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Ormeshadow
Priya Sharma
Le Bélial’, Une Heure-Lumière, n°29, court roman traduit de l’anglais, Fantasy, 176 pages, avril 2021, 10,90€

En cette Angleterre de la fin du XIXe siècle, l’absence de travail et la peur du scandale poussent les parents de Gideon Belman, son père John et sa mère Clare, à fuir Bath. Le retour au lieu-dit Ormeshadow sur les terres de la famille Belman constitue une épreuve, car l’existence en campagne est bien éloignée de celle de la ville. John change radicalement de vie, passant de secrétaire particulier à fermier et surtout, son frère Thomas voit d’un mauvais œil cette arrivée. Ce dernier est fruste et aime tenir son entourage sous sa coupe, ce qui n’est pas sans générer d’incessantes tensions.
Le jeune Gideon trouve du réconfort avec son père John et leurs promenades à travers les terres ancestrales des Belman. D’après la légende, elles abriteraient un dragon endormi sous la colline et un trésor y serait enfoui. L’histoire est belle mais le quotidien devient vite un enfer quand John disparaît.



Avec « Ormeshadow », Priya Sharma, médecin généraliste de métier, a remporté les prix Shirley Jackson 2019 et British Fantasy 2020, ce qui annonce du très bon pour ce court roman et les belles promesses sont plus que remplies.
La vie dans la campagne victorienne fin XIXe n’est pas une sinécure, loin de là, c’est même tout l’inverse. Au fil des mois, puis des années, Gideon y perd tous ses repères, grandit dans une atmosphère oppressante sous le joug d’un oncle qui oublie ses devoirs. Seuls comptent dans son esprit, lui-même, ses envies, sa mainmise sur le domaine familial et il n’apprécie pas ces envahisseurs venant troubler son monde tyrannique. Quoiqu’il y trouve tout de même du plaisir... Pourtant son frère John possède pour moitié Ormeshadow. L’un est aussi cultivé que l’autre est fruste, sensible que rude, les deux faces d’une même pièce que tout oppose.
Centré autour de Gideon, « Ormeshadow » relève du roman initiatique, de la fresque familiale teintée de légende, celle du dragon qui aurait accordé sa confiance à un Belman, gardien du repos de la bête en attendant qu’elle récupère d’une bataille dans les temps anciens. Les reliefs de la crête prennent vie sous les paroles de John à un fils les buvant littéralement. L’histoire est belle, ne demande qu’à être crue, d’autant que la perspective de trouver un trésor en ses terres représente une opportunité fantastique. Pragmatique, Thomas n’est guère convaincu, mais si un trésor était mis au jour, il serait tout prêt à se l’arroger. Les années passent, Gideon grandit, écrasé par Thomas qui lui retire ses droits, sa dignité. Apprentissage éprouvant, réducteur dans des conditions difficiles, lui retirant ses rêves et le privant d’instruction. Quel modèle pour le futur adulte ? Comment croire en un avenir dans cette société, surtout dans ce contexte ?

Priya Sharma dresse un portrait sans concessions de l’époque en des terres reculées où la loi du plus fort prédomine. La faiblesse n’est pas pardonnée, ni acceptée, elle est exploitée pour rabaisser, s’imposer à autrui et montrer qui commande. Le récit est poignant, Gideon touche le lecteur au fond de lui-même. Chacun veut croire en cette légende, espère qu’elle recèle au moins un fond de vérité, car elle représente l’espoir, une porte de sortie à des jours sans relief, sans promesses d’avenir. Dès les premières pages, impossible de ne pas être happé par le récit, par cette immersion dans la ferme des Belman et ce quotidien de labeur, de brimades avec de rares bouffées d’air frais. Le tableau s’avère réaliste mais aussi effrayant. En plus, « Ormeshadow » est très bien écrit, favorisant l’empathie avec Gideon.

Priya Sharma offre là un court roman saisissant et d’une belle sensibilité. Elle apporte à la rigueur de l’existence en ces jours anciens une touche de fantasy sous forme d’espoir. Mais Gideon peut-il se raccrocher à ce mythe du dragon ? Croire en l’impossible pour tenir et accepter d’être sans cesse rabaissé ? Lui comme le lecteur ne demande qu’à espérer. L’histoire est belle, trop belle pour ne pas se raccrocher à n’importe quelle possibilité.
« Ormeshadow » représente déjà un trésor, un moment rare où le lecteur se perd corps et âme dans le récit.
Il y a du Lucius Shepard dans ces pages, référence élogieuse que l’auteure mérite amplement pour son talent à brosser le portrait d’une société rude, tout en laissant une petite fenêtre sur le rêve.
Un roman magnifique !


Titre : Ormeshadow (Ormeshadow, 2019)
Auteur : Priya Sharma
Traduction de l’anglais : Anne-Sylvie Homassel
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 29
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 176
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 9782843449772
Prix : 10,90 €


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
17 avril 2021


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