait surface. Cela facilitera-t-il le choix d’Helen ?



La quatrième de couverture annonçait un finale grandiose : c’est même au-delà ! La tension est à son comble dans ce dernier volet, à tous les niveaux. Le Club n’a pas obtenu l’identité de l’Abuseur Suprême, et la fusion d’Helen avec l’un des trois artefacts rend son pouvoir plus puissant mais plus instable. Mais surtout, le lien qu’il a forgé avec l’autre part du duo du Vigilant Suprême exacerbe sa proximité physique et émotionnelle avec lord Carlston, même si depuis les événements de la fin du « Pacte des Mauvais Jours » et cet « amore mio » échangé, le lord n’y a plus fait allusion. Helen est déchirée entre sa passion pour Carlston, peut-être influencée par le lien, et sa tendresse pour Selburn, qui lui propose un mariage de rêve et une situation enviable. Que les deux hommes ne puissent se supporter complexifie encore les choses pour elle, toujours obligée de se justifier auprès de son fiancé et de ménager son honneur face à ses devoirs à elle de Vigilante.

On l’a déjà dit, le travail de recherche d’Alison Goodman sur la société victorienne est fabuleux, et au-delà de la reconstitution historique du Bath de 1812 et des moeurs de la bonne société, c’est du côté des rapports sociaux qu’on peut saluer son travail. Avec ses différents personnages et leur société secrète, elle joue sur différents rapports, publics et privés : Helen et Darby voient leur lien maitresse-domestique doublé de Vigilante-Terrène, ce que n’est pas facile pour Darby, qui conserve des réticences à certaines familiarités avec la jeune lady et rougit de certaines de ses audaces.
Mais c’est aussi flagrant dans les échanges d’Helen avec Selburn : elle s’autorise à l’appeler par son prénom, signe d’intimité extrême, d’autant qu’ils ne sont pas encore mariés. C’est encore plus révélateur avec Carlston !
Attardons-nous sur Selburn : on l’a déjà vu, le duc a « profité » de certains quiproquos pour imposer à Helen leurs fiançailles, au risque de voir la réputation de la jeune fille, déjà entachée par la disgrâce de ses parents, totalement détruite. La jalousie dont il fait preuve à l’égard de Carlston les pousse tous deux à des combats de coq, et il faut le filtre des conventions sociales ou l’autorité de Pike pour calmer le jeu. Une fois dans son manoir, on ne peut que tiquer devant son empressement à les voir mariés, ou sa menace à peine voilée de réclamer son devoir conjugal au plus tôt. Alison Goodman joue à merveille sur les différentes cordes de la masculinité : l’exigence sociale de produire un héritier à la lignée, la domination masculine et maritale sur la jeune épousée - par la contrainte s’il le faut - avec un mari qui a tous les droits - tant que les bleus ne se voient pas, pourrait-on dire, et enfin la rivalité teintée de crainte, que seul le sang de l’hymen pourra clore définitivement. Bien entendu, dans ce roman, s’ajoute un nouveau paramètre : la future est dotée d’une force supérieure à la sienne, et là encore seules les conventions et l’éducation qu’elle a reçue l’empêchent clairement de le repousser le cas échéant... Mais tout cela est régulièrement contrebalancé par des décisions certes patriarcales mais frappées au coin du bon sens et de la tendresse pour sa future : il doit assistance et protection à Helen, et respecte ses devoirs avec fidélité, même si au travers du prisme d’Helen nous le voyons comme des marques de jalousie de ou peu de confiance.
Au chapitre des mâles orgueilleux, on peut rajouter Andrew, le frère ainé d’Helen, qui pour le coup accumule les points de muflerie, avec son discours sur les faibles femmes, puis sa jalousie de n’avoir pas hérité du pouvoir parental en tant qu’aîné ET mâle. Encore plus porté sur la bouteille que les autres protagonistes, Helen devra s’assurer qu’il ne raconte pas n’importe quoi aux invités...
C’est là un autre aspect des jeux sociaux dans lesquels Helen met un pied supplémentaire : elle est aussi l’hôtesse, avec un peu d’avance, du manoir du duc, jusqu’à l’arrivée de sa tante, qui vient l’aider à organiser les noces, invitée par Selburn. Là encore, est-ce pour l’aider, ou la chaperonner et limiter ses excursions avec Carlston ? Pour Helen, c’est une crainte supplémentaire que ses proches soient victimes des Abuseurs.

