Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Derniers jours d’un monde oublié
Chris Vuklisevic
Gallimard, Folio SF, n°660, roman (France), Fantasy, 358 pages, mars 2021, 8,10€

Depuis plus de 3 siècles, les habitants de Sheltel, qualifiée d’île du centre du monde, sont persuadés d’être les uniques rescapés de la catastrophe de la Grande Nuit.
Aussi l’arrivée d’un bateau à l’horizon trouble l’ordre établi. Les puissants sont divisés sur l’accueil à réserver aux étrangers. Le riche commerçant Arthur Pozar y voit une potentielle source de profits, la Main, la sorcière qui a pouvoir de vie et de mort, la perte de son pouvoir. Le Natif, le souverain de Sheltel, se réserve un temps de réflexion, car il sait que l’équilibre est fragile et que la situation peut vite dégénérer.
Quant aux pirates, ils espèrent accoster car leur réserve d’eau est quasi épuisée.



L’eau voilà bien une ressource très précieuse sur Sheltel ! Quand commence la saison sèche, elle vient vite à manquer et elle est sévèrement rationnée. Le roman se déroule sur un peu plus de douze jours et ce constat n’en est que plus flagrant, même si la rapidité du phénomène ne manquera pas de surprendre. Le Natif s’accapare le cours d’eau, le détournant à son profit. On est bien loin d’une rivière s’asséchant peu à peu, là c’est du jour au lendemain, ce qui ne fait qu’augmenter la tension autour de ce bien vital. La chronologie montre la rapidité avec laquelle tout un système s’effondre, deux semaines suffisent à balayer un ordre établi en plus de 300 années.
À peine débarqués, les étrangers importent une marchandise qui met à mal le commerce de lumières locales, apanage des Feutiers. Pas de méfiance envers la nouveauté, envers l’inconnu, c’est l’adhésion totale. Le binaire prédomine, on passe du tout au rien. Chacun semble ruiné du jour au lendemain.
Il aurait été bon de veiller à la chronologie, de lisser les conséquences dans le temps pour les rendre crédibles, du moins acceptables. Tout est rapide, trop rapide. Il suffit de voir l’évolution de la Main, la rapidité de son changement physique aussi bien que dans sa manière de penser. L’accumulation devient vite pesante. Arthur Pozar, qui voyait en cette arrivée une chance à saisir déchante vite. Chaque jour, il semble vieillir d’une année et tente de reconquérir un pouvoir qu’il a mis si longtemps à gagner.
C’est l’effondrement, c’est le cas de le dire. La société de Sheltel s’abat comme un château de cartes. Les pirates constituent le grain de sable enrayant la mécanique.
« Derniers jours d’un monde oublié » donne la fausse impression qu’il s’y passe plein de choses, mais il s’agit avant tout d’une accumulation de petits faits aux grands effets et les heureuses coïncidences ne manquent pas pour faire avancer un récit somme toute assez plat.

Pourtant, Chris Vuklisevic a imaginé une société sheltienne attrayante avec plusieurs personnalités fortes aux commandes. La palme revient à la Main qui commande cinq Phalanges, des sortes d’apprentis exécutant ses ordres. Comme l’île est en vase clos, que l’équilibre est fragile car les ressources limitées, chaque naissance est analysée. Si l’enfant n’est pas sain, soit il est tué, soit mis dans un orphelinat, charge aux parents de payer de fortes sommes. Une nouvelle vie signifie la fin d’une autre pour garder une population constante. Souvent la naissance d’une bébé s’accompagne de la mort d’un des grands-parents. La charge est lourde, la Main comme ses Phalanges portent des masques et sont craints de tous. La fille d’adoption de la capitaine du vaisseau n’en a cure et n’écoute que ses envies. Elle comprend aussi que sur cette île règne une puissante magie, autorisant l’éclosion de dons chez certains. Quelle en est l’origine ? Mystère... Toutefois, cette magie omniprésente peine à convaincre, car trop évasive et autorisant bien des facilités. Toute une mythologie est aussi évoquée autour de Sheltel, donnant du cachet au roman.
Autre bonne idée, les nombreux encarts émaillant le livre. Publicités vantant les mérites de produits, décrets du Natif, annonces diverses... apportent du relief au récit, donnant une espèce de pouls de la cité. Ces intermèdes ne manquent pas de saveur.
Le contexte est bien trouvé, fouillé et l’arrivée d’étrangers revient à jeter de l’huile sur le feu. Là où l’auteure pèche, c’est dans la rapidité du changement. La raréfaction de l’eau est rejetée sur les pirates, non au pouvoir en place qui le fait pourtant chaque année. En quelques jours, la Main franchit toutes les étapes, la société s’effondre. Au bout d’un moment, le lecteur peine à adhérer à l’histoire, dont chaque phase est abattue avec brutalité.

À l’occasion des 20 ans de la collection Folio SF a été organisé un grand concours d’écriture, justement remporté par Chris Vuklisevic avec son premier roman « Derniers jours d’un monde oublié ». L’auteure possède du potentiel, car le fond est soigné. Elle a aussi travaillé la forme avec des encarts bien vus, mais le traitement ne suit pas avec, entre autres bémols, une chronologie loin d’emporter l’adhésion.
Cette première publication doit avant tout être prise comme un encouragement à persévérer en se basant sur les points forts pour améliorer la dynamique du récit.


Titre : Derniers jours d’un monde oublié
Auteur : Chris Vuklisevic
Couverture : Alain Brion
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 358
Format (en cm) : 10,9 x 17,8
Dépôt légal : mars 2021
ISBN : 9782072931079
Prix : 8,10 €


Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
13 avril 2021


JPEG - 88.2 ko



Chargement...
WebAnalytics