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Qui veut gagner le Paradis ?
Philip Le Roy
Cosmopolis, nouvelles noires, 313 pages, avril 2021, 19,95€


« (….) je dirais qu’une nouvelle c’est de l’essence dans une bouteille en verre, avec un morceau de chiffon noué au goulot, que l’on allume pour enflammer sa cible.  »

« Qui veut gagner le Paradis ? », sous-titré « Anthologie de quarante-deux nouvelles à lire avant de mourir » affiche la couleur. Noir. Brutal. Teinté de rouge. Explosif. Quarante-deux textes inédits ou déjà publiés (dans L’Express, aux éditions du Rocher, dans l’anthologie parue chez Unwalkers, dans Les petits Polars du Monde). Quarante-deux nouvelles oscillant entre quelques mots et deux douzaines de pages, mais qui toutes visent l’impact, la surprise, l’effet de chute. Avec humour, ou avec désespoir.

« Des histoires monstrueuses pour mieux traquer la monstruosité de l’humanité.  »

Des monstruosités chroniquement liées au genre humain, on en trouvera autant que de faux-semblants dans ce recueil qui ne cherche pas à se voiler la face sur les horreurs du monde. Que ce soient les abominations passées et le rappel des atrocités de l’Histoire comme l’Holocauste avec “Rachel”, l’Occupation avec “Le petit poucet”, variante et transposition du conte éponyme, un récit qui aurait pu figurer dans l’anthologie « Storia  », ou encore les déportations soviétiques avec “Rouge ”, mais aussi celles du présent avec le viol en zones de non-droit (“Virus mortel”), l’extrémisme musulman (“Liens de sang” et “Le dernier client”), les mafias albanaises et les guerres de l’Est (“Superhéros”), le risque nucléaire (“Dernière nouvelle”), la disparition des ressources et de la biodiversité (“Le dernier étranger”) ou encore les ravages de la pollution industrielle (“Le Village des condamnés”).

« Comment apprécier un trait d’humour, un rayon d’espoir, un bout de rêve, une part d’imaginaire sans l’obscurantisme ?  »

Fort heureusement, il n’y pas que le réel, et l’on peut à l’occasion s’amuser et même s’émerveiller dans ce volume. En choisissant comme nouvelle titre “Qui veut gagner le Paradis”, l’auteur et l’éditeur ne se sont pas trompés. Il s’agit du texte de loin le plus lumineux du volume, le plus réussi, le plus humain, habité par des dialogues pleins de finesse et d’humour. Un récit très noir et sur lequel vient peu à peu s’épandre la lumière. Des touches d’humanité et de poésie, on en trouvera dans quelques autres textes, ainsi dans “Le troisième monde” où un passage piéton apparaît comme symbole de l’entre-deux entre les territoires des vivants et ceux des morts, ou dans “Réveillon”, récit d’un tragique soir de fête mettant en scène un personnage qui après avoir perdu son épouse multiplie les provocations suicidaires et sombre dans un rêve romantique et fantastique.

« La difficulté d’une nouvelle tient dans sa brièveté et dans sa densité. Le contenu n’a pas à être dilué sous peine de transformer son projectile inflammable en baudruche.  »

La nouvelle à chute, c’est souvent l’art du court. Du très court. Le record en la matière, à notre connaissance, est un récit de science-fiction paradoxal en trois mots (« Time ended. Yesterday. ») dont nous ignorons l’auteur. C’est dans une veine semblable, une veine à la Fredric Brown, que Philip Le Roy propose quelques très-brèves comme “Brève histoire policière” qui, composée d’une seule phrase, jette le trouble sur les identités du suicidé, de l’assassin, de la victime, “Brève histoire de SF”, une anticipation métaphysique en quelques lignes, “Guerre et amour”, ou “La plus courte histoire du monde”, trois mots, biblique.

« J’ai ainsi conçu ces nouvelles comme des cocktails Molotov lancés à la gueule de la bête tapie dans l’homme et contre les belles façades d’un monde d’illusion et de faux bonheur. »

Il y a parmi ces quarante-deux textes du polar pur et bien d’autres choses encore. Au rayon du noir on citera “Carpe diem”, une manipulation machiavélique entraînant un individu dans une cavale sanglante, et une autre manipulation, moins criminelle mais tout autant perverse, avec “ Fantasme”. Manipulation également pour “La déesse cannibale”, un récit qui ne se prend pas au sérieux, l’auteur s’amusant sans grand souci de vraisemblance et s’acheminant avec un humour quelque peu potache vers une thématique inattendue. Noir encore avec “Un monde parfait”, ou avec “C’est pas normal”, dans la tête, ou plutôt dans les têtes multiples d’un schizophrène, noir toujours avec “La Vieille”, savoureuse et réjouissante histoire de faux-semblants avec notaire véreux et crimes en série en maison de retraite.

