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Shining in the Dark
Anthologie autour de Stephen King pour fêter les 20 ans de Lilja’s Library
ActuSF, perles d’épices, anthologie (USA) fantastique et horreur, octobre 2020, 350 pages, 21,90€

Être un super site de référence sur Stephen King, c’est bien. Fêter ses 20 ans, c’est mieux. Publier une antho avec un texte du Maître dedans... C’était pas une mauvaise idée.
Mais un gros challenge.



Alors je le réécris, si je me suis pas grand fan de fantastique en général, j’aime beaucoup Stephen King (avec une préférence pour « la Tour Sombre » et un indéfectible coup de cœur pour « Joyland »), mais sans l’avoir tout lu, et une faible appétence pour l’horrifique pur.

Ainsi que Hans-Åke Lilja le dit bien en intro, cette antho fut une grande aventure pour lui, et mêle amateurs comme auteurs confirmés. Un inédit de Stephen King, deux têtes d’affiche qui parleront aux Européens, Clive Barker et John Ajvide Lindqvist, un classique de Poe, et pour le reste... C’est très inégal.

Et pour mal commencer les choses, avec son “Compresseur Bleu”, même le King déçoit. Une histoire bancale, dans laquelle l’auteur intervient directement pour en donner les origines, et une fin horrifique qui retombe comme un soufflé. On ne comprend pas. Un exercice de style, un fond de tiroir ? En tout cas pas un cadeau pour Lilja...

Le “Charabia” de Clive Barker est un petit bijou d’humour noir teinté d’absurde. Lorsqu’un ange vient emporter au Paradis un saint homme (en fait clairement un malentendu ou un mélange de dossiers), deux de ses animaux de compagnie sont changés en humains par la déflagration divine, et entendent clairement profiter de cette nouvelle apparence et de ses possibilités. C’est farfelu, et très humain.

Assez courte nouvelle dont le twist final tient entièrement au point de vue que le lecteur s’impose tout seul par la construction même du récit, “L’amour d’une mère” de Brian James Freeman nous parle d’un fils aimant, d’une mère malade et d’une maison de retraite. Je n’en dis pas plus pour ne pas influencer, mais elle est aussi émouvante que cruelle jusqu’à la dernière ligne.

Dans “Le Manuel du Gardien”, John Ajvide Lindqvist nous dresse le portrait d’un ado, un peu geek, qui satisfait son désir de contrôler les autres au trajet des jeux de rôles, d’abord Donjons et Dragons, puis l’Appel de Cthulhu. Emporté par son besoin de domination sur sa petite cour, dévoré d’ambition et de reconnaissance de sa supériorité, il n’hésite pas non plus à écraser un plus timide et plus mal loti que lui, profitant de sa nouvelle aura. Mais voilà, lorsqu’il lui assène le coup de grâce en l’invitant à jouer à une partie qu’il a lui-même scénarisée, un problème se produit : sa pseudo-incantation en langage des Anciens invoque pour de vrai un vampire stellaire. D’abord effrayé par cette créature mutique qu’il est seul à voir, il réalise ensuite qu’il en est le maître et gagne en confiance en lui, toujours suivi par son garde du corps invisible… Jusqu’au jour où cette présence permanente se retourne contre lui. Le talentueux John Ajvide Lindqvist réussit le tour de force de nous rendre sympathique cet ado crâneur, flattant le souvenir du geek au fond de chacun de nous, et le voir s’épanouir dans sa passion (qui fut u est aussi la nôtre) a quelque chose d’agréable, une sorte de revanche légitime. Le retournement final n’en est que plus savoureux. Le plus long mais sans aucun doute le meilleur texte du recueil.

J’ai beaucoup aimé “Le Roman de l’Holocauste” de Stewart O’Nan. Le personnage central est un auteur en chemin pour un plateau télé américain (aka « Oprah »), un exercice qu’il n’aime guère, préférant sa solitude anglaise. Il n’a pas de nom, il est appelé par le titre de son livre, réduit à cela par la comm’ mais aussi en lui-même, tant cet ouvrage de fiction a été influencé par sa propre vie, certains passages vrais, d’autres rêvés ou romancés. Stewart O’Nan en joue pour entretenir parfois une confusion de quelques secondes entre le personnage et son roman, entre la fiction et le réel de son personnage enfoui dans ses pensées, ses regrets, souvent sourd au babil du monde extérieur et à ses exigences promotionnelles. Une belle histoire sur le paraître, sur les masques, sur ce qu’on donne à voir aux autres. Une absence totale de fantastique, mais un bel hommage à ce dont King est capable en matière de fond et d’émotion avant de lâcher les rênes au surnaturel.

Dans le même esprit, “La fin de toutes choses” de Brian Keene montre le quotidien d’un homme qui espère chaque jour la fin du monde, car il a perdu son fils, dont il croit voir le fantôme, dans un tragique accident, et sa femme peu après. Chaque matin, il suit le même rituel, regrettant que ni les zombies, ni une météorite, ni un virus n’ait décimé un monde dans lequel il ne peut plus vivre. C’est à peine teinté de fantastique, et terriblement émouvant. Un très beau texte sur impossibilité de faire son deuil d’un enfant.
La danse du cimetière” de Richard Chizmar est dans la même veine, aussi brève, mais plus elliptique, et n’a pas su m’accrocher.