Sur le pan « fantastique » de l’intrigue, là aussi la barre est haute, après la relative indolence du tome précédent. Si les héros sont toujours dans le brouillard, ignorant l’identité de leur adversaire, et même de leur potentiel indicateur, ils ont en plus un pouvoir à maitriser non seulement pour espérer l’emporter, mais pour assurer la survie d’Helen, rongée par la puissance maléfique du Ligatus. La solution qu’ils trouvent tombe à point, mais son exécution peut avoir de nombreuses conséquences néfastes. Mr Pike répugne en effet à peut-être sacrifier son épouse dans un processus qu’il a trop longtemps repoussé. Déjà éprouvé durement durant sa carrière au club, il refuse de perdre sa femme, et Helen, qui a déjà des relations tendus avec lui, préfèrerait éviter de rajouter un nouveau gouffre entre eux. L’exorcisme, qui a lieu dans les bains municipaux, de nuit, est une scène de grande tension.
Suit peu après un événement violent, alors que se révèle un duo d’Abuseurs. L’autrice n’hésite pas à tuer un personnage très brutalement, ce qui va marquer tout le groupe et créer un remous public dans Bath. Là encore, on appréciera le souci du détail d’Alison Goodman, avec l’absence de morgue et le voyeurisme morbide qui s’exerçait à l’époque.
Le combat final entre les deux duos est titanesque, et on se dit que les cent dernières pages vont pouvoir être consacrées au mariage et à la résolution des intrigues sentimentales, mais ce serait mal se souvenir des climax des tomes précédents : le suspense et le danger dureront jusqu’à la dernière page, avec la révélation du véritable Abuseur Suprême et de son plan diabolique pour envahir la Terre. Le mix romance victorienne & fantastique est à son comble, et tout cela est d’une puissance visuelle très évocatrice. La conclusion nous laisse éreintés, autant que les survivants.

J’ai un peu tardé à m’attaquer à ce dernier volume, et je regrette presque de ne pas l’avoir dévoré dans la foulée du « Pacte des Mauvais Jours ». Tout comme j’avais hésité devant l’originalité du mélange romance & fantastique horrifique du premier tome.
Mille sept cents pages plus tard, je dois reconnaitre qu’on a affaire avec « Lady Helen » à un chef-d’œuvre d’excellente qualité, une peinture sociétale d’une grande fidélité historique, une fiction pétrie des codes sociaux victoriens qui lui assurent réalisme et complexité, et une trame fantastico-horrifique très originale qui crée un violent contraste avec les apparences policées de l’univers dans laquelle elle prend place.
Un cocktail osé et parfaitement réussi avec une romance impossible, passionnée et jamais mièvre, et des espoirs d’émancipation d’une héroïne tiraillée entre deux mondes. L’Helen de la dernière page est bien loin de celle de la première, transfigurée par les événements, et surtout ses propres choix. Une héroïne qui enchantera les lecteurs comme lectrices, avec un message féministe évident amplifié par la distance historique.

Une histoire riche, complexe et palpitante aux personnages forts et au ton juste, aux retournements et aux émotions savamment dosés pour jouer sur toutes les sources de tension, et ne jamais laisser à l’héroïne et aux lecteurs le temps de souffler. Que demander de mieux ? La trilogie est sortie en poche, dans la collection Pôle fiction ! vous n’avez aucune raison de ne pas y céder !


Titre : L’Ombre des Mauvais Jours (The Dark Days Deceit, 2018)
Série : Lady Helen, tome 3/3
Auteur : Alison Goodman
Traduction de l’anglais (Australie) : Philippe Giraudon
Couverture : Marion Louw
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Collection : Grand format littérature
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 650
Format (en cm) : 22,5 x 15,5 x 5
Dépôt légal : juillet 2019
ISBN : 9782070663491
Prix : 21 €


Lady Helen
Le Club des Mauvais Jours
Le Pacte des Mauvais Jours
L’Ombre des Mauvais Jours


Nicolas Soffray
26 avril 2021


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