De la critique sociale, de l’ironie, du constat amer, acide, lucide, on en trouvera sans cesse au fil des pages de ce volume. Ainsi sont abordées la vanité de toute réussite (“L’Ascenseur”), l’ivresse égoïste du winner (“Accident de parcours”, écrite avec astuce dans la mesure où l’évènement que l’on attend semble ne pas arriver), ou encore les différentes formes de chute sur l’échelle sociale (“Cauchemar du clochard”, avec conclusion hilarante). Bien d’autres thématiques sont abordées, l’imprudence et la bêtise des cynophiles avec la féroce et macabre déclinaison de faits divers authentiques (“Tête !”, « Brignoles Vice »), le destin et la fatalité sarcastique (“Un grand jour pour mourir”), le snuff-movie (“Allahwood”,) la chasse (“Sans défense”), un attentat mondial d’un autre genre (“Attentat”).

D’autres thématiques, mais d’autres genres aussi, puisque l’on trouve un peu de science-fiction (“Antidote”, savoureuse apocalypse virale volontaire, “L’abri” avec son ambiance bucolique trompeuse, et “Earth Death” où des extra-terrestres jouent le sort du monde en jeu vidéo), de l’épouvante ferroviaire (“La Peur”), une valse-hésitation mortelle entre réalité et fiction (“Écrit vain”), une rencontre supposée avec le Christ (“Jésus”) une transposition du mythe œdipien dans le monde contemporain (“Mat”), un vrai-faux revenant bientôt reparti (“Fantôme”), de l’humour noir gastronomique (“Les Boulettes”, savoureux écho à la nouvelle « Le Casse-tête » de Benoît Séverac dans l’anthologie « Double Noir  »).

Une nouvelle, pour James Ellroy, c’est un verre d’alcool vidé cul sec”, écrit Philip Le Roy dans son introduction. C’est dire que ça passe ou que ça ne passe pas. Que le goût plaît ou ne plaît pas. Une chose est sûre, c’est que Le Roy laisse de côté grands millésimes et cocktails trop suaves pour arroser le lecteur avec du lourd et du brutal. C’est violent, brut de décoffrage, sans fioritures, sans finesses ni nuances excessives, parfois convenu, les personnages sont souvent caricaturaux, crus, vulgaires, les dialogues à l’avenant. Il y a, comme inévitablement dans tout recueil, du bon et du moins bon. Et l’on retrouve dans cette anthologie de quarante-deux nouvelles noires à lire avant de mourir, comme dans tout recueil du genre, des textes qui ne sont pas de véritables nouvelles, car une simple scène, une tranche de vie, ou de mort, pour parlante et démonstrative qu’elle puisse être, apparaît souvent trop linéaire pour constituer un véritable récit. Pour cette raison, on n’adhère pas forcément à tout, et l’on regrette ici et là quelque duperie, comme dans “Tranche de vie” qui, parce que le narrateur omniscient n’est pas censé mentir, trompe malhonnêtement le lecteur. Mais ce sont là les inévitables scories de toute anthologie. Ainsi en va-t-il des nouvelles à chute comme de la grosse artillerie et des pétoires à un coup, qui parfois font long feu et parfois font mouche. Certains crimes laisseront peut-être le lecteur aussi froid que leurs victimes, mais il y en a suffisamment qui atteignent leur cible, et qui de surcroît amusent, pour justifier la lecture du volume. On rit – souvent jaune – et l’on savoure le meilleur. « Qui veut gagner le paradis » ne dynamite pas le genre de la nouvelle noire mais le dynamise, le ravive comme le ravivaient d’autres recueils noirs, par exemple « Storia » ou « Phobia », qui eux aussi, par leur noirceur, par leur humour, par leur éclectisme, garantissaient à tous les lecteurs d’y trouver plusieurs histoires à leur goût. On trouvera donc, parmi ces quarante-deux textes, plusieurs récits comme on pouvait en lire en revues et en « pulps », qui, à travers le prisme d’une vision lucide et d’une jubilation parfois féroce dans l’ironie et dans l’humour noir, à travers la technique de la chute qui en quelques phrases finales, parfois en quelques mots, redistribuent totalement les cartes d’un récit au long duquel le lecteur s’est fait duper. Des récits qui à travers la variété de thèmes et de genres, rappellent, si besoin était, que la nouvelle, trop souvent délaissée par les éditeurs, vaut souvent mieux, en quelques pages à peine, qu’un épais et indigeste roman.


Titre : Qui veut gagner le paradis ?
Auteur : Philip Le Roy
Éditeur : Cosmopolis
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 315
Format (en cm) : 15 x 23,5
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 9782902324101
Prix : 19,95 €


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Hilaire Alrune
15 mai 2021


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