Le cœur révélateur” d’Edgar Allan Poe est le texte classique de l’anthologie, un fondateur du genre, avec un personnage à l’esprit froid, calculateur (il se défend du terme malade) qui après un crime rondement mené, s’enfonce dans un tel délire, une telle auto-persuasion que son crime va être découvert, qu’il en vient à se dénoncer lui-même aux policiers devant lesquels il se pavanait, sûr de son fait. C’est court, profondément anxiogène comme peut l’être un esprit à la fois tordu et perfectionniste une fois mis sur les mauvais rails.
Cela n’en rend les autres textes de pur suspense que bien fades.

Aeliana” de Bev Vincent tient surtout du pulp, avec une fillette orpheline, sauvage, qui se change en louve sur un territoire urbain disputé, et le point de vue d’une flic chargée d’enquêter sur les crimes sanglants du quartier. Quelques bonnes idées narratives, mais une trame éculée.

Dans “Le Réseau”, Jack Ketchum & P.D. Cacek nous font suivre les échanges sur messagerie d’un homme et une femme qui se sont rencontrés sur un forum. Les échanges deviennent plus privés, on se livre, on se dévoile peu à peu jusqu’à tomber amoureux au travers des mots. Cela va déraper lors de la rencontre finale, car si lui a avoué approcher la cinquantaine, elle s’est décrite comme plus jeune, mais aurait dû préciser mineure. La conclusion est un peu foireuse, et si l’échange de messages et la montée en puissance de la relation sont bien faits, le texte n’a guère d’intérêt sur le fond et, s’il date déjà de 2007, fait terriblement daté. J’avoue ne pas avoir compris ni sa présence en 2e position, juste après le Maître, ni même sa place ici, tant on est loin sur le fond comme sur la qualité de l’auteur auquel il est censé rentre hommage.

L’attraction des flammes” de Kevin Quigley entraîne trois enfants d’une dizaine d’années dans la maison hantée d’une fête foraine bien glauque. Ils tombent au mains du maître des lieux et de ses milliers de papillons de nuit qui envahissent chaque pièce éclairée. Cette histoire génère un sacré malaise, de la mort d’un des gamins à la violence que vont exercer les deux autres en reprenant le dessus sur leur geôlier. A trois reprises dans ce jeu cruel et longuet, on sent affleurer des façons de faire de King, avec des parallèles avec un souvenir heureux, un regret… le reste n’est qu’exposition, pur show terrifiant et violent sans aucun autre intérêt que le spectacle d’un voyeurisme malsain et cruel.

Idem du “Compagnon” de Ramsey Campbell. Après une entame intrigante semée de références, le personnage, visiteur de parcs d’attraction abandonnés, monte dans un train fantôme pour échapper à une hypothétique bande de jeunes mal intentionnés. Toutes ses hantises de ce genre de manège remontent, mais cela tourne à vide, jusqu’à la brutale conclusion avec une présence à ses côté sur le siège. De la pure ambiance, comme un mauvais épisode des « Contes de la crypte », où seul le visuel compte, pour l’émotion violente et instantanée, le sursaut qu’il provoque.

Je ne suis toujours pas fan de fantastique, et n’avoir accroché qu’à la moitié des 12 textes présentés ici me le confirme : il ne suffit pas d’une ambiance, il ne suffit pas de susciter la peur ou l’horreur pour produire une bonne nouvelle. Il faut toucher d’autres émotions, il faut les tisser dans une trame chatoyante, un canevas qui, du détail à son ensemble, ravira le lecteur. Bref, il faut une bonne histoire et la bonne manière de la raconter pour que la magie noire opère.

Si ce « Shining in the Dark  » a de très beaux attraits, dont la magnifique couverture signée Zariel, il n’en demeure pas moins très hétérogène et inégal, et surprendra comme décevra les fans du Maître de Bangor. A croire qu’avec la « fine fleur du fantastique mondial », on a aussi apporté le fumier sur lequel elle a poussé.


Titre : Shining in the dark
sous-titre : Anthologie pour les 20 ans de Lilja’s Library, site de référence sur Stephen King
Auteurs :
Stephen King
Clive Barker
John Ajvide Lindqvist
Jack Ketchum, P. D. Cacek
Ramsey Campbell
Stewart O’Nan
Bev Vincent
Brian Keene
Richard Chizmar
Kevin Quigley
Edgar Allan Poe
Brian James Freeman
Traduction : Eric Holstein, Annaïg Houesnard...
Couverture : Zariel
Éditeur : ActuSF
Collection : Perles d’Epice
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 350
Format (en cm) : 21 x 15 x 3
Dépôt légal : octobre 2020
ISBN : 9782376863137
Prix : 21,90 €



Nicolas Soffray
23 avril 2021


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La couv’ de l’édition originale. Des critères esthétiques bien différents...



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